d’entrepreneurs d’opportunité
Section 2. La transition entrepreneuriale des personnes handicapées
I. Une crainte avant de devenir envisageable
Les professionnels du secteur ont d’abord éprouvé une certaine frilosité à l’égard de l’entrepreneuriat en général et de l’entrepreneuriat en situation de handicap (1.) avant que
cette option ne devienne une réalité envisageable (2.).
L’entrepreneuriat en situation de handicap : de la crainte …
1.
Dans les années 1990, l’entrepreneuriat était rarement une option envisagée pour les
personnes handicapées. Les professionnels de la réinsertion professionnelle se montrent
frileux concernant l’entrepreneuriat en général et l’entrepreneuriat pour les personnes en
situation de handicap en particulier (Doyel, 2002 ; Boylan et Burchardt, 2003). Leurs craintes peuvent être fondées par une précédente expérience négative vécue ou entendue (Doyel, 2002) ou par leur incapacité à proposer cette voie professionnelle (Ipsen et al, 2005). En effet, historiquement, les conseillers en réinsertion professionnelle éprouvent un manque de de connaissances, de formation et, de fait, de compétences concernant le développement des petites entreprises (Callahan et al, 2002 ; Yamamoto et al, 2012). Ces lacunes portant sur des domaines variés tels que les règlementations en vigueur, les assurances commerciales, les statuts des sociétés, les équipements nécessaires ou encore les règlements de sécurité
(Callahan et al 2002, Hagner et Davies, 2002), leurs connaissances en matière d’emploi et de
handicap sont insuffisantes pour supporter ce choix de carrière pour les personnes en situation
de handicap. De plus, s’ajoutent à cela les craintes inhérentes à la fonction d’entrepreneur et
ainsi, l’isolement probable du chef d’entreprise et le nombre élevé de dépôt de bilan au terme
de la première année d’exercice, deviennent un argument supplémentaire pour encourager le
salariat à l’entrepreneuriat (Balcazar et al, 2014).
Les personnes non handicapées éprouvent également des a priori sur la capacité d’une
personne en situation de handicap à développer et à maintenir une entreprise (Doyel, 2002 ; Maalaoui, 2014). Doyel (2002) explique que les conseillers en réinsertion professionnelle ont
une perception négative des personnes handicapées en tant qu’entrepreneurs même si ces
De plus, les personnes handicapées sont sujettes également à de nombreux stéréotypes qui
peuvent entraver leur réussite professionnelle, notamment au sein d’une entreprise (Hamonet,
2012). Sous représentées sur le marché du travail en raison de discriminations (Balcazar et al,
2014), les personnes handicapées doivent également faire face aux stéréotypes. L’étude sur
les stéréotypes sur les personnes handicapées de l’IMS de 2011 montre que les managers
interrogés ont une vision plus lourde et plus grave du handicap qu’il ne l’est en réalité. En
conséquence, si les personnes en situation de handicap sont perçues comme motivées, déterminées et sympathiques, dans le milieu personnel et familiale, elles seront perçues dans
le même temps comme fragiles, lentes, tristes, perturbées, inadaptées à l’entreprise,
improductives dans le milieu professionnel (IMS, 2011).
Cependant, aujourd’hui, de nombreux organismes développent des concours réservés aux
entrepreneurs en situation de handicap. Citons en exemple, le groupe ATOS et son concours
Handi-Entrepreneurs, l’association AEH (Aide aux entrepreneurs handicapés) et son concours
2013 et 2014 visant à encourager la création d’entreprises destinées aux entrepreneurs atteints
d’un handicap, l’Action d’Aide à Domicile et de Service Personnel (AADSP), qui a créé en 2015 son concours Handibusiness qui visait à élire le meilleur projet de création d’entreprise
initié par une personne handicapée résidant en Île-de-France. Si le concours de l’association
AEH qui visait à offrir un prêt à taux zéro à ses lauréats pour aider au démarrage de l’activité et le concours de l’AADSP ne semblent pas avoir perdurés dans le temps, en revanche, le concours ATOS a vu sa 8ème édition se tenir en 2017.
Ainsi, le concours « Handi-Entrepreneurs » dédié à la promotion de l’esprit d’entreprise et de
l’innovation des personnes en situation de handicap a primé trois créateurs d’entreprises handicapés. Récompensés par une dotation financière (4 000 € à 10 000 €) pour contribuer au développement de leur projet, les trois lauréats du concours, dont les entreprises ont moins de
4 ans d’existence, ont été sélectionnés sur la base de critères précis. Bénéficiaires de l’OETH,
les projets primés doivent se démarquer par leur innovation dans les secteurs des technologies
de l’information, de l’informatique, du service à la personne ou du conseil. Sélectionné par des responsables d’Atos, les lauréats de l’édition 2017 sont l’entreprise EaseMyDisease (le
premier réseau social regroupant les personnes handicapées ou atteintes de maladies rares et
les acteurs du domaine médical), l’entreprise M’eaux Spa77 et Rest’eau Solidaire (le premier
générations suivantes par la confection de plats 100% fait maison). Ces lauréats ont été primés pour le parcours et les qualités entrepreneuriales du porteur de projet, pour le caractère
innovant du produit ou de l’activité, pour la qualité du projet et pour la viabilité économique
et la crédibilité du montage financier du projet.
Si certains concours semblent disparaître tels que les concours de l’AEH ou de l’AADSP,
d’autres les remplacent. Ainsi, la chambre de commerce et d’industrie du Morbihan, la Caisse d’Assurance Maladie du Morbihan et le Centre Mutualiste de Rééducation et de Réadaptation
fonctionnelles de KERPAPE ont organisé le concours « Startup et Handicap 2017 ». Visant à
favoriser l’émergence d’idées, de projets et de réalisations permettant d’accélérer l’offre de
solutions innovantes de compensation du handicap et de perte d’autonomie des personnes
handicapées, ce concours vise spécifiquement les start-up centrées sur les objets connectés et les solutions domotiques innovantes (pour une simplification de la vie sociale), les
déplacements des personnes handicapées et l’accès aux technologies du numérique et au développement des aides à la communication. Se sont ainsi quatre start-up qui ont été récompensées : la start-up Captiv et son tracker connecté et intelligent spécialisé pour les personnes en fauteuil roulant intégré au coussin « anti » escarre nommé Gaspard, la start-up ForceWheel spécialisée en assistance électrique pour fauteuil manuel (le créateur a conçu une
roue motorisée s’adaptant aux fauteuils manuels), l’association En-semble et son assistant
numérique Wello conçu pour favoriser l’entraide et la solidarité envers les personnes
dépendantes et enfin la start-up Wheeliz qui est le premier site de location de voitures aménagées entre particuliers pour personnes en fauteuil roulant.
Ainsi, il y a aujourd’hui un entrepreneuriat chez les personnes handicapées qui se crée et qui
est promu par les nombreux concours existants aujourd’hui. Le renouvellement constant de
ces concours tend à démontrer que non seulement l’entrepreneuriat en situation de handicap
est une réalité certaine mais également que ces entrepreneurs savent faire preuve
d’innovation. Aldebert (2018, p.4) décrit l’innovation comme « un processus de résolutions de
problèmes ou de saisies d’opportunités, impliquant l’action et la créativité de nombreux acteurs (seuls ou collectifs) aussi bien à l’intérieur de l’entreprise qu’à l’extérieur et
débouchant sur un marché ». Elle poursuit en affirmant que « une bonne connaissance d’un
marché, de sa structure, de son fonctionnement et de ses failles contribue à repérer des
opportunités d’innovation » même si ces innovations ne génèrent pas de manière automatique le succès (Aldebert, 2018, p.80).
Ainsi, de nombreuses personnes handicapées en observant leur environnement parviennent à
identifier les failles et les opportunités d’innovation. En créant leur entreprise, les travailleurs
indépendants handicapés peuvent alors réaliser leur rêve… (Callahan et al, 2002).
… À une option envisageable 2.
Callahan et al (2002) expliquent que de nombreuses recherches et expériences menées ont
montré qu’un certain nombre des craintes des professionnels de la réinsertion professionnelle
étaient infondées. En effet, les entrepreneurs, de manière générale, sont rationnels et pèsent
activement les avantages et les inconvénients d’un tel choix de carrière (Doyel, 2002). Le
dépôt de bilan au terme de la première année d’exercice relèverait du mythe, les entrepreneurs
handicapés ne se retrouvent pas plus isolés que les entrepreneurs non handicapés dans leur fonction (Hagner et Davies, 2002) et le désir de devenir entrepreneur est partagé par un grand nombre de personnes handicapées (15 à 20% environ) (Callahan et al, 2002).
L’entrepreneuriat en situation de handicap devient alors une option envisageable et viable pour les personnes handicapées (Doyel, 2002 ; Hagner et Davies, 2002 ; Ipsen et al, 2005)
pour s’affranchir des problèmes liés à l’employabilité. L’entrepreneuriat devient une solution
adéquate à l’exclusion des personnes handicapées du marché du travail (Jones et Latreille, 2006 ; Kendall et al, 2006 ; Pagan, 2009).
Adnane Maalaoui le souligne en ces termes : « la nature du handicap ne conditionne en aucun cas la capacité à entreprendre ». Et pour preuve, de nombreux entrepreneurs sont porteurs de handicaps physiques, sensoriels ou de polyhandicap et réussissent en tant que dirigeants
d’entreprise (Verheul et al, 2016). En témoignent ces entrepreneurs handicapés qui prennent
la parole aujourd’hui pour témoigner de leur parcours et de leur motivation. Prenons pour
exemple Didier Roche, non-voyant, qui a fondé, en 2004, la chaîne de restaurants « Dans le
Noir ? » et un institut d’esthétique et de bien-être « Spa dans le noir ». Il est aujourd’hui le Président de l’Union Professionnelle Des Travailleurs Indépendants Handicapés (UPTIH) et
Prenons également Denis Marliac qui, après avoir subi un accident, devient paraplégique.
Aujourd’hui, il emploie 60 salariés au sein de la société Lilial et a remporté le prix de
l’engagement sociétal. Lilial distribue des produits pour les personnes handicapées et a été lauréat du Prix de l’Engagement Sociétal remis dans le cadre du Grand Prix de l’Entrepreneur
2014 décerné par EY. Ces entrepreneurs ont brillamment réussi après leur création
d’entreprise, malgré leur handicap.
Ainsi, l’entrepreneuriat pour les personnes handicapées peut être source d’autonomie et d’emploi pour les personnes handicapées (Balcazar et al, 2014). Des études menées sur les
entrepreneurs présentant un trouble de déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), considéré comme un handicap psychique, témoignent que subissant le chômage,
c’est leur handicap qui les a conduit à s’orienter vers l’entrepreneuriat (Verheul et al, 2016 ; Wiklund et al, 2017). Bien que les craintes des non-initiés au handicap soient une réalité tout comme le sont les stéréotypes et les discriminations vécues par les personnes en situation de
handicap, l’entrepreneuriat en situation de handicap est une réalité ; une réalité dont il faut comprendre les motivations principales afin de mieux comprendre les entrepreneurs en situation de handicap.