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Une gestion des conflits d’environnement par le droit

2. Des approches successives de la concertation

2.2. Penser le patrimoine naturel

2.2.1. Une gestion des conflits d’environnement par le droit

Les conflits environnementaux sont historiquement li•s au juridictionnel. Ce n’est pas pour rien si sur le plan scientifique, la recherche juridique sur l’environnement ait pr•c•d• beaucoup d’autres disciplines70.

L’environnement est une affaire de pr€toire avant d’ˆtre un objet de concertation. La loi “ Littoral ” de 1986, embl€matique de la reconnaissance institutionnelle de la cause environnementale, est n€e typiquement des actions en justice. Il est bien possible que Serge Antoine, qui f‘t un acteur de cette loi, ait jou€ par ailleurs un rŒle sur le plan scientifique dans le d€veloppement de la recherche juridique fran‰aise sur l’environnement jusqu’au sein d’organisations internationales tels le PNUE, le Conseil de l’Europe, l’OCDE, etc.

En tout cas, cette fameuse loi “ Littoral ”, pr€par€e par d’autres l€gislations particuli…res visant ‡ donner ‡ la puissance publique des moyens suppl€mentaires d'agir pour prot€ger les zones littorales soumises ‡ une construction effr€n€e, montre que l’environnement comme domaine d’action publique €merge avec la mise en place d’un droit administratif d’autorisation qui va s’ancrer progressivement dans un droit p€nal (Encadr€ 3). En acqu€rant en particulier la possibilit€ de d€f€rer, c’est tout un arsenal proc€dural qui se construit suivant une logique du recours en justice (de la “ judiciarisation ”), en mˆme temps que l’on institutionnalise les proc€dures de concertation71. L’histoire des associations environnementalistes

l’atteste, celles-ci se sont largement constitu•es en s’engouffrant dans la br‡che du droit d‡s les ann•es 1960. L'expertise au cœur du militantisme vert s’est amplement adoss•e au tandem juriste/ing•nieur •cologue72.

70 Les premiers travaux datent du tout d€but des ann€es 1970. En 1974, la Soci€t€ franŠaise pour le droit de l’environnement (SFDE) est cr€€e, suivie en 1976 du lancement de la Revue juridique de l’environnement. Peu • peu les travaux juridiques sur l’environnement trouvent une reconnaissance universitaire. Un enseignement sp€cialis€ existe et un prix de th„se est d€cern€ depuis 1994 par la SFDE, pour le droit de l’environnement, et par l’Association franŠaise du droit de l’urbanisme (AFDRU), pour le droit de l’urbanisme. M. Prieur, “ La recherche juridique en environnement ”, in C. Henry, M. Jollivet (dir.), “ La question de l'environnement dans les sciences sociales. El€ments pour un bilan ”, Programme Environnement Vie et Soci€t€ du CNRS, Lettre nˆ sp€cial, nˆ 17, f€vrier 1998, p. 89.

71 A cet €gard la Loi du 2 f€vrier 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, dite “ Loi Barnier ”, du nom du ministre de l’Environnement de l’€poque, est particuli„rement importante. Le Chapitre 1er (Art. 2) cr€e une commission dite “ Commission du d€bat public ” pour organiser la consultation du public et des associations en amont des d„cisions d’am„nagement, et le Chapitre 2e (Art. 5) donne la possibilit„ aux associations r„guli‚res de protection de l’environnement et de d„fense de la nature de faire l’objet d’agr„ment motiv„ de l’administration publique et, ainsi, de pouvoir attenter une action civile en cas de pr„judice aux int„rŠts collectifs qu’elles ont pour objet de d„fendre. 72 A Buchmann, “ Les „cologistes et l'am„nagement ”, Dossiers des s€minaires Techniques, Territoires et Soci€t€s “ Les

Encadr€ 3 : La loi “ Littoral ” de janvier 1986

Plusieurs l€gislations particuli…res sont intervenues afin de r€pondre ‡ de probl…mes nouveaux qui affectent gravement le littoral et donner ‡ la puissance publique des moyens suppl€mentaires d'agir. Il en est ainsi par exemple:

- de la l€gislation relative aux p€rim…tres sensibles, devenus depuis la loi n’ 85-729 du 18 juillet 1985 espaces naturels sensibles qui, d'abord mise en œuvre pour la protection du littoral Provence-Alpes-CŒte-d'Azur au d€but des ann€es 1960, a €t€ pr€conis€e par la suite pour assurer la protection de l'ensemble des autres d€partements littoraux ; cette l€gislation offre aux d€partements de nombreuses pr€rogatives afin d'assurer de fa‰on efficace la sauvegarde des espaces littoraux, qu'il s’agisse de l'exercice d'un droit de pr€emption sur les terrains mis en vente, de recettes fiscales pour financer ces acquisitions, de l'€diction de zones de protection en l'absence de P.O.S.

- de la cr€ation par la loi n’ 75-6O2 du 10 juillet 1975 du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, €tablissement public de l’†tat ‡ caract…re administratif charg€ de “ mener une politique fonci…re de sauvegarde de l’espace littoral, de respect des sites naturels et de l’€quilibre €cologique ” ; depuis sa cr€ation, le Conservatoire est devenu propri€taire de 40 227 hectares d'espaces naturels, fragiles ou menac€s, qui concernent 305 sites et 543 kilom…tres de rivages (soit 6,7 % du lin€aire cŒtier), marais, dunes, vasi…res, Šles, Šlots, bois, landes, etc.

La Loi Littoral du 3 janvier 1986 consacre une double €volution. Si le littoral a fait I'objet de multiples l€gislations particuli…res au cours des temps et bien souvent au gr€ des circonstances, il n'existait aucune l€gislation tendant ‡ appr€hender d'une fa‰on globale les diverses questions qui se posent ‡ cet espace tant maritime que terrestre. Par ailleurs, s'il existait depuis les ann€es 1970 une politique d'ensemble et une doctrine relative ‡ l'am€nagement et ‡ la protection du littoral, celle-ci €tait interne a l'administration et n'avait pas €t€ sanctionn€e par le l€gislateur. La loi, vot€e ‡ 1'unanimit€ par les parlementaires affiche dans son

article ler la n€cessit€ d'une politique sp€cifique d’am€nagement de protection et de mise en valeur du littoral. Ce sont bien €videmment ces

dispositions de la Loi Littoral qui provoquent le plus de controverses. Certaines de ses notions telles que : extension limit€e de

l'urbanisation, espaces proches du rivage de la mer, espaces remarquables ou caract€ristiques du littoral, ont r€serv€ aux sp€cialistes et aux juges le

monopole d'une lecture incertaine et en tous cas fragmentaire de la loi. Mal pr€par€e, mal vot€e, la Loi Littoral serait encore mal appliqu€e. Elle constitue, en tout €tat de cause un texte dont a fr€quemment ‡ connaŠtre le juge, indice du caract…re particuli…rement aigu des conflits d’usage du sol sur le littoral. L’extrˆme diversit€ des littoraux rendait difficile sinon impossible un cadre juridique unifi€. Ainsi assiste-t-on ‡ un processus entam€ avec la loi Montagne de segmentation du droit soulign€ par J.- CL. H€lin et R. Houstiou : “ ‹ la faveur de la d€centralisation, le droit fran‡ais prend acte, dans un texte l€gislatif, de la diversit€ des situations

locales. A d€faut de l’avoir fait en ce qui concerne les structures administratives territoriales il tend d€sormais Š la prendre en compte au niveau de certains espaces sp€cifiques. ” Cette technique l•gislative a conduit le juge ‚ donner aux termes employ•s par le l•gislateur un contenu

prenant en consid•ration les circonstances locales. Source : http://membres.lycos.fr/auba/

Avec le renforcement du droit de l’environnement, une partie des objets environnementaux sont extraits de la logique de la n•gociation. Le droit contribue ‚ cr•er des objets ou des terrains de non n•gociation. Les zones ou les espaces prot•g•s ne sont pas n•gociables (th•oriquement). Quand un statut juridique est fix•, l’espace de n•gociation se r•duit. Il d•pend des interstices laiss•s par les vides et les d•faillances juridiques. Pour certains de nos interlocuteurs, la cons•quence est imm•diate : lorsque le droit n’est pas propice ‚ la n•gociation, quand des objets ou des territoires sont prot•g•s au stade de la sanctuarisation, on n’est plus dans le domaine de l’•cologie, car on se trouve dans un syst‡me de rapports bloqu•s. Pour eux, la logique de la protection/sanctuarisation conduit la politique de protection de la nature dans une impasse. Et de donner aussitˆt l’exemple de la directive NATURA 2000 (Encadr• 4), qui leur appara•t comme un •chec dans l’avanc•e vers une d•marche ouverte dans la d•finition de zones de faunes et de flores prot•g•es. De mƒme, le Comit• national de la protection de la nature leur para•t clos sur lui-mƒme, et les dispositifs “ Parcs Naturels R•gionaux ” (PNR) ou conservatoires..., trop abscons et ferm•s ‚ la concertation. Mƒme le Conservatoire du littoral, qui a pourtant servi d’autres approches, serait •galement touch• par cette tendance, en n’ayant que pour politique l’achat sans discussion, ni •valuation, de territoires jug•s prioritaires.

Encadr€ 4 : NATURA 2000

Le r€seau Natura 2000 a pour objectif de contribuer ‡ pr€server la diversit€ biologique sur le territoire de l'Union europ€enne. Il assure le maintien ou le r€tablissement dans un €tat de conservation favorable des habitats naturels et des habitats d'esp…ces de la flore et de la faune sauvages d'int€rˆt communautaire. Il est compos€ de sites d€sign€s sp€cialement par chacun des †tats membres en application des directives europ€ennes dites “ Oiseaux ” et “ Habitats ” de 1979 et 1992. Sa cr€ation contribue en outre ‡ la r€alisation des objectifs de la convention sur la diversit€ biologique adopt€e au “ Sommet de la Terre ” de Rio de Janeiro en juin 1992.

Le minist…re de l'€cologie et du d€veloppement durable alimente ce service pour rendre accessible au public les informations sur la contribution fran‰aise ‡ la constitution du r€seau Natura 2000.

Quelle est la m€thode ?

Le “ document d'objectifs ” constitue une d€marche novatrice. Il est €tabli sous la responsabilit€ du pr€fet de d€partement assist€ d'un op€rateur technique, en faisant une large place ‡ la concertation locale. Un comit€ de pilotage regroupe sous l'autorit€ du Pr€fet les partenaires concern€s par la gestion du site (collectivit€s locales, propri€taires, exploitants, associations, usagers...) ou leurs repr€sentants. Ce document d€finit les orientations de gestion et les mesures de conservation contractuelles et indique, le cas €ch€ant, les mesures r€glementaires ‡ mettre en œuvre sur le site. Il pr€cise les modalit€s de financement des mesures contractuelles.

C'est donc ‡ partir du document d'objectifs que seront €tablis les contrats de gestion. Pour aider ‡ la r€alisation des documents d'objectifs, des outils sont mis ‡ la disposition des services de l'†tat et des op€rateurs :

- Un “ guide m€thodologique ”, €labor€ ‡ la suite d'une op€ration exp€rimentale cofinanc€e par l'Union europ€enne et men€e sur 37 sites pilotes, traite de la r€daction du document d'objectifs.

- Un “ plan de formation ”, mis en place d…s 1999 pour les agents de l'†tat (DIREN, DDAF...) ainsi que pour les op€rateurs techniques, contribue €galement ‡ l'€change d'exp€riences entre les r€gions.

- Par ailleurs, les “ cahiers d'habitats ” pr€sentent pour chaque habitat d€fini dans la directive une synth…se des connaissances scientifiques ainsi que des recommandations de gestion. Leur r€daction a €t€ confi€e ‡ des scientifiques et ‡ des gestionnaires de milieux naturels.

Source : http://natura2000.environnement.gouv.fr/

On fabriquerait ainsi des territoires o• les publics seraient malvenus, car consid€r€s comme des pr€dateurs. Plusieurs facteurs joueraient dans ce sens, comme la pression tr…s forte des associations naturalistes (notamment des ornithologues en ce qui concerne la d€fense des zones humides, par exemple) mais aussi l’effet des formations et des recrutements concernant les agents en charge de ces structures (plutŒt des naturalistes : botanistes, herboristes…).

Dans ces conditions, la logique de la concertation devient politique. Elle apparaŠt comme une fa‰on de substituer l’acceptable ‡ l’interdit, et comme une solution n€cessaire pour sortir de cette impasse.