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La gestion forestière, parangon de l’adaptation aux changements climatiques

2. L’adaptation aux changements climatiques

2.3. La gestion forestière, parangon de l’adaptation aux changements climatiques

Les ambivalences de la notion d’adaptation sont une conséquence logique du grand nombre des manières de l’aborder (biologique/stratégique, proactive/réactive, prévue/spontanée, …). Le flou qui règne autour de l’adaptation en fait un concept passe-partout, évident au premier abord, mais qui par l’apparence du politiquement correct dispense ses utilisateurs de préciser l’acception qu’ils en ont (Barthod 2007). Des éléments relatifs à l’adaptation sont parfois affirmés sans pondération par des forestiers qui y trouvent des arguments allant dans le sens d’une gestion qui leur convient – de la plus passive à la plus interventionniste. Sans remettre en question les causes des dérèglements climatiques, ils appuient leurs discours sur les manquements des alternatives qu’ils rejettent, tout en modérant les critiques sur l’efficacité des adaptations qu’ils soutiennent (Simonet 2009) (Figure 12).

L’étude de l’adaptation aux changements climatiques doit donc se faire en lien avec les préoccupations premières des gestionnaires forestiers, comme les considérations économiques (cours internationaux des marchés du bois, coût des opérations sylvicoles) ou les déséquilibres sylvo-cynégétiques. Puisqu’il ne s’agit pas de l’adaptation seule, mais de l’adaptation de la gestion, il faut aussi expliciter quels sont les buts de la gestion qu’elle accompagne.

S’intéresser aux objectifs des politiques publiques pourrait être un premier niveau d’analyse des relations entre l’ACC et la dynamique des SES forestiers. Néanmoins, ces politiques sont nombreuses et variables sur des pas de temps assez courts. Surtout, leur mise en œuvre bute sur les visions différentes ou les oppositions que des forestiers de terrain peuvent en avoir. Les travaux de Nathalie Carol, doctorante à l’université de Lorraine, portent ainsi sur la manière dont les responsables d’unités territoriales de l’ONF s’emparent concrètement du contrat d’objectifs et de performance.

De surcroît, les politiques publiques forestières changent plus vite que les facteurs de choix des modes de sylviculture (Buttoud 2007). Pour comprendre le lien entre les ACC et l’évolution de la

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gestion forestière, il est donc plus pertinent de partir des mouvements de terrain, des évolutions concrètes des pratiques de gestion.

Figure 12. L’argumentaire du changement climatique, mobilisé à tout propos.

Deux exemples de discours intégrant des éléments d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques pour mieux défendre un type de gestion forestière.

À gauche : dans son manifeste en faveur des forêts de plantation en France, la coopérative forestière Alliance Forêts Bois affirme que « La prise de conscience du changement climatique doit imposer des changements de gestion : on ne peut continuer à prôner comme voie royale la régénération naturelle et des révolutions longues en ayant connaissance de l'évolution inévitable de nos climats et de ses conséquences sur un grand nombre de forêts qui vont se trouver hors station. » (Coopérative Agricole et Forestière Sud-Atlantique, COFOGAR - les Forêts du Sud, et FORESTARN - Coopérative des Sylviculteurs Tarnais 2012).

À droite : dans son best-seller La vie secrète des arbres, l’Allemand Peter Wohlleben recourt à des arguments écocentrés, voire biocentrés. Dans un chapitre consacré à l’atténuation, il défend une gestion très peu interventionniste en se fondant sur une lecture partielle et partiale de la littérature scientifique(Wohlleben 2017).

Les facteurs séparant les politiques publiques des choix finaux de la gestion forestière sont très nombreux. Pour comprendre les conséquences de l’adaptation de la foresterie aux changements climatiques sur les socio-écosystèmes forestiers, il est plus aisé d’observer directement les choix forestiers sur le terrain.

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On pourrait supposer que les ACC de la gestion forestière soient déjà relativement documentées. En effet, l’attention portée au temps long imprègne les décisions des forestiers, car le pas de temps de la croissance des arbres dépasse largement la durée d’exercice professionnel d’un gestionnaire13.

Alors que la littérature disponible abonde sur les adaptations possibles, elle est étonnamment peu diserte quant à l’évaluation de celles déjà réalisées14. À l’échelle européenne, une étude datant de 2011 avait dressé les grandes lignes des adaptations prévues ou opérées à l’aide d’un questionnaire (Kolström et al. 2011). La mise en place d’adaptation était uniforme à travers les écosystèmes forestiers boréaux, tempérés, continentaux et méditerranéens. Les changements reportés étaient de nature technique (régénération, infrastructure, mode de récolte, …). De nombreux forestiers insistaient sur l’attente des conséquences des CC pour agir. Les risques les plus craints étaient aussi les plus fréquents dans chacun des écosystèmes : feux, sécheresses et parasites. La même année, une revue de la littérature, ne concernant pas seulement les SES forestiers, appuyait la plupart des conclusions de l’équipe de Kolström (Berrang-Ford et al. 2011). La seule étude laissant la part belle au terrain, plus fouillée, résulte des travaux de Valentine van Gameren. Ses enquêtes ont permis de disposer d’une typologie de l’adaptation chez les propriétaires privés forestiers en Belgique (Van Gameren 2014). Là encore, la priorité aux modifications techniques des opérations sylvicoles prédominait dans l’ensemble des entretiens menés.

L’absence d’informations publiées sur la situation française est d’autant plus étonnante que les forêts y occupent une surface significative et que la moitié des propriétés dispose d’un document de gestion (MAAF & IGN 2015). C’est sur ce constat que les travaux qui suivent ont débuté.

13À titre d’exemple, on entretient encore aujourd’hui des parcelles vosgiennes contenant des douglas introduits par les Allemands. L’annexion de la Lorraine prit fin il y a un siècle exactement.

14 Depuis le début de la thèse fin 2016, seuls deux projets ont vu le jour pour recenser les adaptations au

plus près du terrain : MACCLIF, coordonné par Annabelle Amm, et une enquête menée par l’économiste Antoine Leblois (communication personnelle).

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