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ADAPTATION TO CLIMATE CHANGE IN FORESTRY

2. Trois propositions pour diversifier l’adaptation de la gestion forestière aux dérèglements climatiques

2.1. Distinguer gestion sylvicole et gestion forestière

Qu’il s’agisse des projets de recherche sur la foresterie (chapitre 2, , page 83) ou des entretiens menés pour les premières enquêtes de terrain (chapitre 1, page 61), l’imaginaire des forestiers interviewés est fortement imprégné des questions techniques de production de bois. À la question de savoir quelle était sa vision de l’avenir, un responsable d’unité territoriale de l’ONF répondait ainsi : « Aujourd’hui ce qui se développe c’est la télédétection ou le Lidar et compagnie. Pour le moment c’est encore un peu de la science-fiction mais pas tant que cela. Ne serait-ce qu’aujourd’hui on arrive à croiser par exemple des modèles numériques de terrains avec des modèles numériques de surfaces et en faisant la différence entre les deux vous avez la hauteur de votre végétation. Or la hauteur c’est fondamental pour nous, pour le déclenchement d’une première éclaircie. »

Il semble donc essentiel de désincarcérer l’imaginaire forestier de la seule production de bois, afin que l’ACC prenne l’ensemble des services écosystémiques forestiers en considération (chapitre 3, page 105). Dans une vision anthropocentrique élargie – c’est-à-dire autant pour les générations humaines actuelles et futures que pour les non-humains – il est crucial de ne pas faire abstraction des autres fonctions de la forêt comme l’épuration de l’eau (Ellison et al. 2017), le maintien d’habitats naturels variés (e.g., Naidoo et Ricketts 2006), ou la fonction de régulation thermique (Perrin et al. 2017).

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Il existe plusieurs approches pour remettre ces BSE délaissés au centre de la gestion forestière. Des exemples économiques en ont été dépeints dans les chapitres 3 et 4. Nous reviendrons ici sur deux autres moyens pour penser l’adaptation aux changements climatiques sous l’angle de la gestion forestière (multifonctionnelle), et pas seulement sylvicole (pour la production de bois).

Le premier moyen est déjà largement mis en œuvre. Il s’agit d’ouvrir la réflexion aux projets venant de contextes régionaux ou nationaux différents. En prospectant sur les initiatives menées ailleurs, il est possible de mettre au jour des adaptations directes (techniques pour la plupart) ou indirectes (socio-économiques, à l’instar de la diversification des revenus de la gestion forestière). Le projet « Spurring INnovations for forest eCosystem sERvices in Europe » (SINCERE & European Forest Institute 2018) est justement une plateforme européenne recensant ces initiatives. À titre d’exemple31, une des publications de ce programme détaille le déploiement de politiques publiques propres aux produits forestiers non ligneux dans divers pays de l’Union Européenne (Wolfslehner et al. 2019).

Le second moyen est de s’inspirer des retours d’expérience de l’agriculture, autre exemple de gestion d’un socio-écosystème soumis à des impératifs productifs, mais tendant de plus en plus à la multifonctionnalité (Barbier & Goulet 2013). Cela permettrait aussi d’éviter les écueils décrits par un propriétaire privé du sud de la France : « On refait les mêmes erreurs que l’agriculture dans les années 1960, on industrialise, on mécanise, on met du chimique maintenant, on refait les mêmes conneries ».

Assez logiquement, une des analogies entre les ACC des gestionnaires des socio-écosystèmes forestiers ou agricoles est l’approche techniciste (Seguin 2003). Cela étant dit, il faut reconnaître qu’à l’inverse des milieux forestiers, les solutions d’ACC imaginées dans les milieux agricoles français font un peu plus appel à des réponses socio-économiques. Ces réponses sont conçues au niveau des types de cultures (à l’instar de la viticulture, Lereboullet, Beltrando, et Bardsley 2013), de la législation (Ahmadi et al. 2013) ou encore des filières (comme dans le cas de la production laitière alpine, Sérès 2010). Bien que les pas de temps de l’agriculture soient plus courts qu’en forêt,

31 Un autre exemple prend pour cas d’étude le développement des enterrements en forêt suisse, ouvrant la

réflexion de l’usage des forêts à de nouveaux services écosystémiques, spirituels cette fois-ci. S’il n’est pas directement lié à l’adaptation aux changements climatiques en forêt, cet exemple souligne la nécessité d’envisager l’ensemble des possibilités d’évolution de la gestion forestière pour son adaptation climatique.

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des initiatives s’inspirant des activités agricoles commencent à essaimer dans la gestion forestière (Figure 27). Elles offrent l’espoir d’y voir des moyens socio-économiques supplémentaires pour faire face aux conséquences des changements climatiques32. L’agroforesterie propose aussi des modes de production différents de bois, dont les vertus techniques (en complément de l’agriculture), paysagères, mais aussi pour le stockage de carbone sont une source complémentaire de retours d’expérience pour la foresterie (Michon 2015).

La multifonctionnalité, maître-mot de la gestion forestière, n’est pas traduite dans les adaptations aux changements climatiques qui se focalisent sur les services écosystémiques productifs. L’ouverture de l’adaptation aux fonctions forestières, essentielles, du stockage de carbone, de l’épuration de l’eau et du maintien des dynamiques écologiques peut bénéficier de multiples initiatives issues d’autres socio-écosystèmes, qu’ils soient forestiers (à l’étranger) ou agricoles.

Figure 27. L'appellation d'origine contrôlée « Bois de Chartreuse ».

La récente création du premier label d’appellation d’origine contrôlée (AOC) forestier (INAO 2018) témoigne d’une inspiration agricole. Il sera intéressant de voir si l’accent mis sur la valeur ajoutée du bois, plutôt que sur les volumes produits, est un moyen efficace de relâcher la pression économique pesant sur la production de bois en volume. Cette différenciation a pu, durant une courte période, avoir lieu avec les labels PEFC et FSC, mais il est aujourd’hui plus pénalisant de ne pas les avoir, qu’avantageux de les respecter. Quoi qu’il en soit, ici encore le rôle d’un PNR – celui de Chartreuse – a été primordial dans cette innovation forestière. A : Une filière implantée de longue date dans le massif. B : Réalisation actuelle opérée avec l’AOC. C : Logo de l’AOC. Images tirées du site http://bois-de-chartreuse.fr/.

32 Il convient toutefois de ne pas extrapoler la compréhension des trajectoires agricoles à l’évolution de la

gestion forestière. Rien ne permet ainsi de présumer que la foresterie française suivra la tendance agricole. Celle-ci a surtout conduit au regroupement foncier et à l’émergence d’une agriculture de firme, aux côtés d’une agriculture traditionnellement familiale (Purseigle 2012), ainsi qu’à l’essor de pratiques environnementalement plus responsables (Cardona 2012).

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