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Une institution indispensable*

Dans le document CICR : 150 ans d'action humanitaire (Page 57-63)

Alors que faire la guerre est parmi les pires pulsions de l’H omme, la compassion et la solidarité sont les meilleurs antidotes qui soient. Depuis sa création il y a 150 ans, une réaction humaine aux souff rances inhumaines causées par la bataille de Solférino, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) est le symbole inébranlable de cette compassion et de cette solidarité.

Aujourd’hui, ce 150e anniversaire est l’occasion de nous rappeler pourquoi le CICR a été créé, de saluer ses accomplissements et de rendre hommage aux personnes qui font de lui ce qu’il est, ainsi que d’examiner les défi s auxquels l’institution devra faire face dans les années à venir.

Dans l’exercice de mes fonctions de Commissaire européenne chargée de la coopération internationale, de l’aide humanitaire et de la réaction aux crises, j’ai souvent eu l’opportunité de voir le CICR à l’œuvre. Où que je me rende, dans les abîmes du désespoir, dans les théâtres les plus sanglants, dans l’enfer des confl its prolongés, je m’emploie à rencontrer les délégués du CICR. Et je dois dire que

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Kristalina Georgieva, Commissaire européenne chargée de la coopération internationale, de l’aide humanitaire et de la réaction aux crises.

Avant de rejoindre la Commission européenne en février 2010, Kristalina Georgieva a occupé diverses fonctions à la Banque mondiale, où elle a été économiste de l’environnement, économiste de l’environnement en chef et directrice du secteur Environnement pour la région Asie de l’Est – Pacifi que. De 2000 à 2004, elle a occupé la fonction d’administratrice chargée de la stratégie, des politiques et des fi nancements environnementaux, et est devenue en 2004 administratrice de la Banque mondiale pour la Fédération de Russie. En 2007-2008, elle a été nommée directrice du développement durable, puis vice-présidente et secrétaire du Groupe de la Banque mondiale.

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nêteté et la lucidité dont ils témoignent dans leurs évaluations, ainsi que l’engagement et le professionnalisme dont ils font preuve, m’ont toujours beaucoup impressionnée.

C’est à Och, dans le sud du Kirghizistan, que j’ai pu constater pour la première fois sur le terrain à quel point le CICR était indispensable. Je m’y étais rendue à l’été 2010, relativement au début de mon mandat de Commissaire européenne, pour évaluer les besoins humanitaires engendrés par les aff rontements ethniques et superviser la fourniture de l’assistance européenne. Comme souvent dans les confl its, les délégués du CICR avaient été les premiers sur place et, lorsque je suis arrivée, ils apportaient déjà une aide vitale en soignant les blessés et en distribuant de l’eau et de la nourriture aux familles et aux communautés touchées par les aff rontements.

Les balles siffl aient au loin et, bien entendu, les habitants d’Och étaient terrifi és.

« L’aide européenne est actuellement très importante pour nous, mais il est tout aussi crucial qu’ils soient là », m’a dit une femme en désignant les travailleurs humanitaires portant des gilets marqués de l’emblème de la Croix-Rouge. « Indépendamment de tout ce qu’ils font pour nous, leur seule présence nous protège. Nous avons besoin d’eux. » Dans le monde d’aujourd’hui où les confl its sont de plus en plus imprévisibles et les crises de plus en plus complexes, nous avons plus que jamais besoin de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

Au service de l’humanité

Les besoins sur le terrain ne font qu’augmenter, tout comme la fragilité de notre monde. Le changement climatique, la croissance démographique, l’urbanisation et le déplacement des champs de bataille dans les zones où vit la population civile sont autant de facteurs faisant que les crises humanitaires sont aujourd’hui plus fréquentes et plus graves. Le nombre de personnes touchées ne cesse également d’augmenter et, tragiquement, les personnes les plus pauvres sont généralement les premières touchées et les plus durement atteintes.

C’est avant tout pour ces personnes que le CICR existe aujourd’hui, et il demeure inégalé en termes d’engagement et de capacité à atteindre les personnes vulnérables pour leur fournir une aide et une protection vitales et leur apporter le réconfort et la lueur d’espoir dont elles ont tant besoin. Grâce à la large gamme d’activités qu’il mène dans les zones de confl it et à sa proximité avec les bénéfi ciaires, le CICR est en mesure de répondre effi cacement – et souvent simultanément – à des situations de crise très diverses, allant de fl ambées de violence soudaines, comme en Syrie depuis l’année dernière ou en Libye l’année précédente, à des situations prolongées comme au Yémen, en Afghanistan et au Pakistan.

La sensibilisation par l’action

La capacité opérationnelle du CICR est impressionnante sur tous les fronts : soins médicaux, distributions alimentaires, approvisionnement en eau, assainissement, soutien aux moyens de subsistance, visites aux détenus, rétablissement du contact

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entre les membres des familles séparées par la violence ou les catastrophes. Les valeurs que le CICR incarne mieux que toute autre organisation sont tout aussi essentielles. C’est grâce à leur attachement au droit international humanitaire et à leur respect des principes de neutralité et d’impartialité de l’aide humanitaire que les collaborateurs du CICR peuvent faire leur travail, souvent dans des zones où aucun autre organisme de secours n’est autorisé à pénétrer. Pour comprendre à quel point le CICR se trouve dans une position unique, prenons le cas de la Somalie déchirée par la guerre, pour laquelle les Nations Unies ont déclaré l’état de famine à l’été 2011 lorsque le groupe Al-Shabab a banni la majorité des travailleurs humanitaires de nombreuses régions du pays. Là-bas, dans les zones les plus durement frappées par la faim, seul le CICR était autorisé à distribuer des vivres aux centaines de milliers de Somaliens sur le point de mourir. Or s’il y était autorisé, c’est parce qu’il était perçu comme étant neutre et qu’il établissait des liens avec les communautés locales.

C’est aussi parce que les miliciens, bien que ne connaissant que la loi des armes, reconnaissaient l’impartialité du CICR et le laissait donc faire son travail.

Cet attachement aux principes humanitaires, un impératif tant pratique que moral, me fait souvent voir le CICR comme la conscience de la communauté humanitaire. Je suis par ailleurs très impressionnée par la manière dont le CICR parvient à rester fi dèle à ces principes dans des contextes en constante évolution, dans lesquels la présence de mercenaires, l’asymétrie des confl its, l’extrémisme et le terrorisme sont de nouveaux facteurs créant des défi s supplémentaires.

Pour ces raisons, lorsque j’ai eu des décisions diffi ciles à prendre pendant les premières années de mon mandat de Commissaire européenne chargée de l’aide humanitaire, j’ai souvent téléphoné en premier lieu à Jakob Kellenberger. Désormais, j’appelle son successeur, l’actuel président du CICR Peter Maurer.

Un lien opérationnel et des principes communs

Je me fi e aux conseils honnêtes et au sens de la perspective du CICR du fait des solides relations qu’il entretient avec le Service d’aide humanitaire de la Commission européenne (ECHO). Nous travaillons en coopération avec le CICR dans bon nombre des contextes les plus délicats de la planète. Outre notre lien opérationnel, nous partageons également un lien très fort découlant de nos principes communs. Grâce à ces liens, je peux faire en sorte que les victimes des confl its bénéfi cient au mieux de la solidarité européenne.

Concernant notre lien découlant de nos principes humanitaires communs, j’évoquerai le cas du Yémen, un pays où les acteurs humanitaires étaient dans l’inca-pacité d’accéder aux centaines de milliers de déplacés internes à cause de l’insécurité et des aff rontements fréquents entre les rebelles houthis et le gouvernement. Antonio Guterres, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, et moi-même avons organisé une réunion avec les commandants houthis et sommes parvenus à convaincre ces hommes baraqués avec leurs grandes barbes et leurs armes lourdes de permettre l’accès du CICR aux territoires sous leur contrôle. Cette réussite n’avait rien à voir ni avec Antonio Guterres ni avec moi ; les commandants houthis avaient

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simplement pris conscience du fait que les délégués du CICR n’étaient pas là pour prendre parti, mais pour sauver des vies. Cet exemple illustre parfaitement combien la force des principes incarnés par le CICR est supérieure à la puissance des armes.

L’un des métiers les plus dangereux au monde

Pour sauver des vies, les collaborateurs du CICR doivent souvent mettre leur propre vie en danger. Au Yémen, mais aussi en Somalie, en Afghanistan, au Pakistan, au Soudan et, plus récemment, en Syrie, des travailleurs humanitaires sont de plus en plus souvent pris pour cible et visés par des tirs, enlevés ou assassinés. Si cette situation est préoccupante pour la communauté humanitaire, elle l’est encore plus pour les personnes qui ont besoin de son aide et qui se retrouvent isolées lorsque des ambulances et des travailleurs humanitaires sont délibérément pris pour cible. Là où règne le danger il y a aussi des souff rances, et celles et ceux qui se rendent dans ces zones sans armes et avec pour seul objectif d’aider ceux qui en ont besoin sont les véritables héros de notre monde, aussi modestes et peu reconnus soient-ils. Ils méritent notre plus profond respect, ainsi que tous les eff orts de sensibilisation et de protection que nous pouvons déployer.

Et maintenant ?

Le CICR peut être fi er de tout ce qu’il a accompli depuis sa création et il continue aujourd’hui de se montrer à la hauteur dans un environnement diffi cile, où les besoins sont énormes, les défi s nombreux et les ressources fi nancières bien insuffi santes. Le monde de demain mettra une nouvelle fois cette institution indispensable à rude épreuve.

La crise fi nancière et économique mondiale a érodé la capacité de résilience des plus pauvres, a accru leur vulnérabilité et les a rendus plus susceptibles de dépendre de l’aide humanitaire. Tandis que les besoins ne cessent d’augmenter, les pays donateurs luttent pour retrouver une croissance et les budgets consacrés à l’aide sont mis sous pression. Cette tendance a peu de chances de s’inverser dans les années à venir, même si je suis fi ère que l’Europe maintienne son engagement sans faille en tant que donateur, l’un des plus généreux qui plus est. Il n’en demeure pas moins que les organisations humanitaires risquent de devoir atteindre davantage de personnes vulnérables sans recevoir de fonds supplémentaires, ce qui soulève la question de notre capacité à faire notre travail comme il se doit. C’est pourquoi la solution à notre problème réside dans l’effi cacité de l’aide : il s’agit pour nous de tirer profi t au maximum de chaque centime que nous investissons et de chaque opération que nous menons. Et je ne doute pas que le CICR poursuivra sur cette voie.

Aux contraintes externes s’ajoutent des défi s au sein même de la communauté humanitaire, où les acteurs sont de plus en plus nombreux, où les donateurs tradi-tionnels interagissent avec de nouveaux donateurs émergents, où la prolifération des organisations – petites et grandes, locales et internationales – complique souvent la

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coordination et où certains acteurs poursuivent des intérêts politiques, militaires ou économiques sous couvert d’objectifs humanitaires. Cette nouvelle réalité menace la sécurité des travailleurs humanitaires sur le terrain et crée le risque que les véri-tables humanitaires soient mis de côté par les acteurs étatiques, les forces armées ou les groupes de pression. Compte tenu de ces dangers, le CICR sera également indispensable en tant que gardien des principes humanitaires – pour garantir que la neutralité, l’indépendance, l’humanité et l’impartialité restent les dénominateurs communs de tous les acteurs humanitaires.

Notre monde va demeurer fragile et il est particulièrement préoccupant de voir que les régions du monde qui sont particulièrement vulnérables au changement climatique et aux catastrophes naturelles sont aussi vulnérables aux confl its – la Corne de l’Afrique, le Sahel, le Yémen et certaines régions de l’Asie du Sud-Est. Ce cocktail explosif est synonyme de nouveaux problèmes imprévisibles et appelle de nouvelles solutions adaptées à une réalité en constante évolution. L’une des solutions est d’investir dans la résilience des communautés, un exemple d’aide intelligente qui doit permettre aux communautés de mieux faire face aux catastrophes récurrentes et de s’aider elles-mêmes. Pour investir effi cacement dans la résilience, il s’agit notam-ment de renforcer les liens entre l’aide humanitaire et l’aide au développenotam-ment. C’est là l’une des priorités de la Commission européenne et encore un domaine dans lequel le CICR et nous œuvrons vers un but commun. Il ne pourrait en être autrement : nous ne pouvons pas empêcher le climat de changer ni les confl its d’éclater, mais nous pouvons agir sur la manière dont les populations réagissent aux crises, et nous pouvons réduire leur vulnérabilité et augmenter leurs chances de se relever et de se développer en dépit de toutes ces diffi cultés. La résilience des communautés peut être largement renforcée et c’est l’un des points les plus importants sur lesquels nous, la communauté humanitaire, devons agir. Je ne doute pas du fait que le CICR montrera également l’exemple à cet égard.

Au fi l de sa douloureuse histoire marquée par les guerres, l’Europe a fi nale-ment appris à vivre en paix. Aujourd’hui, nous estimons qu’il en va de notre devoir de diff user les valeurs de paix dans le monde entier, là où les populations ne connaissent que la guerre. Nous sommes fi ers de ce que nous avons accompli dans ce domaine et d’avoir aujourd’hui notre place aux côtés du CICR parmi les lauréats du prix Nobel de la paix. Notre objectif commun est le plus noble qui soit : servir l’humanité, avec pour seul but de sauver des vies et de soulager les souff rances humaines.

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PERSPECTIVES SUR LE CICR

* La version anglaise de cet article est parue dans International Review of the Red Cross, Vol. 94, N° 888, Hiver 2012.

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Durant la guerre de l’Ogaden entre la Somalie et l’Éthiopie (1977-1978), le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a commencé à apporter une assistance médicale et chirurgicale aux combattants et aux civils blessés à Mogadiscio.

Quand la guerre a éclaté, j’étais directeur du département des services médicaux au ministère de la Santé et j’avais été élu président du Croissant-Rouge de Somalie quelques années plus tôt. Dans cette double mission, j’ai eu l’occasion d’observer les opérations que le CICR a déployées en Somalie pendant la guerre de l’Ogaden et qui consistaient à fournir une assistance humanitaire à des milliers de victimes, de prisonniers de guerre et de réfugiés. Depuis, j’ai collaboré avec le CICR à de nombreux projets dans les diff érentes phases du confl it en Somalie, ce qui m’a permis d’acquérir une compréhension sans égale de l’approche adoptée par l’institution dans un pays déchiré par la guerre.

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