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Les stress concurrents au processus de transition

5. Présentation des résultats

5.8 Les stress concurrents au processus de transition

La transition vers le marché du travail peut être affectée négativement si les personnes vivent concurremment des enjeux importants dans d’autres sphères de leur vie. Ces problématiques peuvent causer du stress et désorganiser une personne engagée dans une transition. La personne doit alors investir son temps ainsi que mobiliser ses ressources cognitives et

financières afin de résoudre les problématiques et en réduire les conséquences. Elle ne peut donc allouer ce temps et ces ressources au processus de transition en cours.

Le discours des participants rejoint l’idée voulant que les problématiques dans d’autres sphères de la vie peuvent avoir des conséquences négatives sur la transition vers le marché du travail. Certains indiquent qu’ils désirent réduire au minimum les événements qui pourraient les déranger au cours de cette transition, sans quoi sa réalisation peut être compromise.

« Pour travailler, il faut diminuer tout le stress qui est dans votre idée, dans ta tête. Tu peux concentrer sur les choses à faire. Si tu es trop stressé, tu vas avoir peu de travail. »

Avant même d’entamer une transition vers le marché du travail, le départ du pays d’origine vers le Québec représente une grande source de stress pour les personnes immigrantes. Elles laissent derrière eux une partie de leur réseau social et mettent une croix sur une pluralité de projets. Plusieurs vivent ce départ comme un déchirement et ressentent de la détresse émotionnelle bien après l’arrivée au Québec. Cette détresse réduit évidemment la capacité des personnes immigrantes à entreprendre de nouvelles transitions.

« Quand je suis arrivé, je stresse beaucoup pour ma famille qui est restée au camp de réfugiés. J’avais beaucoup mal à la tête, pleurer beaucoup. Je peux pas rire, je peux pas sourire, je reste comme ça.»

Dès l’arrivée, certains participants ont affirmé avoir vécu de la discrimination en raison de leur statut d’immigrant, du fait qu’ils parlent peu le français, de leur couleur de peau ou encore de leur pratique religieuse. La discrimination peut avoir pour conséquence de

diminuer l’estime d’eux-mêmes, de se sentir honteux, d’engendrer un sentiment de colère ou encore de les mener à se replier sur eux-mêmes. Ces conséquences peuvent avoir pour effet d’inhiber certaines caractéristiques personnelles nécessaires pour réaliser une transition positive. Cette discrimination peut aussi faire obstacle à l’égalité des chances, entre autres dans la recherche d’emploi. Un participant affirme d’ailleurs avoir dû défendre son identité et son intégrité afin d’être respecté lors de sa première expérience de travail :

Quand j’ai commencé à travailler, les Québécois me disent « Ah! Tu viens de l’Amérique latine. Tu es Pablo Escobar. Tu dois avoir beaucoup de drogue. » Moi, je comprenais pas au début et je ris. Mais après, quand je comprends, je regarde et je lui dis « C’est pas mon nom. Je suis pas Pablo Escobar. » Et là il est fâché contre moi et il m’insulte. Et là je continue à travailler. Mais là c’est le début. Le début du respect.

Le fait de ne pas parler la langue commune a également été identifié comme un facteur de stress important. Les participants indiquent ne pas être en mesure de fonctionner de façon indépendante et devoir s’appuyer sur d’autres personnes pour accomplir certaines tâches quotidiennes, rendant celles-ci beaucoup plus exigeantes. Certains participants expliquent ne pas avoir eu le choix d’exiger de leurs enfants qu’ils jouent régulièrement le rôle d’interprète depuis l’arrivée au Québec. Il peut s’agir d’un stress supplémentaire pour les enfants et entraîner une certaine forme de culpabilité chez les parents.

« Pendant les 3 premières années, chaque visite chez le médecin, j’avais un interprète. Mais pas après. Après c’est mes enfants. Mes enfants sont allés à la maternelle au Québec. Ils ont appris (plus) vite que moi. Mes enfants étaient mes interprètes. Quand j’allais quelque part, ils venaient et parlaient aux Québécois. »

S’assurer du bien-être des enfants est identifié comme une source de stress. D’une part, jongler entre son propre horaire et l’horaire de l’école est un défi pour eux, alors que le concept d’horaire représente souvent une nouveauté dans leur vie. Le temps peut leur manquer pour accomplir l’ensemble des tâches et des soins aux enfants.

« C’est difficile avec les enfants. Le matin à 7 h, je pars à pied laisser mes deux plus jeunes enfants au service de garde. Je laisse mon enfant le plus vieux tout seul. Je suis obligé de faire (ça), sinon je suis en retard à mon cours. »

Des parents expliquent se soucier en tout temps de leurs enfants, même pendant les cours du programme ISP. Ils doivent s’habituer à ne pas avoir la même disponibilité qu’auparavant pour leurs enfants et réfléchir en détail à l’organisation familiale pour éviter de rater des cours ou des activités.

« Pendant que je suis à l’école, je regarde toujours l’heure. Je pense : « Où sont mes enfants en ce moment? » Je pense toujours à eux. Est-ce que j’ai oublié quelque chose pour eux? Ouf! C’est nouveau de pas être disponible à la maison. »

Si la parentalité représente un stress pour les participants, la relation de couple peut également représenter une entrave au processus de transition vers le marché de travail. En effet, tel qu’il a été expliqué dans la section 6.4, le divorce est l’un des principaux facteurs qui ont mené les participants à prendre la décision d’intégrer le marché du travail. Cet événement peut mener les participants à devoir réorganiser leur quotidien ainsi qu’à vivre de la frustration et de la déception. Un participant évoque d’ailleurs que, suite à son divorce, ces émotions l’ont dérangé pendant sa transition vers le marché du travail, mais qu’ensuite, l’engagement envers cette transition lui a permis de mieux gérer ses émotions :

« Au programme ISP et dans mon stage, parfois j’étais fâché à cause de ma femme. La séparation… c’est difficile. Mais là, ça va mieux. Je me concentre sur ce que je fais ici et ça fait du bien. Je pense juste à ça et je suis fier. »

L’adaptation à un nouveau cadre normatif familial est aussi vécue comme une difficulté personnelle. Certaines pratiques acceptées dans leur pays d’origine n’est pas chose commune au Québec, ou encore n’est tout simplement pas accepté. Ces pratiques se poursuivent après l’arrivée dans la province et celles-ci engendrent une discordance avec l’extérieur du milieu familial. Un participant explique tenter de cacher sa réalité aux personnes qui l’entourent pour éviter d’être jugé et exclu du groupe. Cette problématique peut, tout comme la discrimination en raison du statut d’immigrant, de la langue ou de la couleur de peau, avoir pour effet d’inhiber certaines caractéristiques personnelles nécessaires pour réaliser une transition positive comme l’ouverture, la confiance et la proactivité.

« Je le dis à personne, mais mon mari a une autre femme dans mon pays. Il est là-bas et il va peut-être venir ici, peut-être pas. Il parle à mes enfants au téléphone. Moi, à l’école, quand les autres parlent de leur famille, je ne dis rien. Je ne dis pas que mon mari a deux femmes. Je sais que c’est pas correct ici. Je sais pas comment dire. Je veux pas que les gens sont fachés contre moi. »