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Sur les limites et la finalit€ de la concertation

4. Des questions peu pos€es :

4.2. Sur les limites et la finalit€ de la concertation

En ce qui concerne les limites et les finalit€s de la concertation, il existe encore de nombreuses questions ‡ explorer, mais soulignons surtout l’€volution ‡ la fois des objectifs affich€s des proc€dures depuis les ann€es 1980 jusqu’‡ aujourd’hui et la posture politique ou id€ologique des chercheurs faisant des recherches. En effet, si on remarque durant la d€cennie 1980 l’objectif d’att€nuer les conflits (ainsi qu’un biais de la part des chercheurs ‡ l’€gard d’un tel r€sultat), dans les ann€es 1990, la concertation et la participation visent plutŒt ‡ trouver une solution ‡ des probl…mes, la notion de conflits prenant moins d’importance. C’est un peu avant 2000 que l’on remarque une tendance forte autant dans la litt€rature francophone que celle anglophone : l’€mergence d’un nouvel imp€ratif, le consensus. Ceci nous ram…ne ‡ notre question sur l’implication de la concertation pour la th€orie d€mocratique : l’attitude d€mocratique ne n€cessite-t-elle pas une potentialit€ d’une remise en question de l’autorit€ €lue et non €lue, une remise en cause de celui qui parle avec autorit€ ? Il nous semble au contraire que ce doute ‡ l’€gard du pouvoir, ces revendications et ces refus au sein de la soci€t€ civile sont davantage un signe de sant€ d€mocratique que ceux d’une crise. Alors, pourquoi cet “ imp€ratif ” du consensus ? Les d€cideurs, dans leurs discours, autant que les chercheurs dans leurs analyses, semblent en effet rechercher le consensus parmi la multiplicit€ des acteurs mais :

 Le consensus est-il n€cessaire ? Souhaitable ? R€alisable ?

 Pourquoi cette finalit€, voire cette fa‡on de voir la d€mocratie alors que celle-ci est un am€nagement d’int€r‚ts

divergents et m‚me contradictoires ?

Il faut souligner ici que la litt•rature sur le rˆle de la science et de l’expertise dans la d•cision rel‡ve de plus en plus d’acteurs et de chercheurs prenant une position en faveur d’expertises multiples et

contradictoires. Dans le domaine de l’environnement, les d•cisions, fond•es sur une approche positiviste

selon laquelle une “ v•rit• ” scientifique et objective existe et qui doit ƒtre au fondement de toutes politiques, sont remplac•es depuis les ann•es 1990 partout dans le monde par une nouvelle v•rit•, non scientifique mais tout autant l•gitime aux yeux des acteurs, celle de la d•cision plurielle. La d•cision “ vraie ” est devenue une d•cision “ acceptable ”, ce qui ne garantit aucunement sa valeur

Encadr€ 10 : Anecdote sur les limites de la consultation du public.

Au cours d’une recherche dans un quartier de Grenoble, une doctorante discute avec deux hommes Žg•s, sur une consultation publique portant sur la r•novation et la future utilisation d’une vieille bŽtisse dans le quartier St-Bruno. L’un n’est pas au courant mais l’autre lui rappelle qu’ils avaient vu une affiche sur un mur.

-- “ Ah, oui, je me rappelle. Mais on a le droit d’y participer ? ”

-- Doctorante : “ Bien s‘r, c’est public. Nous voulons savoir ce que vous en pensez. Qu’est-ce qui devrait ƒtre fait avec cette bŽtisse ? ”

-- “ Oh, je sais pas. Ca co‘te quelque chose pour aller ‚ la consultation ? ”. Grenoble, 2003.

environnementale ni son efficacit•. De plus, il est frappant de voir ‚ quel point on n’apprend pas des le„ons de l’histoire, car ni le consensus ni le vote majoritaire ne peut assurer en lui-mƒme ni l’environnementalisme de la d•cision ni sa qualit• d•mocratique : le “ consensus ” et la participation peuvent tr‡s bien d•boucher sur l’autoritarisme - environnementaliste ou autres. N’est-il pas alors quelque peu contradictoire de constater l’•mergence du consensus comme objectif n•cessaire aux proc•dures de participation ? Quelques chercheurs ont •galement relev• ce probl‡me, comme Laurent Lepage qui pose la question suivante :

 Quels peuvent ‡tre les effets de l’objectif du consensus sur la proc•dure elle-m‡me, son d•roulement, ses rƒgles et sur

la d•cision elle-m‡me ?

Sa r•ponse est l’•vitement des enjeux trop difficiles, pour lesquels le consensus n’est pas possible, ce qui est souvent le cas des controverses environnementales, notamment en ce qui a trait aux mesures visant ‚ modifier les comportements et les habitudes de consommation des individus. Selon Amy, les notions d’accord, d’entente et de consensus surtout dans le contexte d’une proc•dure de participation, comportent une grande valeur morale. La proc•dure •tant elle-mƒme consid•r•e comme amorale et neutre, ceci signifie que celui qui refuse le consensus est immoral (puisque la proc•dure d•mocratique ne peut pas ƒtre rejet•e). Notons cependant qu’une autre recherche en cours sur la question des d•chets et du tunnel ‚ Grenoble montre la m•fiance des acteurs ‚ l’•gard des proc•dures de participation : ce ne serait qu’une fa„on de gagner du temps, d’ajouter ‚ l’•puisement des associations205.

Le consensus fait appel ‡ une autre question, th€orique : agir et penser dans un cadre de consensus revient ‡ parler d’une communaut€ politique dans laquelle la puissance publique n’est plus con‰ue en terme de hi€rarchie mais d’€changes dont elle n’est plus le centre. Mais cela ne revient-il pas ‡ occulter les relations de pouvoir in€galitaires entre les acteurs, un vœux pieux ? L’emphase relative au consensus et ‡ la gestion au niveau national ne revient-elle pas ‡ gommer non seulement les hi€rarchies mais aussi ‡ s’extraire des diff€rences politiques et des divergences incompatibles ?

C’est probablement le cas de la Banque mondiale, dans ses efforts ‡ instrumentaliser l’†tat par le biais de son discours sur la bonne gouvernance depuis son rapport 1997206, mais les recherches manquent sur ce

th…me au niveau local. Nous soulevons enfin, une derni…re question importante en regard de la durabilit€ :

 Quelle est la profondeur r€elle du consensus atteint durant une proc€dure de participation ?

 La d€cision va-t-elle au-delŠ de la proc€dure ?

Si ce n’est pas le cas, alors, cela aurait des impacts sur la p•rennit• et l’utilisation des projets environnementaux comme le recyclage, en ce qu’un premier accord atteint dans une situation non ordinaire de participation ne tient pas ‚ long terme. On pourrait alors poser qu’un tel consensus s’av‡re

205 G. Assouline, S. La Branche, P. Warin, Un atelier d’•change d’exp•riences relatives ‚ des crises ou controverses

locales ou nationales dans plusieurs pays europ•ens. Le cas de la gestion des ordures m•nag…res, des politiques de transport urbain et des OGM, Actes du colloque, PUG, janvier 2005.

206 S. La Branche, “Au-del• de l’expertise : l’utilisation de la Bonne Gouvernance par la Banque mondiale”, in Dumoulin et

de fait, bien superficiel et qu’il n’illustre en rien la profondeur bien relative des valeurs de certains des acteurs impliqu•s dans la n•gociation. C’est du moins l’hypoth‡se que nous posons dans une recherche sur les r•gimes internationaux environnementaux dans le domaine des barrages207.

Au niveau philosophique, il est possible que cet id€al du consensus dans la recherche sur la participation et les nouvelles proc€dures d€mocratiques dans l’environnement provient de notre €pist€mologie positiviste qui a de grandes difficult€s ‡ prendre en compte le symbolique, l’affect et la “ v€rit€ ” non objective et non scientifique qui tient que toute contradiction peut ˆtre r€solue et donc, qu’elle n’existe que par l’absence de savoirs et non pas dans la r€alit€ objective.

Ces diverses interrogations de nature politique et politologique ne nous permettent pas d’aborder un enjeu fondamental autant pour les d€cideurs que pour les chercheurs et la soci€t€ civile, que pour l’environnement lui-mˆme. Un enjeu que l’on peut poser sous la forme d’une question provocatrice : que faire et que penser lorsque les proc€dures de participation, de n€gociation et la recherche du consensus m…nent ‡… une d€cision non environnementale ? Lorsque, d€mocratie ne rime pas avec environnement ? Lorsque, en somme, la d€cision plurielle refuse l’option environnementale ?