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Une interdisciplinarité à géométrie variable

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CHAPITRE 2. LES CONTEXTES LOCAUX DE LA PRATIQUE

2.3 D ES ORGANISATIONS ET DES INTERACTIONS DIVERSES

2.3.1 Un modèle hospitalier collectif et interdisciplinaire

2.3.1.1 Une interdisciplinarité à géométrie variable

À l’hôpital, les sages-femmes et les psychologues sont mieux représentés qu’en secteur privé et mais leur intégration dans la chaîne de soins varie selon les centres. Un rapport d’inspection de l’ABM relève que la place des psychologues « diffère considérablement d’un centre à l’autre et est quasi inexistante lorsqu’il s’agit d’insémination artificielle. Dans le secteur public, l’accès à un psychologue est quasi systématique mais toutes les équipes ne lui font pas la même place lors des staffs » (2012 : 15).

À Jean Verdier, entre 2003 et 2015, l’équipe ne comptait pas de psychologue. Mais la situation n’a pas toujours été ainsi. Dominique Neuman a travaillé aux côtés de Jean-Noël Hugues dès 1983 et ce pendant vingt ans. Elle assistait à ses consultations à Avicennes, avant de le suivre à Jean Verdier. Isabelle Cédrin explique que « pendant les dix premières années, tous les couples en FIV rencontraient obligatoirement la psychologue ». Jean-Noël Hugues regrette

compliqué, selon Isabelle Cédrin, le recrutement d’un autre psychologue. Cette absence est ressentie comme un frein à une prise en charge de qualité, tant pour les patients que pour les professionnels. Une clinicienne raconte que parfois, « nous n’avons pas les bons mots, parce que nous-mêmes nous sommes un peu désemparés, et ce n’est pas évident d’aider les gens quand nous partageons leur détresse ». Lorsque les praticiens sollicitent les psychologues du service de pédopsychiatrie, pour des troubles sexologiques par exemple, ils se voient souvent opposer un refus. Les psychiatres du CECOS sont peu disponibles et ne sont pas présents lors des staffs. Michael Grynberg, dont l’épouse est psychologue en AMP, est sensible à ces questions : « Notre priorité, c’est de soulager les patients ». De plus, le développement de l’oncofertilité rend indispensable la présence d’une sage-femme à temps plein. Grâce à l’action de Michael Grynberg, qui, selon Alexandra Benoit, « a valorisé le poste de sage-femme à temps plein auprès de la direction », la demande de création de poste a été acceptée et une psychologue travaille désormais dans l’équipe à temps plein.

La place du psychologue à Béclère et à Sèvres semble similaire. Le premier compte une psychologue à temps plein, le second deux à mi-temps. Mais dans les deux centres, elles sont rarement présentes aux staffs. Le second propose les compétences d’un sophrologue.

Le rôle de ces professionnels semble davantage exploité à Cochin et à Tenon. Dans le premier, deux psychologues exercent à mi-temps en médecine de la reproduction, mais ceux dédiés aux CECOS sont nombreux et participent à des programmes de recherches liés aux aspects psychologiques de la maternité consécutive à un don. Lorsque Jacqueline Mandelbaum exerçait dans le second, elle a « fait en sorte d’obtenir des vacations de psychologue », estimant que leur présence devrait être obligatoire. Le chef de service de l’époque, Jacques Salat-Baroux, s’est montré réceptif et ouvert à sa demande. Ces deux volontés ont abouti à une situation où « les psychologues sont intégrés dans l’équipe. C’est très différent que lorsque nous envoyons la personne consulter un psychologue libéral ». Cette consultation est d’autant plus facile à accepter pour les patients qu’ils ont l’impression de rencontrer « un intervenant du centre ». Elle insiste sur la richesse de la collaboration avec ces professionnels soulignant « l’apport de la réflexion multidisciplinaire ».

La place du psychologue dépend de contraintes structurelles. Les créations de postes sont notamment freinées par des facteurs économiques. Ces consultations étant gratuites, elles ne rapportent pas d’argent au service. De plus, la présence de ces professionnels dépend des priorités

budgétaires établies par les chefs d’équipe. Elle est également tributaire de la sensibilité du dirigeant du service et de sa capacité à négocier cette place au sein de l’équipe.

La place des biologistes est, elle aussi, parfois difficile à trouver. Par exemple, depuis ce que Christophe Sifer appelle « l’affaire Testart », les relations entre cliniciens et biologistes à Antoine Béclère semblent compliquées. La lutte d’influence entre René Frydman et Jacques Testart a façonné le visage actuel de ce centre et a inscrit son empreinte sur son organisation. Lorsque Christophe Sifer y travaillait, elles étaient faiblement développées. Il parle d’une « main mise des gynécologues sur leur laboratoire ». Les biologistes n’occupaient qu’une place marginale dans les décisions : « Les gynécologues s’adressaient directement aux techniciens de laboratoire. Les biologistes n’avaient pas d’existence réelle ». Interrogé sur le nombre de biologistes et de cliniciens qui composent son équipe, Renato Fanchin répond : « Je n’ai pas d’équipe biologique. L’équipe biologique est séparée. Nous travaillons main dans la main, mais elle n’est pas sous ma responsabilité ». Même si la question est probablement formulée avec une certaine maladresse, le fait que Renato Fanchin souligne simultanément la collaboration et la séparation entre ces deux équipes est un indice de la persistance de leurs divisions.

À Tenon également, les relations entre les deux groupes professionnels ont été difficiles. La fréquence des staffs est similaire aux autres centres. Alors que relations clinico-biologiques étaient équilibrées sous la direction de Jacqueline Mandelbaum, elles se sont dégradées à son départ. Pendant les vingt-six années où elle y a exercé, le fait qu’elle soit également formée en gynécologie a favorisé l’instauration d’une relation égalitaire et « complémentaire ». Le processus décisionnel est collectif et l’organisation du travail « bien formalisée ». Cependant, l’ensemble des couples ne rencontrent pas les biologistes de manière routinière. Si Jacqueline Mandelbaum reconnaît que « l’information doit être donnée par des consultations de médecine et de biologie », le nombre restreint de médecins biologistes empêche cependant d’appliquer ces recommandations, car sinon « toute notre activité aurait été uniquement centrée sur des consultations ». Les biologistes ne reçoivent les couples que si les cliniciens leurs rappellent cette possibilité et que ces derniers la sollicitent. Lors du départ à la retraite de Jacqueline Mandelbaum en 2011, l’organisation de sa succession par le chef de service a généré de tels conflits qu’en 2013, le centre a provisoirement été fermé par l’ARS. Pour cette praticienne, cette

totale de la fusion entre deux services ». Pour expliquer également ces problèmes relationnels, Jacqueline Mandelbaum souligne que les départs des dirigeants sont des situations propices aux conflits : « Une succession se passe rarement bien ».

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