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ADAPTATION TO CLIMATE CHANGE IN FORESTRY

1. L’adaptation aux changements climatiques renforce le paradigme gestionnaire de la foresterie

1.2. Une diversification toujours plus technique

En tardant de quelques instants, c'était retarder la certitude en se cramponnant à l'espérance.

A. Dumas, Le comte de Monte-Cristo

S’il est clairement un apprentissage issu des diverses études de terrain, c’est que la diversification des adaptations aux changements climatiques se fait majoritairement sur un plan technique. La vigueur des débats sur les adaptations à retenir illustre comment les changements climatiques renforcent le technicisme des forestiers.

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En grossissant le trait, l’idéal-type de l’adaptation technique fait fi des dynamiques temporelles, comme celle de l’évolution biologique des populations d’arbres. Il se concentre sur le consensus technique de « la bonne essence au bon endroit », qui répondrait une fois pour toutes aux menaces de sécheresses ou d’attaques parasitaires. Bien qu’il les contredise, cet idéal adaptatif emprunte pourtant aux connaissances écologiques des milieux forestiers. Ainsi, la « bonne essence » peut être cherchée à l’échelle des matériels forestiers de reproduction, en testant des semences de provenances géographiques variées ou en menant des programmes de migration assistée (Sansilvestri 2015). Cet objectif de trouver une essence ou une provenance parfaitement adaptée à la station forestière d’intérêt prend en compte les particularités pédologiques et climatiques locales. Cette recherche n’induit pas forcément qu’une seule essence répondra à toutes ces particularités : à chaque station forestière sa recherche d’une essence « adaptée ».

La version interventionniste de ce mode d’adaptation est particulièrement bien représentée par la sélection variétale du pin maritime (chapitre 1, page 61). En effet, les pins de quatrième génération ont entre autres été retenus pour leur capacité à surmonter les stress hydriques (Jambois et al. 2013). Cependant, cet imaginaire d’une forêt « adaptée » grâce à la bonne configuration génétique n’est pas l’apanage des tenants de pratiques forestières fortement interventionnistes (cf. Figure 5). Il en va exactement de même du côté des partisans d’une foresterie prônant un plus grand laissez-faire. En cherchant à s’appuyer sur la plasticité phénotypique et la sélection naturelle des arbres locaux, ceux-là ne font rien d’autre que chercher à atteindre le même objectif par une voie différente, soulignant là encore une réflexion technique à des échelles spatio-temporelles qui n’est pas forcément la plus appropriée pour faire face aux CC.

Si la démarche de régénérer « le bon arbre au bon endroit » est techniquement pertinente d’un point de vue écologique, tout porte à croire que son efficacité ne sera que meilleure si elle se renouvelle à deux niveaux. En premier lieu, il importe de prendre en compte l’évolution temporelle – inédite pour les forestiers – des conditions climatiques locales, pour ne pas chercher à avoir une forêt « adaptée », mais à continuellement participer à l’adaptation des peuplements. En second lieu, il importe pour les forestiers « passifs » de reconnaître que la célérité des dérèglements climatiques fait peser un lourd risque d’échec sur la démarche d’une adaptation purement biologique. Il faut noter le mérite qu’ont des approches fondées sur les processus écologiques de ne pas se cantonner à une vision fixiste des peuplements forestiers. Cependant, pour augmenter les chances de succès de cette démarche, il peut être approprié de s’inspirer de la migration assistée afin d’enrichir les viviers génétiques locaux par l’introduction d’allèles exogènes (Bauhus et al. 2017; Sansilvestri et al. 2015). En tous les cas, si l’objectif est l’adaptation à long terme des forêts aux changements climatiques, les réponses techniques ne relèveront ni d’un extrême interventionnisme, ni d’une

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extrême passivité, mais devront perpétuellement être remises en question au cours du temps, et dans des contextes géographiques variés24.

En plus d’inhiber la réflexion sur des adaptations politiques, économiques et sociales, la surenchère technique qui prédomine dans les réponses aux dérèglements climatiques (chapitres 1, 2 et 4) préoccupe de nombreux gestionnaires forestiers qui en pressentent les limites. Pour ces derniers, les adaptations techniques permettront d’allonger encore un peu une phase de « délai » durant laquelle ils pourront surmonter les changements climatiques (Villalba 2015). Cela étant, ces ACC ne seraient pas de taille face aux conséquences des dérèglements climatiques sur le long terme (Semal & Villalba 2013). Sans pousser jusqu’au catastrophisme, les mentions régulières des interactions des problèmes sanitaires avec les changements climatiques (maladie des bandes rouges (Woods et al. 2005), chenilles processionnaires (Netherer & Schopf 2010), scolytes de l’épicéa, etc.) vont dans le sens des inquiétudes des propriétaires et gestionnaires forestiers. À titre d’exemple, l’idée que le Douglas (Pseudotsuga menziesii, essence reine de la production de bois) puisse être un jour atteint par une maladie ou un parasite a été l’objet de plusieurs échanges, comme ici dans les Pyrénées : « On sait qu’à long terme on va dans le mur, on le voit aujourd’hui avec la crise des épicéas. Si demain il y a quelque chose sur le Douglas ce sera une catastrophe. »

Qu’elles soient interventionnistes ou pas, les techniques d’adaptation qui sont mises en place étendent le besoin de gérer les forêts. Un aperçu en est donné par un forestier de l’ONF qui expliquait son choix de diminuer la densité de certaines parcelles de son unité territoriale. Le but était d’obtenir des arbres plus trapus, dont le rapport hauteur-diamètre confère une résistance accrue aux coups de vent (Gardiner et al. 2010). En ayant moins d’arbres à l’hectare, l’intéressé présumait d’une moindre sensibilité aux stress hydriques, la pression sur la ressource étant diminuée. Cela permettait aussi de diminuer les périodes de rotation, en coupant les bois plus tôt pour une mise sur le marché avancée des volumes produits. La conséquence de cette adaptation était donc de rajeunir les peuplements, en réduisant le nombre de vieux arbres. Or, ce sont les arbres les plus âgés dont l’intérêt écologique est le plus fort : présence de cavités, de dendrotelmes, etc. (Kraus et al. 2016). Pour remédier à la diminution des habitats naturels que cela causait, il a alors fallu élargir le champ de l’intervention forestière, et mettre en place et suivre des réseaux de vieux arbres, à travers l’établissement de normes sur les arbres « bios », vieillissants ou sénescents – une norme émanant des préconisations de l’ONF pour assurer la multifonctionnalité des milieux

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forestiers (ONF 2008). Une autre conséquence de la diminution des périodes de rotations est la hausse des phénomènes de lixiviation des sols (Bauhus et al. 2017), qui peut là encore conduire à des réponses techniques comme le recours à la fertilisation.

Cet auto-accroissement de la gestion technique est une donnée négligée des problématiques de la gestion des milieux naturels (Ellul 1954), dont les conséquences inconnues pourraient peser sur les trajectoires adaptatives des socio-écosystèmes forestiers.

La diversification de l’adaptation de la foresterie est un thème majeur des discours des forestiers rencontrés. Dans les faits, il s’agit principalement de la diversification des techniques de gestion forestière, comme en témoigne l’ensemble des terrains de la thèse. L’ouverture de la réflexion a surtout relevé de l’initiative de structures d’animation territoriale, qu’il s’agisse d’associations agissant dans des contextes régionaux spécifiques, ou des PNR et COFOR lors des simulations participatives.