Une critique du modèle Piguet et Winner

Le modèle Piguet et Winner (2000), présenté précédemment dans la section 2.3, rend compte des facteurs individuels d’insertion socioprofessionnelle des personnes immigrantes réfugiées. Les résultats de notre étude permettent de porter un regard critique sur ce modèle.

D’une part, selon les facteurs démographiques du modèle, le fait d’être un homme et d’être célibataire augmente les probabilités qu’une personne immigrante réfugiée intègre le marché du travail. Piquet et Winner expliquent que les hommes réfugiés sont plus actifs sur le marché du travail car certains couples ont une division traditionnelle des tâches et les célibataires n’ont plus souvent qu’eux-mêmes pour subvenir à leurs besoins. Si les résultats de notre étude confirment que certains couples de cette population ont une division traditionnelle des tâches et que les célibataires sont seuls pour subvenir à leurs besoins, ils permettent

également de mettre en relation ces deux facteurs et de les contextualiser dans une réalité complexe.

Quatre des sept participants à notre étude ont divorcé depuis leur arrivée au Québec. Leur discours indique que leur couple fonctionnait selon une division traditionnelle des tâches. Dans ce contexte, il est probable que l’homme soit le seul à intégrer le marché du travail. Leur discours montre également qu’une prise de conscience progressive s’est effectuée quant à la culture dominante du milieu dans lequel les membres du couple évoluent, le Québec, et celle-ci valorise plutôt une division davantage égalitaire des tâches et des pouvoirs. Cette situation peut créer des tensions au sein du couple, et un des moyens de surmonter cet inconfort est la séparation.L’intégration au marché du travail d’une plus grande proportion d’hommes peut donc certes découler d’une division traditionnelle au sein des couples. Toutefois, dans un contexte social où ce fonctionnement au sein des couples n’est pas valorisé, les tensions causées par la division traditionnelle des tâches peuvent mener au célibat. La dimension expérientielle du concept de transition permet donc d’établir un rapport d’interdépendance entre ces deux facteurs d’insertion socioprofessionnelle du modèle Piguet et Winner.

D’autre part, selon les facteurs d’adaptabilité au marché du travail du modèle, plus le temps de séjour est élevé, meilleure est la maîtrise de la langue d’accueil du pays et la connaissance du marché du travail, ce qui augmente les probabilités d’intégration au marché du travail. Les données de notre étude montrent effectivement que la maîtrise de la langue et la connaissance du marché du travail sont corrélées à l’entrée sur le marché du travail. Toutefois, le discours des participants indique que le temps depuis leur arrivée au Québec est une variable moins importante que l’accès aux ressources qui leur permettent d’améliorer leurs compétences langagières et leur compréhension du marché du travail. En effet, des participants ont indiqué qu’ils n’ont commencé à apprendre le français qu’après plusieurs années au Québec grâce à un programme de francisation, et que leur connaissance du marché du travail était très limitée avant de s’engager dans le programme ISP. De plus, au-delà de la disponibilité des ressources, l’engagement auprès de celles-ci peut être favorisé ou entravé

par les caractéristiques personnelles des participants, tel qu’expliqué à la section 6.7. Dans le futur, une étude pourrait porter sur les personnes immigrantes peu scolarisées qui décident de ne pas intégrer le marché du travail et de ne pas utiliser des ressources comme le programme ISP.

Par ailleurs, le capital social est un autre facteur d’adaptabilité du modèle car il serait une source d’information et de recommandation importante pour la recherche d’emploi, ce que les données de notre étude confirment. Le discours des participants montre également que l’accès à des ressources qui permettent de développer le réseau social, comme un programme d’accompagnement par des bénévoles, est une variable significative dans le processus d’intégration au marché du travail. En surplus, si l’étendue du réseau social d’une personne facilite l’intégration au marché du travail, le discours des participants indique que cette intégration peut les mener à couper les ponts avec une partie de leur réseau qui n’a pas réussi son entrée sur le marché du travail ou encore à remettre en question les paramètres de leur relation de couple.

Enfin, la troisième catégorie de facteur du modèle Piguet et Winner est l’histoire de la personne et le projet migratoire. Le contexte de départ et la planification de ce dernier influenceraient l’importance de l’intégration en emploi. Nos données ne contredisent pas cette idée. Le discours des participants montre que le fait d’avoir vécu des difficultés majeures depuis le début de leur processus migratoire peut représenter une source de motivation pour certains, alors que ceux-ci se comptent simplement chanceux d’avoir l’occasion d’intégrer le marché de l’emploi dans une région qui jouit d’une paix sociale durable.

En somme, l’utilisation des concepts de la théorie de la transition dans cette recherche a permis de confirmer plusieurs facteurs individuels d’insertion professionnelle du modèle de Piguet et Winner, mais a également montré que certains facteurs méritent d’être nuancés et