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Une contrainte forte sur le rayon d’émission

6. A la recherche de l’émission thermique 159

6.5. Pub. IV : Modeling the prompt thermal emission in Gamma-Ray Bursts

7.2.1. Une contrainte forte sur le rayon d’émission

En supposant que l’early steep decay est effectivement produite par l’émission de haute latitude de la phase prompte, il est maintenant intéressant d’étudier les contraintes que cela pose sur le mé-canisme de dissipation interne dans le jet relativiste. La principale contrainte porte sur le rayon

Rγ où s’arrête la phase d’émission prompte. En effet, le flux de haute latitude décroit comme F ∝ (1+(t−tburst)/∆tcurv)−αavec comme échelle temporelle ∆tcurv ≃ Rcol/2Γ2c (voir §3.6.2). Pour le flux bolométrique α = 3 et sinon α = 2 + β, β étant la pente spectrale à la fréquence considérée. Or l’early

steep decay apparait « continûment » connecté à la fin de l’émission prompte, dans un diagramme où

le logarithme du flux est tracé en fonction du logarithme du temps mesuré par l’observateur, avec pour origine le déclenchement de l’instrument (i.e. à peu près le début de l’émission prompte). Comme illustré sur le schéma en figure 7.1, pour que l’émission de haute latitude respecte cette transition continue dans ce diagramme, avec un basculement direct sur la pente de décroissance asymptotique d log(Fν)/d log(tobs) ≃ −α, il est nécessaire que ∆tcurv ≃ tburst, où tburst est la durée de l’émission

prompte. En revanche si ∆tcurv ≪ tburst1, la pente de décroissance temporelle de l’émission de haute

latitude serait initialement d log(Fν)/d log(tobs) ≃ −α(tburst/∆tcurv) (une pente quasi-verticale). La pente asymptotique −α est récupérée à tobs ≃ 2tburst, mais le flux a alors déjà décru d’un facteur (tburst/∆tcurv)α ≫ 1 et serait en pratique déjà en-dessous du seuil de détection. Sachant que α ≃ 3 (cas bolométrique) est une valeur typique, (tburst/∆tcurv) ne doit donc pas être très éloigné de l’unité. Si cette contrainte sur l’échelle temporelle ∆tcurv est combinée à la contrainte de compacité qui impose que l’écoulement émetteur soit ultra-relativiste, Γ & 100, on obtient finalement pour le rayon d’émission prompte Rγ la condition :

Rγ ≃ 6 1015  Γ 100 2tburst 10 s  cm, (7.1)

sachant que les durées (corrigées du redshift) des sursauts longs, tburst, sont majoritairement comprises dans un intervalle allant de quelques secondes à une centaine de secondes.

Nous avons examiné la capacité des principaux modèles envisagés pour le mécanisme de dissipation interne (voir section 2.5) à réaliser naturellement la condition ∆tcurv ≃ tburst.

7.2.2. Chocs internes

Dans de précédentes études (voir par exemple Lyutikov 2006; Kumar et al. 2007), il a parfois été affirmé que l’émission de haute latitude des chocs internes ne peut pas reproduire l’early steep

decay. L’argument de base repose sur l’idée que le rayon typique des chocs internes Ris peut être

estimé par la plus petite échelle de variabilité observée dans la courbe de lumière gamma ∆tvar,min :

Ris ≃ 2Γ2c∆tvar,min. Or le rapport entre la plus petite échelle de variabilité et la durée totale d’un sursaut atteint souvent des valeurs élevées (typiquement tburst/∆tvar,min &100). L’échelle temporelle ∆tcurv,isserait ainsi bien trop petite pour pouvoir être compatible avec un scénario d’émission de haute latitude (∆tcurv,is ≪ tburst).

Mais d’un point de vue observationnel, les courbes de lumière gamma couvrent un grand domaine d’échelles de variabilité temporelle, de la plus petite échelle de variabilité temporelle ∆tvar,min à une échelle maximum ∆tvar,max ≃ tburst (correspondant à l’enveloppe de la courbe de lumière), sans faire apparaître une échelle caractéristique, comme le montre par exemple les études de Beloborodov et al. (2000) etGuidorzi et al. (2012), fondées sur l’analyse de la densité spectrale de puissance des courbes de lumière. Or dans le cadre du modèle des chocs internes :

Figure 7.1.: Forme de l’émission de haute latitude dans un tracé logarithmique. Gauche : si ∆tcurv ≃ tburst, la pente asymptotique −α de l’émission de haute latitude est directement connectée à la fin de la phase prompte. Droite : si ∆tcurv≪ tburst, il y a une chute brutale (quasi-verticale) d’un facteur (tburst/∆tcurv)α

≫ 1 avant le basculement sur la branche asymptotique de pente −α. L’early

steep decay observé étant « continûment » connecté à la fin de la phase prompte, ∆tcurv ≃ tburst est

une condition nécessaire pour que le scénario d’émission de haute latitude soit possible.

– les propriétés de variabilité de la courbe de lumière prompte reflètent celles de l’éjecta relativiste (définies lors de son éjection par la source centrale). Le facteur de Lorentz initial du jet est donc a priori variable sur des échelles de temps allant de ∆tvar,min à ∆tvar,max.

– la variabilité sur une échelle de temps ∆tvar étant associée à des chocs internes de rayon R ≃2c∆tvar (voir équation2.10), cela signifie que les chocs internes couvrent une large gamme de rayons allant de Ris,min ≃ 2Γ2c∆tvar,min (là où sont produites les plus courtes échelles de temps dans la courbe de lumière) à Ris,max≃ 2Γ2c∆tvar,max ≃ 2Γ2ctburst.

Le rayon d’émission à la fin de l’émission prompte est donc de l’ordre de Rγ ≃ 2Γ2ctburst, ce qui conduit à une échelle temporelle ∆tcurv,is = Rγ/2Γ2c ≃ tburst. Ainsi l’émission de haute latitude des chocs internes peut naturellement expliquer l’early steep decay (voir l’exemple présenté en figure7.2), ce qui est un argument fort en faveur de ce modèle.

7.2.3. Emission photosphérique

La situation est très différente dans le modèle où l’émission prompte est dominée par l’émission photosphérique car le rayon d’émission est bien trop petit pour que le scénario d’émission de haute latitude soit envisageable. L’échelle de temps de l’émission de haute latitude de la photosphère vaut

∆tcurv,ph = Rph2c ≃ 10−2 E˙kin 1052 erg s−1 !  Γ 100 −5 s , (7.2)

où Rph est le rayon de la photosphère donné par l’équation 2.8 (en prenant un nombre d’électrons par nucléon Ye= 1). L’échelle temporelle de décroissance ∆tcurv,ph de l’émission de haute latitude est donc bien trop faible pour pouvoir expliquer l’early steep decay. Une diminution du facteur de Lorentz Γ de l’écoulement à la fin de la phase prompte pourrait permettre de récupérer un rayon d’émission plus grand – mais cette éventualité ne permet toujours pas d’expliquer l’early steep decay car le flux de l’émission photosphérique s’écroulerait avec la diminution du facteur de Lorentz (car Lph ∝ Γ8/3, voir Mészáros & Rees 2000; Daigne & Mochkovitch 2002b, ainsi que la section 6.2), avant même le début de l’émission de haute latitude.

7.2 « émission de haute latitude » dans les différents modèles de dissipation dans le jet 183

Figure 7.2.: Emission de haute latitude dans le modèle des chocs internes. La forme de

l’émission de haute latitude dépend principalement du plus grand rayon d’émission Ris,max. Ce der-nier est relié à la plus grande échelle de variabilité ∆tvar,max ≃ tburst présente dans la courbe de lumière par Ris,max ≃ 2Γ2c∆tvar,max ≃ 2Γ2ctburst. Les trois exemples de sursaut synthétique pré-sentés ici illustrent cet aspect. Quatre panneaux du haut : deux exemples de sursaut synthétique

mono-pulse, avec (bleu) ou sans (rouge) variabilité à petite échelle. En haut, à gauche : distribution

initiale de facteur de Lorentz. En haut, à droite : rayon des chocs internes en fonction de tobs/(1+z)

(temps de réception des photons émis à une latitude nulle θ = 0). Au milieu, à gauche : courbes de lumière bolométriques en échelle linéaire. Au milieu, à droite : courbes de lumière bolométriques en échelle logarithmique. Deux panneaux du bas : sursaut plus complexe à trois pulses. En bas, à

gauche : distribution initiale de facteur de Lorentz. En bas , à droite : courbe de lumière

bolo-métrique en échelle logarithmique. Les courbes en pointillé représentent les pulses élémentaires. Ici, l’émission prompte est composée d’épisodes d’émission provenant de générations de chocs internes indépendantes, donnant 3 pulses de durées comparables. On a donc tburst/∆tvar,max ≃ 3 et la pente initiale de l’émission de haute latitude vaut environ 3 × (tburst/∆tvar,max) ≃ 9. Cet effet peut no-tamment permettre d’expliquer les pentes élevées d’early steep decay (jusqu’à environ 9) observées dans certains cas.

Dans les modèles photosphériques l’early steep decay doit donc être expliqué d’une autre manière. Cette phase de décroissance rapide du flux X doit refléter le déclin à la fin de l’activité du moteur central. Mais il resterait alors à comprendre quel mécanisme peut être responsable du caractère géné-rique de l’arrêt progressif de l’éjection relativiste (l’early steep decay est presque toujours présent avec des formes très similaires d’un sursaut à l’autre), alors même que les courbes de lumières promptes peuvent avoir des formes et des variabilités très différentes d’un sursaut à l’autre (voir par exemple l’échantillon de courbes de lumières gamma en figure1.14).

7.2.4. Reconnexion magnétique

Dans le cas des modèles invoquant la reconnexion magnétique comme mécanisme dissipatif respon-sable de l’émission prompte, la situation est moins claire. En effet, ces modèles sont toujours à un stade précoce de développement et n’ont pas le même degré d’avancement en termes de prédictions (notam-ment sur le rayon d’émission). Cependant il n’y pas de raison évidente, intrinsèque à ces modèles, qui expliquerait que le rayon d’émission Rγ s’étende naturellement jusqu’à 2Γ2ctburst, de manière à rendre le scénario d’émission de haute latitude possible.

Dans une première famille de modèles (voir §2.5.3 pour une discussion spécifique sur les différents modèles de reconnexion magnétique), le processus de reconnexion magnétique est progressif : il débute en dessous de la photosphère et s’étend jusqu’à un rayon typique Rγ ≃ 1013 cm (Drenkhahn 2002; Drenkhahn & Spruit 2002;Giannios 2008), rayon qui reste bien trop faible pour avoir la bonne échelle de décroissance de l’émission de haute latitude ∆tcurv ≃ tburst. Dans le modèle de McKinney & Uzdensky(2012), la reconnexion procède de manière catastrophique aux alentours de la photosphère à un rayon Rγ ≃ 1013− 1014 cm : ce rayon devient compatible avec le scénario d’émission de haute latitude pour les sursauts les plus courts (tburst .1 s), mais reste encore trop faible pour la majorité des sursauts longs. Notons cependant que le taux de dissipation magnétique reste très incertain. On ne peut donc exclure que de futures modélisations plus détaillées et réalistes prédiront un rayon de fin de dissipation Rγ plus grand.

Dans le modèle de Lyutikov & Blandford (2003) l’écoulement est purement électromagnétique et son énergie est dissipée au début de l’interaction avec le milieu extérieur, à un rayon de ≃ 1016 cm. Dans ce modèle, la courte échelle de variabilité des courbes de lumière gamma s’expliquerait par le fait que l’émission est produite par des petites régions en mouvement relativiste dans le référentiel comobile. Ces « fundamental emitters » sont générés dans l’écoulement d’ensemble par les événements de reconnexion magnétique et ont une distribution supposée isotrope dans le référentiel comobile. Dans ce contexte différents auteurs (Lyutikov 2006; Lazar et al. 2009; Narayan & Kumar 2009) ont calculé les courbes de lumière attendues avec une approche simplifiée : dans ces études, l’émission de haute latitude est « continûment » connectée à la phase prompte. Néanmoins ces résultats nécessitent un certain degré d’ajustement des différents paramètres du problème. Il est notamment choisi a priori que le rayon de dissipation vaut Rγ ≃ 2Γ2ctburst – ce n’est pas une conséquence naturelle du modèle, contrairement aux chocs internes.

Enfin le modèle deZhang & Yan(2011) pour l’émission prompte, propose un processus de dissipation magnétique rapide déclenché par des chocs internes « inefficaces » ayant lieu au sein d’un écoulement fortement magnétisé. Dans ce cas, il est probable que l’on retombe dans la situation du modèle classique des chocs internes (§7.2.2), où le scénario d’émission de haute latitude peut naturellement expliquer l’early steep decay des sursauts. Rappelons cependant que les mécanismes dissipatifs invoqués dans ce dernier scénario restent à être clarifiés et quantifiés.