• Aucun résultat trouvé

Faire de la rencontre avec les non-forestiers une chance, non pas un risque

ADAPTATION TO CLIMATE CHANGE IN FORESTRY

2. Trois propositions pour diversifier l’adaptation de la gestion forestière aux dérèglements climatiques

2.2. Faire de la rencontre avec les non-forestiers une chance, non pas un risque

Après la distinction entre gestions forestière et sylvicole, voici la deuxième proposition pour développer des ACC qui ne soient pas que techniques. Il est ici question de l’engagement du dialogue sur l’ACC avec les milieux non forestiers – la « société » dans son ensemble. La section qui suit reprend des recommandations pour un dialogue apaisé glanées durant les terrains de la thèse et les conférences auxquelles j’ai pu assister, et les contextualise dans le cadre de la décision d’une gestion forestière adaptative.

Sur chacun des terrains de la thèse, des forestiers évoquaient des crispations dans les interactions avec les « non-initiés », confirmant la forme de défiance relatée dans l’introduction (section 1.4 de l’introduction), à l’instar de ce membre du CRPF : « Je pense que c’est, ce qui est en train de monter c’est la pression du grand public sur les forêts. Aujourd’hui il reste un peu cantonné aux forêts qui sont très parcourues, mais j’ai l’impression qu’il y aura de plus en plus une pression sur les forêts pour les sanctuariser, ne plus rien y faire, nous traiter de méchants coupeurs de bois ».

Le désarroi des gestionnaires forestiers est compréhensible. Ils pensaient avoir réussi, grâce à la labellisation écologique (PEFC, FSC), à faire concorder leurs pratiques de récolte et l’écologisation des modes de consommation. Pourtant, la communication qui en est faite est vulnérable au regard des consommateurs finaux : « On n’a peut-être pas été bon au niveau communication. On communique quand y’a une grosse connerie qu’a été faite, les journalistes s’emparent du truc et puis voilà quoi. Cash investigation sur PEFC c’était ça quoi, c’est du sensationnel » (dixit un autre agent du CRPF, dans le Grand Est). Ce désarroi se double d’une seconde incompréhension : en parallèle des difficultés de communication sur la labellisation, les milieux forestiers doivent faire face à la manifeste dissonance cognitive des consommateurs. Un salarié de l’ONF rapportait ainsi que « Les gens veulent mettre du bois chez eux parce que le béton c’est nul, mais ils ne se demandent pas d’où vient le bois. C’est-à-dire qu’ils veulent du bois mais ils ne sont pas d’accord pour qu’on en coupe quoi… ».

Bien que ces remarques ne soient pas spécifiques aux changements climatiques, tout porte à croire que les adaptations préconisées par les forestiers en étendent la portée. En effet, les ACC vont dans le sens d’une accentuation des interventions techniques, à destination de la production de bois, peu plébiscitées par des consommateurs finaux peu au fait de la complexité de la sylviculture (Dobré et al. 2006). Fidèles à leur sens de la planification sur le temps long, les milieux forestiers préparent déjà le terrain de la communication. Récemment, ils ont lancé une campagne

187

trisannuelle de communication « Pour moi, c’est le bois » avec le soutien de l’État (Bardon et Dereix 2017).

Il y a lieu, ici, de s’interroger sur le parti pris communicationnel d’une telle démarche. Face à des consommateurs exigeants, opter pour la diffusion unidirectionnelle d’un message, plutôt que sur l’élaboration d’un réel échange, accroît le risque d’échouer à réduire la dissonance cognitive décrite ci-dessus. Un écart de taille distingue une volonté de communiquer à la société d’une ambition de communiquer avec la société. C’est la première posture qui prévaut et a le plus fréquemment été perçue dans les discours, même si la transition vers la deuxième posture est amorcée, comme ici dans les Landes : « C’est très important, expliquer ce que l’on fait, à travers je veux dire des sites internet, des réseaux sociaux, de l’affichage sur le terrain, des réunions avec des associations, avec les maires, etc. Ça demande… On n’est plus les seuls maîtres à bord, et beaucoup de monde s’intéresse à la forêt. ». Plus loin du terrain, mais toujours dans les milieux forestiers, cette posture de communication unidirectionnelle a conduit à manquer une occasion de nouer un dialogue, cette fois avec le lectorat de l’ouvrage La vie secrète des arbres (Wohlleben 2017). Le livre comporte des amalgames, notamment lors d’une présentation partielle et partiale de travaux d’écologie scientifique ; pourtant, son succès a eu le mérite d’attirer l’attention sur la gestion forestière. Et voilà que la réponse que l’académie d’agriculture et des forêts a apporté à ce phénomène d’édition insiste sur le besoin de faire appel aux « vrais experts », sans vraiment parler de mettre en place de débats contradictoires (Section « Forêts et filière bois » de l’Académie d’agriculture de France, 2017). L’occasion était pourtant belle de toucher plus directement les personnes intéressées par la thématique (ou du moins les 3,5 millions de propriétaires privés français !), en proposant des instances d’échanges à double sens.

A contrario, des initiatives territoriales montrent que l’importance de tels dialogues à double sens est prise au sérieux par de plus en plus de forestiers (chapitre 3, page 105). Par exemple, des projections-débats du film « L’intelligence des arbres » ont eu lieu un peu partout en France, organisées par des associations environnementales mais aussi des instances forestières et scientifiques (e.g., centre Agroparistech de Nancy, Muséum National d’Histoire Naturelle). Plus encore, prenant le taureau par les cornes, l’ONF a même été jusqu’à opter pour une sylviculture irrégulière sur l’ensemble des forêts franciliennes, à forte composante récréative (Gayet 2017). Le but est, entre autres, de prévenir toute plainte relative à des coupes rases, une stratégie adoptée pour des raisons similaires dans certaines parties de l’Allemagne (Bauhus et al. 2017). Ces deux exemples sont caractéristiques du besoin d’une « ingénierie culturelle »33 dans la conception et la mise en place d’ACC qui aillent au-delà du seul BSE de production de bois.

33 « Il s’agit d’un savoir-faire permettant d’articuler une analyse scientifiquement et techniquement pertinente avec la prise en

compte de la réalité psychologique, sociale et culturelle des acteurs concernés, pour identifier des processus de prise de décision et de mise en oeuvre de ces décisions permettant une action atteignant effectivement les objectifs identifiés. » (Barthod 2007).

188

S’ils sont des virtuoses de la technique, les gestionnaires forestiers ne sont pas à l’aise dans le dialogue avec les bénéficiaires des services écosystémiques forestiers (consommateurs finaux, promeneurs, etc.). Le risque est grand, à ne pas inclure ces derniers dans les réflexions sur l’adaptation aux changements climatiques, d’augmenter la pression sociale sur des évolutions techniques forestières incomprises du grand public, ou sur de nouvelles organisations sociales ou économiques des liens unissant forestiers et non-forestiers (e.g., PSE).