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Travaux sur la dynamique du prion

3.3 Vers la découverte des micelles chez les prions

3.3.2 Une collaboration interdisciplinaire fructueuse

En étudiant notre modèle sous toutes les coutures, nous nous rendions bien compte que quelque chose manquait, mais nous ignorions quoi. Rajouter un élément comme la boîte noire de la figure 3.11 avait un sens, mais nous ne pouvions pas rajouter cet élément de manière purement phénoménologique.

Cette recherche du ou des éléments impliqués dans l’incompressibilité du temps de latence nous a pris plusieurs mois. Nous avons essayé plusieurs pistes théoriques qui n’ont pas marché, jusqu’à ce que Jean-Pierre Liautard et son équipe trouvent une réponse in vitro qui nous a sem-blé être la bonne : la clé qui permettait de passer d’une conformation non-pathologique de la

protéine prion vers une forme favorable à l’agrégation de plaques amyloïdes semblait reposer finalement sur une structure particulière, appelée micelle. Après plusieurs vérifications biolo-giques, par observations directes (voir figures3.12 et 3.13), tout semblait coller parfaitement. . Il fallait vérifier si théoriquement, la formation des structures micellaires et leur importance

FIGURE3.12 – Image électronique des micelles et des fibrilles de prion. Les micelles apparaissent avec des structures sphériques alors que les polymères PrPScsont sous la forme de tiges rigides [113].

dans le changement de conformation pouvait expliquer le phénomène de temps de latence in-compressible pour des valeurs numériques de paramètres biologiquement raisonnables. Nous avons donc construit un modèle discret en taille permettant de décrire ce phénomène. Le choix du discret était important pour nous afin de décrire l’évolution des micelles de taille assez faible mais également la transformation des monomères PrPCen monomères PrPScbasé sur l’approche de Masel et al. [159]. Le but était double : tout d’abord vouloir suivre l’évolution monomères par monomères et ensuite élaborer un modèle suffisamment simple pour qu’il soit compréhensible pour les biologistes.

La description du modèle tient en 4 étapes :

1. Étape 1 : formation des micelles dépendant des prions PrPC.

En notant M1un monomère PrPC et Mi les micelles de tailles i, où i 2, nous pouvions décrire la réaction permettant d’augmenter la taille des micelles par ajout de monomère PrPC de la façon suivante : M1+ Mi ai * ) bi+1 Mi+1, (3.66)

où ai 0 est le taux de recrutement des monomères vers les micelles et bi+1 0 est le taux de dépolymérisation des micelles en monomères PrPC (nous supposons que le processus est réversible à tout moment) (voir figure3.14).

FIGURE 3.13 – Image électronique des micelles et des fibrilles de prion prises à différents moments de l’expérience dans deux solutions tampons différentes (tampon C en haut et tampon B en bas). Nous voyons clairement que les micelles apparaissent d’abord seules (gauche), puis les polymères PrPScet les micelles coexistent (centre) et à la fin de l’expérience, seuls les PrPScrestent, les micelles ayant quasiment tous disparus.

concentrations de micelles au temps t 0et pour i 2, nous obtenons une équation pour le flux associé à la réaction précédente (3.66), appelé également taux net de la réaction,

Ji(t) = aim1(t)mi(t) bi+1mi+1(t), i 1. (3.67)

2. Étape 2 : Transition vers un PrP, où PrP représente la forme adaptée ‘ìntermédiaire” pour polymériser facilement avec les PrPSc.

En notant P1ce monomère intermédiaire PrP, a i et b

i+1les taux de recrutement de dépo-lymérisation jouant un rôle analogue à celui de la réaction (3.66) (voir figure3.14), nous obtenons pour i 2: Mi+1 b⇤ i+1 * ) a⇤ i Mi+ P1, (3.68)

En notant p1(t)la concentration des P1 au temps t 0, nous obtenons le taux net de la réaction,

Ji(t) = aip1(t)mi(t) bi+1mi+1(t), i 1. (3.69) 3. Étape 3 : phase de nucléation.

FIGURE3.14 – Représentation schématique d’une micelles et des interactions avec les monomères PrPC

(pentagones bleu) et PrP(disques orange).

PrP. Quand ces oligomères atteignent la taille n, ils forment ce que l’on appelle un noyau stable. La formation de ces oligomères est donnée par les réactions suivante

P1+ Pi k+i * ) ki+1 Pi+1, 1 i  n 1. (3.70) Ici, k+

i décrit le taux pour lequel un oligomère Pi va s’attacher à un monomère PrP pour former un oligomère de taille i+1. Et cette réaction est réversible, avec un taux de réaction “inverse” ki+1. Et le taux net associé à cette réaction est,

Hi(t) = k+i p1(t)pi(t) ki+1pi+1(t), 1 i  n 1. (3.71) Ce processus est appelé nucléation et ces petits agrégats (oligomères) sont encore suppo-sés ne contenir que des monomères PrP. Ils sont encore très instables. Biologiquement, nous pouvons même dire que la réaction précédente (3.70) est énergiquement défavorable, c’est à dire que k+

i /ki+1⌧ 1. Et donc les oligomères peuvent facilement relâcher des mo-nomères PrP jusqu’à ce qu’ils atteignent une taille n critique que l’on appelle le noyau. Une fois cette taille atteinte, nous obtenons un noyau stable que l’on appelle désormais PrPSc (voir figure 3.15), nous disons que la barrière de nucléation est franchie. L’hypo-thèse la plus importante que l’on formule ici réside dans le fait que les monomères PrPC

ne peuvent atteindre cette barrière qui serait pour eux énergiquement trop haute tandis que les isoformes PrP pourraient diminuer fortement cette énergie nécessaire à la formation de ces noyaux.

4. Étape 4 : phase d’élongation des polymères.

Une fois le noyau formé, qui forme la structure minimale des PrPSc, il peut polymériser en attachant des monomères PrP et non pas des PrPCqui requerraient une énergie beaucoup trop grande. Les polymères PrPSc de tailles i n sont notés Pi (voir figure 3.16). En notant alors k+et k les taux respectifs de polymérisation et dépolymérisation des PrPSc

FIGURE 3.15 – Représentation schématique de la nucléation, avec la polymérisation progressive des oligomères Pi(en haut) et le franchissement de la barrière de nucléation (formation du noyau) (en bas).

comme pour la réaction (3.70) pour i n, nous obtenons la réaction P1+ Pi k + i * ) ki+1 Pi+1, i n. (3.72)

Cette étape quant à elle est favorable et k+

i /ki+1 1. Le taux net de réaction s’écrit alors Hi(t) = ki+p1(t)pi(t) ki+1pi+1(t), i n. (3.73) 5. Étape 5 : fragmentation des polymères.

Pour une meilleure répartition homogène des éléments dans la solution, une agitation permanente est appliquée lors de l’expérience. Ceci a pour conséquence de provoquer la fragmentation des polymères PrPSc. Nous supposons que cette fragmentation est binaire ici (un polymère se casse en deux polymères de tailles inférieures). Ce phénomène permet ainsi d’accélérer le processus de croissance du nombre de polymères et donc de la masse totale de ces derniers. Nous définissons alors un taux de fragmentation ri avec un noyau de fragmentation associé i,j définissant la probabilité pour un polymère de taille i de se fragmenter en un polymère de taille j et un un autre de taille i j (voir figure 3.16). La réaction est donnée par

Pi rii,j

! Pi j+ Pj, 1 j i, (3.74)

et le taux net par

Fi,j(t) = rii,jpi. (3.75)

Nous pouvons désormais poser les équations d’évolution de notre modèle. Les équations sont les suivantes :

FIGURE3.16 – Représentation schématique de la polymérisation (en haut) et de la fragmentation (en bas) des polymères PrPSc).

1. pour les monomères PrPC de l’étape 1 précédente, d

dtm1(t) = J1(t) X

i 1

Ji(t). (3.76)

Noter que le flux J1 apparaît deux fois puisqu’il y a deux monomères impliqués dans la première réaction.

2. L’évolution de la concentration des micelles est donnée par d

dtmi(t) = Ji 1(t) Ji(t) + J

i 1(t) Ji(t), i 2. (3.77) 3. Les dynamiques des PrP sont données par

d dtp1(t) = J 1(t) X i 1 Ji(t) H1(t) X i 1 Hi(t) 2X j 2 Fj,1(t). (3.78) 4. Enfin, les oligomères et les polymères suivent les mêmes dynamiques qui sont données

par d dtpi(t) = Hi 1(t) Hi(t) + i 1 X j=1 Fi,j(t) 2 X j i+1 Fj,i(t), i 2. (3.79) Nous supposons posons les conditions initiales suivantes

mi(0) = m0

i 0et pi(0) = p0

i 0,pour tout i 1. Nous rappelons également que le noyau  suit les règles suivantes :

pour tout i 1, i,j 0et pour tout j i, i,j = 0,

étant donné qu’un polymère de taille i ne peut pas se fragmenter en morceaux plus grands que i. De plus,

i,j = i,j 1pour tout 1  j  i 1.

Ceci signifie que l’on ne peut distinguer un polymère de taille i qui se fragmente en taille j et i j d’un polymère qui se fragmente en taille i j et j. Et enfin, comme i,j est un noyau de probabilité nous avons

i 1

X

j=1

i,j = 1pour tout j  i. Comme dans les sections précédentes, nous notons

X

i 2

mi(t)etX

i 2

imi(t),

respectivement la concentration de micelles et la masse totale de micelles (nombre de PrP dans les micelles), sachant que le rapport entre cette masse et la concentration totale nous donne une évaluation de l’évolution de la taille moyenne des micelles au cours du temps. Et de la même façon X i 2 pi(t)etX i 2 ipi(t),

nous donne respectivement la concentration des polymères (oligomères et polymères confondus) et leur masse totale. Là encore, le rapport de la masse totale sur la concentration totale nous permet d’évaluer l’évolution de la taille moyenne des oligomères et polymères (confondus) au cours du temps.

Enfin, puisque nos expériences se font in vitro nous considérons un système fermé, où il n’y a pas de terme de sources ni dégradation des protéines, et donc, notre modèle doit préserver la masse totale de monomères, ce qui se traduit par la condition suivante :

d dt X i 1 imi(t) + d dt X i 1 ipi(t) = 0, t 0. (3.80)

C’est ce que nous obtenons grâce à la propriété du noyau de probabilité i,i.

L’étude qualitative du modèle détaillée dans [113] a permis de confirmer les dynamiques observées expérimentalement (voir figures3.17et3.18).

Le résultat le plus important est alors le temps de latence. Nous avons utilisons T50qui est le temps pour lequel la moitié de la masse totale finale a été polymérisée. Elle se confond ici avec le Tidéfini dans la section3.3.1. En effet, en posant 1/⌧ la pente maximale de la sigmoïde décrivant les dynamiques des polymères par rapport au temps. Nous avons vu dans cette section la relation Tlag = T50 2⌧ donnée par Lee et al. [137]. Étant donné que Tlaget T50sont liés par ⌧, nous préférons plutôt choisir T50, qui nous évite de construire une fonction sigmoïde empirique comme celle donnée en (3.61) avec de nouveaux paramètres à calculer et qui demeure un critère rapide et efficace de mesure indirecte du temps de latence.

Dans la figure3.19 où est mesuré le T50 en fonction de concentrations croissantes d’ense-mencement des PrPSc (à concentration de monomères prion PrPC) égale) (voir [113] pour les détails). Nous pouvons alors observer deux choses essentielles dans ce travail :

FIGURE 3.17 – Comparaison expérimentale des dynamiques entre le nombre de micelles (en rouge) comptés directement par microscope et amyloïdes prions (en noir) (mesurés par fluorescence de ThT) pour deux essais différents (tampon B en haut et tampon C en bas). On voit clairement que les micelles précèdent la formation des amyloïdes prions et disparaissent quand toute réaction est terminée.

1. notre nouveau modèle colle parfaitement aux données expérimentales cette fois, avec des paramètres biologiquement réalistes,

2. nous voyons bien qu’il existe un temps de latence incompressible et nous pouvons cette fois-ci le quantifier avec notre nouveau modèle.

Ce travail interdisciplinaire en étroite collaboration avec l’équipe de Jean-Pierre Liautard nous a donc permis à la fois de remettre notre premier modèle en question (celui de [104]), mais éga-lement de faire une découverte biologique importante à nos yeux sur une étape de la formation des plaques amyloïdes pour le prion.

Cette découverte ne concerne cependant que les expériences in vitro qui ne donnent qu’une idée simplifiée de ce qu’il se passe in vivo dans le cerveau des individus. Cependant, nous sommes convaincus que notre découverte in vitro possède une analogie in vivo. Autrement dit, les protéines prions PrPCselon nous, doivent atteindre une conformation spécifique dans le cer-veau pour pouvoir ensuite se polymériser et former des plaques amyloïdes. Nous avons alors fait une plongée dans la littérature biologique pour vérifier si des pistes in vivo allaient dans notre sens. Et nous en avons trouvé au nombre de 4.

FIGURE3.18 – Comportement qualitatif du modèle des micelles-prions. Les dynamiques sont conformes qualitativement à celles de la figure3.17.

FIGURE 3.19 – Données expérimentales (carrés) et simulations numériques de notre modèle (courbe continue) représentant T50(relié au temps de latence par la formule de Lee Lee et al. [137]) en fonction de concentrations croissantes d’ensemencement des PrPSc(voir détails dans [113]). Nous observons deux choses : (1) que notre nouveau modèle incluant les micelles colle parfaitement aux données expérimen-tales et (2) il existe bien un temps de latence incompressible que l’on peut à la fois quantifier et expliquer.

membranaire (d’une cellule) sont substantiellement différentes de protéines PrP libres en solution [167], [213]. Autrement dit, ce qu’il se passe in vivo est bien différent de ce qu’il se passe in vitro,

2. les bicelles lipidiques anioniques convertissent les PrP riches en hélices-↵ en conforma-tions riches en feuilles- [149],

3. les lipides sont nécessaires pour convertir les PrPC en PrPSc infectieux sous certaines conditions physiologiques [231], [232],

4. la région hautement hydrophobique des PrPC est impliquée dans l’interaction avec les membranes lipidiques [230], et leur absence dans cette partie de la molécule perturbe leur conversion en PrPSc [233]. Et ce phénomène a également été observé pour d’autres peptides à l’origines de plaques amyloïdes [138], [225].

Notre hypothèse es en fait la suivante : la formation de micelles contenant un mélange de phospholipides et de PrPC permettrait de réduire la concentration nécessaire pour atteindre une concentration micellaire critique (CMC) (concentration en tensio-actifs au-delà duquel des mi-celles se forment spontanément) sous certaines conditions physiologiques. Nous pensons que ceci est cohérent avec l’apparition de noyaux in vivo et favoriserait même l’infectiosité des souches prions.

Ce n’était en fait que le début , mais Jean-Pierre Liautard est parti à la retraite juste à la fin de cette collaboration en 2011. Son équipe s’est alors éparpillée dans d’autres laboratoires. Cette période marquait également la fin de la thèse à la fois d’Erwan Hingant et de Romain Yvinec ainsi que de mon financement ANR en 2012.

Une période de transition nous a donc plus ou moins obligé à mettre ces questions en sus-pend. D’autre part, un financement France-Alzheimer en 2014 apportant une nouvelle collabora-tion avec Human Rezaei et son équipe nous fait changer de cap de recherche, à savoir la relacollabora-tion entre les protéines prions et les peptides A- responsables de la maladie d’Alzheimer.

Plusieurs questions restent ouvertes encore sur les micelles et le processus de conformation des PrPCen PrPSc(et plus particulièrement in vivo). Ce projet a été mis temporairement de côté mais reste quand même fortement ancré dans nos esprits.

Quant au projet de relation entre les protéines prion et les peptides A- , il a été initié durant les thèses d’Erwan Hingant et Mohamed Helal, alors que nous n’avions plus de collaboration avec des biologistes de Montpellier et pas encore de relations étroites avec l’équipe d’Human Rezaei de l’Inra de Jouy-en-Josas. Nous avons alors décidé d’élaborer un modèle inédit permet-tant de décrire cette nouvelle mécanique (assez controversée à l’époque) avec la collaboration de Glenn Webb. C’est ce que nous allons expliquer dans le chapitre suivant.