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Une conceptualisation des conflits d’environnement

2. Des approches successives de la concertation

2.2. Penser le patrimoine naturel

2.2.2. Une conceptualisation des conflits d’environnement

La mont•e en puissance des conflits d’environnement va donner lieu ‚ des ensembles de recherches qui s’int•ressent ‚ leur gestion. Pour une part, les acteurs ‚ l’origine de ces travaux sont d•j‚ situ•s, comme la MER. Mais la reconstitution de cette histoire scientifique conduit ‚ en d•couvrir d’autres, du cˆt• du minist‡re de l’Environnement mais aussi de l’Agriculture, qui sont parfois en relation avec les pr•c•dents, du fait de la pr•sence d’acteurs s•cants, de regroupements minist•riels et par moments de recoupements th•matiques entre ‹quipement et Environnement. Plus pr•cis•ment, l’organisation institutionnelle des recherches en sciences sociales sur l’environnement est li•e ‚ la cr•ation et aux initiatives de trois structures, d’o• •mane ensuite l’essentiel des impulsions : le Programme interdisciplinaire de recherche “ Environnement ” (PIREN) cr•• en 1979 par le CNRS, le d•partement “ Syst‡mes agraire et

d€veloppement ” (SAD) de l’INRA qui date de la mˆme ann€e et le premier service de recherche du minist…re de l’Environnement (le SRETIE) (Encadr€ 5).

Encadr€ 5 : L’organisation institutionnelle des recherches en sciences sociales sur l’environnement

“ Tandis que le PIREN, le SAD et le SRETIE poursuivaient leur actions, fut-ce sous des d€nominations qui variƒrent avec le temps, d’autres

initiatives dans le m‚me sens furent prises dans les diff€rents organismes de recherche (au MNHM, Š l’ORSTOM, au CEMAGREF, au CIRAD et tout particuliƒrement dans le d€partement “ †conomie et sociologie rurales ” de l’INRA).

Il convient toutefois de rappeler que ces initiatives institutionnelles avaient €t€ pr€c€d€es par les actions de la DGRST, qui s’€taient incarn€es dans une s€rie de programmes pilot€s par des comit€s successifs, €galement Š partir du d€but des ann€es 1970 ; le dernier de ces comit€s (intitul€ “ Diversification des modƒles de d€veloppement rural ”) exista jusqu’en 1986. C’est m‚me directement l’action de ces comit€s qui fut relay€e au CNRS par la cr€ation du PIREN, et Š l’INRA par celle d’un v€ritable d€partement de recherche (le d€partement SAD) qui est un des lieux oˆ s’est r€alis€e le plus m€thodiquement en France une programmation de recherche associant sciences sociales, sciences de l’ing€nieur et €cologie.

Mais les actions men€es au sein des comit€s de la DGRST ne couvraient qu’une partie du champ de recherche sur l’environnement, leurs th€matiques €taient pour l’essentiel contr€es sur la gestion des ressources naturelles renouvelables et leur terrains de recherche privil€gi€s €taient ruraux, lieux de pr€dilection des activit€s agricoles et forestiƒres. Ceci explique que l’INRA se soit senti tout particuliƒrement concern€ et que les recherches sur les “ systƒmes ruraux ” aient eu aussi dƒs le d€but dans la programmation du PIREN une place de choix, qu’ils conservent d’ailleurs aujourd’hui dans celles du Programme interdisciplinaire de recherche “ Environnement, vie et soci€t€ ”, dans le cadre du comit€ “ Systƒmes €cologiques et actions de l’Homme ” (SEAH). Dans ce seul domaine agricole et rural, un €largissement des th€matiques et des d€marches s’est ensuite produit avec le d€veloppement des recherches en sciences sociales tant hors de l’INRA qu’Š l’INRA. ”

Source : C. Henry, M. Jollivet (dir.), “ La question de l'environnement dans les sciences sociales. El€ments pour un bilan ”, Programme “ Environnement Vie et Soci€t€ ” du CNRS, Lettre n’17, num€ro sp€cial, f€vrier 1998, p. 5.

D’une fa„on g•n•rale, la recherche environnementale oscille, comme la recherche urbaine, entre critique et pragmatisme. Toutefois, une diff•rence appara•t avec les travaux pr•c•dents, qui abordent l’environnement essentiellement comme une question sociale. En effet, l’environnement va ƒtre d‡s le d•part consid•r• davantage par les protagonistes de cette histoire scientifique comme un mouvement permanent d’adaptation hommes/nature, qui ne peut se suffire d’une approche anthropocentrique qui empƒche de poser la question environnementale comme paradigme g•n•ral, ‚ partir duquel le devenir des soci•t•s doit ƒtre per„u et trait•.

Une illustration de cette diff•rence, qui est loin d’ƒtre anecdotique, concerne les avis des uns et des autres sur l’action de Maurice Godelier ‚ la direction scientifique du d•partement des Sciences de l’Homme et de la Soci•t• au d•but des ann•es 1980. La recherche urbaine se satisfait apparemment de ses propositions novatrices dans le sens d’une ouverture de la recherche ‚ la demande sociale, tandis que la recherche environnementale retient avant tout le rˆle de Godelier dans l’infl•chissement des approches de l’environnement du cˆt• de l’anthropologie de la nature73 et dans le lancement du Programme

Interdisciplinaire sur l’Environnement (PIREN).

Sans dissocier exag€r€ment ces deux ensembles de recherches qui ont largement partie li€e contre le technocratisme, on peut dire que nous avons affaire ‡ des perspectives scientifiques diff€rentes. La recherche urbaine, que nous venons d’€voquer, traite essentiellement les enjeux d’environnement (pris ‡ travers diff€rents objets d’am€nagement du territoire, d’espaces construits et de cadre de vie) en termes de rapports sociaux, et propose des r€gulations juridiques, €conomiques ou politiques pour d€passer les contradictions d’une gestion univoque. En revanche, l’ensemble de la recherche environnementale, que

73 Maurice Godelier d€veloppe dans son ouvrage L’id•el et le mat•riel : Pens•e, •conomies, soci•t•s (Paris, Fayard, 1984) un chapitre sur l’appropriation sociale de la nature qui va contribuer pour beaucoup • d€cider les commanditaires de recherche au minist„re de l’Environnement • opter pour une approche r€solument multidisciplinaire de l’environnement.

nous abordons maintenant, essaie de se tenir ‚ une approche plus th•orique de l’environnement (en tant que patrimoines naturels) comme mouvement permanent d’adaptation, qui n•cessite une €pist€mƒ non cloisonn€e et sans cesse ‡ renouveler, dans la mesure o• aucun point de vue sur les enjeux d’environnement n’est, par d€finition, unique ou suffisant, et, moins encore, d€finitif. Du coup, la question de la concertation apparaŠt diff€remment selon ces deux points de vue, soit comme modalit€ particuli…re permettant d’ajuster et de concilier des points de vue ou des int€rˆts sociaux ‡ l’int€rieur de processus de d€cision r€am€nag€s, soit comme une solution globale pour r€soudre une contradiction centrale, propre au politique, suivant un raisonnement qui peut ˆtre r€sum€ ainsi :

 Les questions d’environnement interpellent le politique, car les probl…mes d’adaptation supposent de faire des choix.

 La difficult€ est que le politique fonctionne au d€terminisme74. Il ne peut concevoir sa r€ponse

suivant un sch€ma analogue ‡ celui du multi-d€terminisme permanent qui caract€rise l’environnement comme question permanente d’adaptation. Le politique pense a priori l’environnement comme un tout administr• ou administrable, comme un objet d’administration r•ductible ‚ une hypoth‡se causale.

 Du coup, des solutions sont ‚ rechercher pour sortir de cette contradiction. La concertation appara•t alors comme une possibilit• pour •viter une lecture trop univoque des enjeux d’adaptation. Mais son institutionnalisation peut devenir ‚ son tour un probl‡me si elle alimente un n•o-technocratisme mŽtin• de d•mocratie participative ou si elle conduit ‚ une homog•n•isation de la pluralit•.

Cette conception consid‡re l’environnement comme une heuristique qui tient, d’un point de vue fonctionnel, ‚ sa valeur ubiquiste : l’environnement met en rapport des dimensions qu’on ne mettrait pas

a priori en relation. Il ne serait donc pas n•cessaire de faire appara•tre de sp•cificit•s de l’environnement

autres que celle-ci en particulier. Mais mƒme avec cette pr•sentation th•orique ou id•ologique, il y a besoin de penser concr‡tement, l‚ o• ils se posent, les conflits d’environnement et leur gestion. C’est sur ce plan que la recherche en sciences sociales va ƒtre mobilis•e, pour aider ‚ trouver des solutions permettant de “ multi d•terminer ” les enjeux d’adaptation des rapports hommes/nature. La “ concertation avec le public ” affich•e aujourd’hui dans le cadre du programme “ Concertation, D•cision, Environnement ” appara•t ainsi dans la continuit• d’autres d•bats tr‡s proches sur le fond, comme ceux de la “ la gestion patrimoniale ” et “ la gestion n•goci•e des conflits ”.

Les principaux acteurs de cette histoire scientifique ne marchent donc pas tous du mƒme pas, parce qu’ils n’ont pas la mƒme conscience du service ‚ rendre au politique pour le sortir de sa contradiction. Il y a ceux qui pensent que la concertation offre une possibilit• int•ressante pour assouplir la vision d•terministe du politique. Et il y en a ceux qui le pensent •galement, mais qui souhaitent engager aussitˆt la critique de la concertation pour •viter l’immobilit• des solutions. Ceux-ci consid‡rent que la concertation devient une fa„on pour le politique de reprendre en main les tendances centrip‡tes et de limiter le renouvellement des points de vue, et ainsi de revenir ‚ un d•terminisme suffisant contre la mise en doute permanente des explications voulues par l’heuristique de l’environnement, d‡s lors qu’elle est une proc•dure r•glement•e.

74 Pour le comprendre, il suffit de voir le poids des hypoth„ses causales dans les mod„les d’explication des politiques publiques.