• Aucun résultat trouvé

de Guanta namo*

Dans le document CICR : 150 ans d'action humanitaire (Page 45-53)

Mon histoire avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) n’a rien d’exceptionnel. Elle refl ète plus ou moins la situation de tous ceux qui ont croupi ou croupissent encore dans les tréfonds de Guanta namo ou d’une autre sombre prison en toute injustice. En racontant mon histoire, en précisant certaines notions et en formulant quelques propositions, j’espère cependant contribuer à améliorer les services humanitaires du CICR et les relations de l’institution avec les détenus.

La longue tradition de cette institution et les activités qu’elle mène pour soulager les souff rances des victimes de la guerre, de la torture et de la détention, sont suffi samment connues pour que je ne les présente pas. Mais pour moi, le CICR est né le jour où mon histoire avec lui a commencé. Ce jour-là, c’est celui où j’ai fait connaissance avec lui et lui avec moi ; celui où je l’ai accepté après l’avoir rejeté pendant longtemps parce que je ne savais pas ce qu’il faisait ni comment il travaillait ; celui où je me suis familiarisé avec son système de valeurs que je ne comprenais pas auparavant.

Mon histoire commence avec une feuille blanche que m’a tendue l’enquêteur américain à Bagram en janvier 2002, me demandant d’écrire une lettre à ma famille et d’indiquer son adresse. Je me suis méfi é, parce que je pensais que cette demande était liée à l’enquête. Les autres détenus et moi nous sommes montrés tout aussi méfi ants lorsque nous avons rencontré le CICR pour la deuxième fois cette

année-Perspectives d’un détenu

de Guanta namo*

Sami El Haj

Sami El Haj travaillait comme photographe pour la chaîne Al-Jazira lorsqu’il a été arrêté. Il a passé six ans à Guanta namo, avant d’être libéré en 2008. Il est actuellement chef du département des libertés publiques et des droits de l’homme au sein du groupe Al-Jazira.

44

Sami El Haj – Perspectives d’un détenu de Guantanamo

là, à la prison de Kandahar, où les délégués de l’institution nous ont demandé de leur décrire comment nous avions été arrêtés et transférés à la prison. Ma première impression positive est venue peu avant l’Aïd Al-Adha (la fête du sacrifi ce), lorsque le CICR nous a donné des exemplaires du Coran qu’il avait amenés à la prison de Kandahar. Il nous a aussi apporté des plats à base de mouton, pour la préparation desquels les animaux avaient été tués conformément au rituel du sacrifi ce, ce qui nous a beaucoup impressionnés. Quelqu’un s’était souvenu de nous pendant l’Aïd Al-Adha et avait essayé, dans une certaine mesure, de compenser notre privation en cette grande occasion.

J’ai reçu la première lettre de ma famille par l’intermédiaire du Croissant-Rouge du Qatar, en septembre 2002. Elle renfermait une photographie de mon jeune fi ls Muhammad, que j’avais quitté alors qu’il était âgé d’à peine un an et faisait ses premiers pas hésitants. Ce que j’ai ressenti alors est indescriptible : c’était un étrange mélange de réconfort et de tristesse ; les larmes me sont immédiatement montées aux yeux. Tous les détenus des cellules voisines se sont mis à pleurer, pensant que quelque chose de grave était arrivé à ma famille. Cela a continué pendant près d’une heure.

J’étais incapable de leur expliquer la situation ou même de lire la lettre. Le seul fait d’avoir reçu ce courrier, accompagné de cette photo, a eu un impact considérable et pas seulement sur moi.

Après ce premier courrier, j’ai pu échanger des lettres avec ma famille régulièrement par l’intermédiaire du CICR. Ma confi ance dans l’institution et son rôle s’est encore renforcée à l’arrivée du premier délégué arabe. Il était originaire du Maghreb et nous avons eu encore davantage confi ance en lui lorsque nous avons découvert qu’il pouvait réciter le Coran par cœur. Si je mentionne ce détail, c’est parce que, de manière générale, les détenus pensaient qu’une organisation qui arborait une croix comme emblème était forcément à la botte de l’Occident. Le fait que ce délégué était un musulman qui avait mémorisé le Coran a permis de rectifi er les préjugés que nous avions tous concernant cette institution avec laquelle nous n’avions jamais été en contact dans nos pays.

Plusieurs autres délégués arabes sont venus ensuite, ce qui a eu un eff et très positif sur notre attitude à l’égard du CICR. Leur présence nous a permis de nous sentir à l’aise et d’avoir confi ance en l’institution, car ils étaient arabes comme nous et nous pouvions communiquer plus facilement avec eux. Leurs expressions faciales nous étaient familières et nous sentions en eux une bienveillance et une sympathie qui nous semblaient plus authentiques du fait de notre proximité culturelle.

Par la suite, le CICR est venu avec des spécialistes et des médecins. Le fait de pouvoir accéder à des soins médicaux nous a apporté un sentiment de soulagement, encore renforcé par l’arrivée de juristes, qui ont répondu à nos questions. Le CICR a aussi permis la création d’une bibliothèque plus que bienvenue en fournissant plus de 10 000 livres, allant des principaux ouvrages de référence de l’Islam aux meilleurs romans policiers. Nous avons pu mettre à profi t cette mine de connaissances pour organiser un programme de lecture entre le lever du soleil et les prières du soir. L’un de nous lisait un ouvrage et le résumait aux autres au cours des séances du soir.

Nous faisions la lecture à ceux qui ne savaient pas lire et certains ont commencé à apprendre la langue arabe. Surtout, lire et exercer notre imagination nous a beaucoup

INTERNATIONALE de la Croix-Rouge

Volume 94 Sélection française 2012 / 4

aidés à rester sains d’esprit. À cet égard, il faut souligner qu’un consultant de l’admi-nistration de la prison – arabe, cette fois-ci – nous a privés de ces livres en disant à l’administration qu’ils « formaient des théologiens ». À la suite de cette intervention, on nous a apporté les histoires de Tintin et Milou et des livres aux titres off ensants comme Un âne venant de l’Est.

Par ailleurs, le CICR a amélioré encore ses contacts avec les personnes privées de liberté en leur off rant des moyens de communiquer avec leurs proches, notamment par Internet ou par téléphone.

Au regard des expériences que je viens d’évoquer, je vois plusieurs points négatifs auxquels le CICR aurait dû remédier dans ses contacts avec les détenus.

1. Les visites de délégués non arabes ont créé une barrière psychologique en raison des diff érences culturelles et linguistiques, ce qui a conduit à un manque de confi ance de la part des détenus à l’égard du CICR.

2. Concernant l‘emblème du CICR, il serait à l’évidence irréaliste de demander à l’institution de le changer pour établir la confi ance avec les bénéfi ciaires de ses services humanitaires. Cependant, il serait très utile que l’institution s’emploie à éclaircir les choses en donnant une explication historique afi n de dissiper les malentendus, en particulier chez certaines personnes de culture islamique qui n’ont vraisemblablement pas connaissance de la véritable origine de l’emblème de la croix rouge.

Conformément à son principe de confidentialité, le CICR ne rend pas publiques ses observations sur l’intérieur de Guanta namo. À première vue, cela semble légitime, compte tenu des services que le CICR parvient à off rir aux personnes détenues à Guanta namo. Toutefois, en tant qu’ancien détenu, je suggérerais au CICR de faire preuve de réserve plutôt que d’un silence absolu1, car certains aspects pourraient et devraient être dénoncés clairement et ouvertement dans les médias.

Je pense par exemple au refus de reconnaître aux internés de Guanta namo les privilèges octroyés par les Conventions de Genève, notamment le droit d’étudier et de recevoir les soins médicaux dont ils ont besoin. Paradoxalement, nous avons parfois eu l’impression que c’était nous qui protégions les délégués du CICR et non l’inverse. Leur silence les rendait faibles aux yeux de nos geôliers, alors que nous voulions qu’ils soient respectés en tant que personnes faisant autorité.

1 Note de l’éditeur : Le CICR se réserve la possibilité de dénoncer publiquement des violations spécifi ques du droit international humanitaire, si les conditions suivantes sont réunies : (1) ces violations sont importantes et répétées ou susceptibles de répétition ; (2) les délégué(e)s ont été les témoins directs de ces violations, ou l’existence et l’ampleur de ces violations sont établies au moyen de sources sûres et vérifi ables ; (3) les démarches bilatérales faites à titre confi dentiel et, le cas échéant, les eff orts de mobilisation humanitaire n’ont pas réussi à faire cesser les violations ; (4) une telle publicité est dans l’intérêt des personnes ou des populations atteintes ou menacées. Voir « Les démarches du Comité international de la Croix-Rouge en cas de violations du droit international humanitaire ou d’autres règles fondamentales qui protègent la personne humaine en situation de violence », dans Revue internationale de la Croix-Rouge, Vol. 87, Sélection française 2005, p. 351-358.

46

Sami El Haj – Perspectives d’un détenu de Guantanamo

Le CICR devrait donc établir un mécanisme effi cace de coopération avec les médias internationaux, afi n de faire la lumière sur toutes les violations portant atteinte à la dignité humaine. Bien qu’on ne puisse qu’applaudir la Croix-Rouge pour être parvenue à obtenir l’accès à Guanta namo à une époque où les personnalités de premier plan se font d’ardents défenseurs de la démocratie et des droits de l’homme, et même des droits des animaux, il est devenu inacceptable de se taire sur l’existence même de Guanta namo et encore moins sur ce qu’il s’y passe.

Volume 94 Sélection française 2012 / 4 INTERNATIONALE de la Croix-Rouge

PERSPECTIVES SUR LE CICR

* La version anglaise de cet article est parue dans International Review of the Red Cross, Vol. 94, N° 888, Hiver 2012.

: : : : : : :

Ma famille est originaire de la province de Logar, dans l’est de l’Afghanistan. Lorsque j’étais enfant, comme la région où nous habitions n’était pas sûre à cause de la guerre, nous avons fui notre foyer pour aller vivre chez des proches à Kaboul. Petite, j’aimais jouer dehors avec les enfants de nos voisins. J’ai perdu ma jambe à cause d’une mine quand j’avais 14 ans. Je me rendais chez mes voisins lorsque j’ai marché sur une mine ; l’explosion m’a projetée en l’air dans un nuage de poussière. Je me souviens des voix assourdies de gens qui criaient alors que je gisais sur le sol, désorientée et en sang.

Mon père et d’autres personnes ont entendu l’explosion et sont venus à mon secours. Je me rappelle son regard horrifi é quand il m’a soulevée. Avec d’autres personnes, il m’a transportée d’urgence à l’hôpital sur une brouette. Je ne me souviens pas de tout ce qui s’est passé sur le chemin de l’hôpital, mais les sanglots de ma mère et des autres personnes présentes sont gravés dans ma mémoire. Quand nous sommes arrivés aux urgences de l’hôpital, le personnel médical s’est précipité pour me prendre en charge avant que je perde conscience. J’ai appris par la suite que le CICR soutenait cet hôpital pour qu’il puisse soigner les personnes blessées pendant les combats à Kaboul durant la guerre.

J’avais la tête embrumée en me réveillant le lendemain et j’étais encore somnolente. Les médecins m’ont alors informée que j’avais été grièvement blessée à la jambe droite et qu’ils n’avaient pas réussi à la sauver. Ils avaient dû l’amputer. Sous le coup de l’émotion, j’ai fondu en larmes. Mes parents, qui étaient présents, se sont approchés pour me réconforter. Je suis restée 40 jours à l’hôpital pour me rétablir, puis on m’a laissé sortir.

Farzana Sadat *

30 ans, bénéfi ciaire du programme orthopédique du CICR en Afghanistan

48

Farzana Sadat

De retour à la maison, j’ai découvert que ma vie allait être diffi cile. Comme je n’arrivais pas à marcher toute seule, je ne pouvais pas aller à l’école. Ma famille m’aidait chaque jour à faire face à cette situation. Après deux mois à la maison, on m’a emmenée au centre orthopédique du CICR, à Wazir Akbar Khan, où un moulage a été réalisé pour fabriquer une jambe artifi cielle. Deux semaines plus tard, je suis retournée au centre orthopédique ; on m’a équipée d’une jambe sur mesure et j’ai commencé à faire de la physiothérapie. Grâce à ces séances, j’ai réappris à marcher en quelques semaines.

Cependant, même si l’assistance médicale du CICR était gratuite, ma famille avait du mal à joindre les deux bouts. J’ai donc demandé au centre orthopédique si je pouvais y travailler, afi n de venir en aide à ma famille. Par chance, le centre avait justement besoin d’une personne supplémentaire à la laverie et j’ai pu obtenir ce poste.

Après avoir travaillé dans la laverie du centre orthopédique du CICR pendant sept mois, je me suis rendu compte que je pouvais me rendre plus utile. Je me suis donc adressée à la direction du centre, pour lui demander comment je pourrais contribuer à soigner les patients et participer à leur réadaptation physique. On m’a conseillé de retourner à l’école, car une éducation de base était indispensable pour me préparer à une formation en orthopédie. Je suis alors retournée à l’école et, avec le soutien fi nancier du CICR, j’ai étudié jusqu’à l’obtention de mon diplôme de neuvième année. J’ai ensuite commencé à travailler comme stagiaire au centre orthopédique, tout en continuant à fréquenter deux heures par jour l’école du soir.

À la fi n de ma douzième année d’école, le CICR a fi nancé ma participation à une formation de technicienne orthopédiste sur quatre ans, à la suite de laquelle j’ai suivi un cours de perfectionnement d’une année.

Pendant ma période de formation au centre orthopédique, je travaillais comme technicienne pour renforcer mes connaissances et mes compétences et j’ai acquis de l’expérience en travaillant avec les patients. La satisfaction que j’éprouve quand je peux venir en aide à un patient est toujours très gratifi ante. Comme je suis moi-même handicapée, je comprends ce que ressentent les patients et les épreuves qu’ils traversent et cela me permet de les aider. Je ressens leur douleur et je fais toujours de mon mieux pour les aider à surmonter leurs diffi cultés.

Le CICR m’a donné une occasion exceptionnelle d’aider les personnes qui, comme moi, souff rent d’un handicap. Je souhaite continuer à aider les autres et à gagner honnêtement ma vie grâce à mon travail. Je suis célibataire et le seul soutien de ma famille de 11 personnes. Mes parents sont malades et ne peuvent se passer de mon soutien pour leur traitement et leurs besoins quotidiens. Tous mes frères et sœurs, à part une sœur qui est mariée, dépendent de mon salaire pour subvenir à leurs besoins essentiels.

Depuis que j’ai commencé à travailler pour le CICR il y a 15 ans, j’ai été témoin de l’augmentation de l’assistance orthopédique aux personnes handicapées.

INTERNATIONALE de la Croix-Rouge

Volume 94 Sélection française 2012 / 4

Il y a quelques années, le centre a été déplacé de Wazir Akbar Khan vers un complexe plus grand situé en face de l’université de Kaboul, afi n de faire face au nombre crois-sant de personnes victimes de la guerre. Voici ce que j’ai pu observer :

1. En engageant davantage de techniciens orthopédiques et en améliorant la qualité de la formation, le centre a réussi à faire face à l’augmentation des besoins ; il lui faut toutefois plus de techniciens, car la demande d’appareils orthopédiques est de plus en plus forte.

2. Le recours à de meilleures technologies, telles que le polypropylène, pour la fabrication d’appareils orthopédiques légers, permet aux patients de disposer d’appareils faciles à utiliser et simplifi e également notre travail.

3. À mesure que la demande de services de réadaptation physique augmentait, le centre orthopédique s’est doté de davantage de personnel et de matériel. Il est ainsi mieux à même de répondre aux besoins des patients.

4. Le nouveau programme d’intégration sociale propose une formation pratique et du microfi nancement ; certains patients peuvent ainsi regagner leur communauté avec les ressources leur permettant de lancer une petite aff aire et de gagner leur vie pour entretenir leur famille.

Volume 94 Sélection française 2012 / 4 INTERNATIONALE de la Croix-Rouge

PERSPECTIVES SUR LE CICR

* La version anglaise de cet article est parue dans International Review of the Red Cross, Vol. 94, N° 888, Hiver 2012.

: : : : : : :

C’est pour moi à la fois un privilège et un plaisir de répondre à votre invitation à contribuer à ce numéro spécial de la Revue internationale de la Croix-Rouge. En tant que commandant suprême des forces alliées en Europe, je supervise toutes les opérations mondiales de l’OTAN et considère comme essentielles les bonnes relations entre le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et les forces armées.

Dans le monde actuel, marqué par des confl its et des insurrections complexes, nombreux sont ceux qui pensent que des frictions sont inévitables entre les forces armées et les organisations civiles internationales et non gouvernementales. Je ne suis pas de ceux-là. Le CICR a toujours été un solide compagnon des hommes et des femmes en uniforme au combat.

Aujourd’hui, le CICR concentre davantage ses eff orts sur les civils ; mais à ses débuts, la Croix-Rouge a été créée pour répondre aux souff rances des soldats blessés.

En 1864, la première Convention de Genève a défi ni l’obligation faite aux armées de porter secours aux blessés, quel que soit leur camp, et elle a établi une norme nouvelle

Agir pour un monde

Dans le document CICR : 150 ans d'action humanitaire (Page 45-53)