• Aucun résultat trouvé

4. Des questions peu pos€es :

4.3. Sur la valeur environnementale de la concertation

Les oppositions potentielles entre environnement et concertation renvoient ‡ des questions profondes de nature morale et politique :

L’environnementalisme offre-t-il une autre r€ponse ‡ la question fondamentale du vivre ensemble, une r€ponse qui s’av…re parfois compatible et parfois contradictoire avec nos processus d€mocratiques, incluant la concertation et la participation ?

Lequel de ces principes, environnementalisme ou d€mocratie, devrait recevoir et dans la pratique, re‰oit effectivement l’aval des d€cideurs ?

Depuis la fin des ann€es 1980, on constate dans la recherche francophone et anglophone, que ce soit dans le domaine de l’environnement ou dans celui, connexe, du d€veloppement international durable, que les notions de ‘durabilit€’ et de ‘participation’ ont converg€. Si au d€but, on parlait de d€veloppement durable et participatif (DDP) ou participatory and sustainable development (SPD), depuis les ann€es 1990, le terme de “ participation ” a €t€ laiss€ de cŒt€ et seul celui de “ durabilit€ ” – et de sustainability – a •t• retenu pour signifier ‚ la fois ce terme et la participation. En effet, que ce soit chez les d•cideurs ou chez les

207 S. La Branche, “ La transformation des normes… ”, op.cit, 2003 ; “ Vers une €valuation du d€veloppement durable… ”, 2003.

chercheurs, les deux notions, pourtant bien distinctes, ont •t• amalgam•es comme si la participation d’une communaut• ‚ un projet de soci•t• ou de d•veloppement menait n•cessairement ‚ un r•sultat environnemental.

Il serait int•ressant de comprendre pourquoi les deux notions de participation et de durabilit• ont •t• conjugu•es. En guise de pistes de r•flexions, on peut rappeler que la notion de DDP est issue de praticiens et de th•oriciens du d•veloppement qui d‡s le d•but des ann•es 1980 constataient l’•chec cuisant du d•veloppement directif, •conomique, mat•riel, top-down, tel que promu ‚ l’•poque par les grandes institutions financi‡res internationales et les agences nationales de d•veloppement. L’•chec •tait quasi-total : ni les conditions de vie ni l’apport journalier en calorie ni en eau potable ne montraient des signes d’am•lioration. Vingt ans auparavant, comme le rappelle Eckersely208, les probl…mes

environnementaux €taient d€j‡ per‰us comme €mergeant d’une crise de la participation dans la vie publique dans laquelle les groupes exclus tentaient d’obtenir une meilleure distribution ‡ la fois des biens environnementaux (eau potable, etc.) mais aussi de probl…mes qui y sont li€s, comme la pollution. A cette €poque, le mouvement environnemental faisait partie d’un mouvement de fond des droits civils qui revendiquait davantage de poids pour la d€mocratie “ par le bas ”. L’auteur ajoute que le mouvement environnemental fut ensuite “ domestiqu€ ” dans les ann€es 1970 et 1980 par la science politique dominante, qui se penchait surtout sur les groupes de pression et sur le processus formel de prise de d€cision. L’auteur laisse entendre que la science politique a contribu€ ‡ l’institutionnalisation de la contestation en raison de ses contacts proches avec la d€cision, ce qui m€riterait une recherche plus approfondie. Mais si c’est le cas, on pourrait €mettre une hypoth…se, plutŒt cynique, quant ‡ une des raisons pour l’amalgamation des deux notions : en int€grant les opposants environnementalistes ‡ des proc€dures de participation, les d€cideurs esp€raient contrŒler la controverse mais aussi et surtout, gommer les demandes environnementales, trop complexes et trop chaotiques pour les sch€mas de pens€e de type gestionnaire rationnel et positiviste qui r€gnait dans la plupart des administrations nationales de l’€poque.

On peut donc voir d…s les ann€es 1960, des demandes qui laissent pr€sager celles qui (r€)€mergeront dans les ann€es 1980, par le biais des universitaires et des praticiens du d€veloppement. L’argument de ces adh€rents aux alternatives au d€veloppement conventionnel €tait que pour qu’un projet soit utile, utilisable par tous et utile pour tous, les membres de la communaut€ doivent le d€sirer, s’y impliquer et participer ‡ sa conception, sa mise en œuvre et son suivi. De plus, cela permettait de prendre en compte les savoirs locaux concernant la faune, la flore, le climat, etc., et de concevoir un projet qui soit mieux int€gr€ ‡ son environnement naturel et qui soit durable. La question des savoirs locaux dans les pratiques de d€veloppement et la recherche s’y rapportant devient importante.

Des revues comme la Revue canadienne d’•tudes africaines et la Revue canadienne d’•tudes de d•veloppement adoptent une ligne €ditoriale et scientifique claire ‡ cet €gard, publiant une quantit€ sans cesse croissante de textes portant sur les savoirs locaux, les relations de pouvoir locales. D…s la fin des ann€es 1980, ces revues abordent les th…mes fondamentaux de la science politique et de la sociologie par le biais de ceux qui ont

•t• longtemps consid•r•s comme n’ayant pas de pouvoir et donc, ne repr•sentant que tr‡s peu d’int•rƒts ‚ la recherche. Dans les publications anglophones, les femmes •mergent comme un enjeu important, tandis qu’en France – et on le voit bien dans les revues, les articles et les rapports recens•s dans ce rapport - on voit une augmentation fulgurante des recherches sur les associations locales, les contestations, etc., en mati‡re d’environnement et de d•veloppement. C’est ‚ la mƒme •poque que dans une perspective de politique compar•e, Jean-Fran„ois Bayart publie son fameux l’„tat en Afrique209 qui propose une analyse

influenc€e par l’approche de Michel Foucault du d€veloppement en Afrique ‡ partir des actions locales, des comportements individuels et des micro relations de pouvoir. Ce sont les notions “ d’acteur ” et “ d’agent ” qui prennent alors une signification €largie, notamment dans les perspectives constructiviste et postmoderne.

Si ‡ cette €poque on distingue encore dans les textes les notions de participation et de durabilit€, cette distinction s’estompe durant les ann€es 1990, jusqu’‡ disparaŠtre de la presque totalit€ des recherches, le terme de durable ayant €t€ retenu. C’est €tonnant, car si dans l’utilisation du discours, la durabilit€ environnementale est mise de l’avant et la participation semble ˆtre pass€e au second plan, dans les pratiques et les recherches, c’est le contraire qui se produit : la participation prend le pas sur la durabilit€. La recherche autant que les discours des d€cideurs pr€sument que si la population participe, la d€cision sera

obligatoirement environnementale210. En 2004, un appel ‡ articles par la Revue Espaces et soci€t€s sur l’action

citoyenne et le d•bat public dans la ville confirme cette tendance.

On pourrait faire l’hypoth‡se trop simple que les d•cideurs ont particip• ‚ cette confusion des deux notions en ce que cela leur permettrait de mieux ma•triser la contestation ou encore, que le type mƒme de syst‡me d•cisionnel (directif et manag•rial) ne se prƒte que tr‡s mal aux enjeux complexes soulev•s par le DDP, mais ceci ne r•pond ‚ la question suivante :

 Pourquoi les chercheurs pr€sument-ils que les proc€dures d€mocratiques sont n€cessairement plus

environnementales ?

Pourtant, ce n’est pas les exemples contraires qui manquent. On voit, surtout dans les pays pauvres, des “ groupes concern€s ” exprimer une pr€f€rence dans une proc€dure de consultation pour une usine de produits chimiques en raison des revenus plutŒt qu’un projet qui prot…ge l’environnement. Une communaut€ fran‰aise refuse un projet de parc €olien en raison du bruit et du paysage. Encore en France, sur un des plus anciens terrils du Nord/Pas-de-Calais, un projet de d€pollution d’un site, qui n€cessite un processus de traitement biologique des sols, rencontre une forte opposition. Le projet, €cologiquement correct et localement utile est jug€ inacceptable par les riverains211. Au Qu€bec, deux communaut€s se

sont prononc€es de fa‰on oppos€e sur l’implantation d’une usine sur les berges d’une rivi…re : l’une la

208 R. Eckersley, Environmentalism and Political Theory. Toward an Ecocentric Approach, State Univ. of New York Press, Albany, 1992.

209 J-F. Bayart, L'†tat en Afrique, Fayard, Paris, 1989.

210 Pour un texte tr…s critique de la relation entre d€mocratie et €cologie, voir F. Sabelli, †cologie contre

nature. D€veloppement et politiques d’ing€rence, Presses Universitaires de France-IUED, Paris, 1995.

211 C. Neveu, “ Inacceptable d€pollution. Un terril du Nord/Pas-de-Calais ”, Minist„re de l’ƒquipement, Le g€nie associatif.

refusant pour des raisons •cologiques, l’autre l’acceptant pour des raisons •conomiques. Cette derni‡re a obtenu ce qu’elle voulait, car elle •tait g•ographiquement la plus proche. Il est clair qu’il manque des •tudes sur les raisons du refus de l’environnementalisme chez non seulement les acteurs •conomiques mais aussi chez les citoyens.

Dans les ann•es qui suivront, la question de l’opposition entre participation et environnement se posera de fa„on dramatique : que se passera-t-il lorsque, dans le contexte du protocole de Kyoto, la population refusera de se d•faire de ses habitudes et de ses comportements li•s aux automobiles ? C'est toute la question de la capacit• ou de l'incapacit• des d•mocraties ‚ exercer leur responsabilit• face aux g•n•rations futures212. Il est clair que la transparence d•mocratique n’•quivaut ni son efficacit• ‚ am•liorer

les conditions mat•rielles de la vie – encore un objectif loin d’ƒtre atteint dans le tiers monde, rappelons-le – ni son efficacit• environnementale. Tout l’enjeu du d•veloppement durable et participatif se retrouve justement dans la conciliation entre ces trois imp•ratifs : d•veloppement •conomique et mat•riel, d•mocratie et environnement.

Nous avons tent• de comprendre comment et pourquoi l’amalgame participation/environnement s’est fait en consultant les textes et en posant cette question dans diff•rents colloques, ‚ des instances d•cisionnelles et dans nos entretiens. Nous n’avons pas obtenu de r•ponses claires mais quelques commentaires nous am‡nent ‚ une hypoth‡se : la confusion entre d•mocratie et environnement pourrait ƒtre directement li•e au statut secondaire que prend l’environnement par rapport ‚ la d•mocratie dans nos champs disciplinaires et dans notre soci•t• plus g•n•ralement.