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Travaux sur la dynamique du prion

3.3 Vers la découverte des micelles chez les prions

3.3.1 Un temps de latence incompressible

La signification du temps de latence que nous choisissons ici est la suivante. Il existe selon nous deux temps de latence : celui de la formation du noyau Tnlag ( appelée nucléation) qui peut fortement varier d’une expérience à une autre. Ce phénomène de nucléation, qui n’apparaît que lorsque l’on initie l’expérience avec des monomères sains, est en effet excessivement sto-chastique et ne permet pas d’exhiber une relation claire avec le niveau de concentration initiale de polymères (puisque le premier polymère n’est formé que sporadiquement (spontanément)). Afin d’écarter ce problème, nous avons décidé de ne procéder qu’à des expériences où nous ensemençons le réservoir de PrPC par des PrPSc. De cette façon, les premiers noyaux sont déjà présents dans l’expérience et nous pouvons nous focaliser sur l’influence de leur concentration initiale seulement. Il existe alors un autre temps de latence, propre cette fois-ci à cette valeur de concentration initiale que l’on appelle le temps de latence résiduel ou Trlag. Et donc le temps de latence total est composé (sans ensemencement préalable) de Tlag = Tnlag + Trlag. Le but est de trouver un système pour calculer ce Trlag. Nous utilisons alors une fonction empirique qui s’adapte parfaitement aux courbes sigmoïdes caractéristiques de l’évolution de la fluorescence de la Thioflavin-T (ou ThT), l’outil de mesure de l’évolution de masse des polymères (ou encore du nombre total de monomères dans les polymères). Cette fonction f est définie pour tout t 0 par

f (t) = y0+ a

1 + e (t Ti)/⌧, (3.61)

où y0 quelques fois notée Fmax. Elle correspond à la polymérisation complète mesurée au mo-ment où la fluorescence est maximale, Ti est temps au point d’inflexion de la courbe et 1/⌧ correspond à la pente de la sigmoïde mesurée suivant la figure 3.7 qui correspond au taux de polymérisation. Dans le but de minimiser l’influence du taux de polymérisation dans la mesure tu temps de latence Tlag, nous avons choisi de définir ce Tlagcomme Lee et al. [137], à savoir

Tlag = Ti 2⌧. (3.62)

Le calcul du temps T0 pour lequel la polymérisation commence réellement (juste après le temps de latence) est alors donné grâce à la formule donnée par3.62, une fois que l’on connaît le T

FIGURE 3.7 – Représentation schématique de l’évaluation des paramètres Fmax, Ti, ⌧ sur la courbe sigmoïde d’évolution de croissance de la masse des polymères pour la polymérisation spontanée (A) qui considère le temps de nucléation Tnlag et la polymérisation ensemencée (B) (sans temps de nucléation) [9].

(voir figure3.7(B), autrement dit Trlag = Tlag T0. Nous obtenons alors un lien (voir [9]) entre les différentes masses mises en jeu et ce T0 :

m = a0+ M0

1 + (M0/m0 1)e k(t T0)/N, (3.63) où M0est la concentration initiale de monomères, m0est la concentration initiale de monomères contenus dans les polymères inoculés (masse initiale de polymères), m est le masse des poly-mères mesurées à chaque instant t par la fluorescence de la ThT et enfin N est la taille moyenne des polymères.

Nous décidons de considérer une théorie simplifiée basée sur la théorie de ‘pré-équilibre” de la nucléation de Golstein et al. [102] (voir aussi [174]) afin d’avoir une forte dépendance du taux de formation de fibrilles à la concentration qui croît avec la taille du noyau n, donnée par

Tnlag = a

nk+n 1KM0n 1, (3.64)

où a est une fraction donnée de la concentration de monomères, qui correspondent à la propor-tion de monomères polymérisés dans les noyaux, M est la concentration initiale de monomères,

k+n 1le taux de réaction de la dernière étape de polymérisation qui permet d’obtenir le noyau de taille n et K = ⇧n 2i=1 k i + ki+1.

Ce dernier terme permet de relier à l’équilibre le premier monomère à l’origine du noyau et le polymère de taille n 1(voir [9]).

On peut obtenir alors la dépendance à la concentration M0par la formule

log[Tlag] = (n 1) log[M0] + constante. (3.65) Expérimentalement et soutenu par une étude qualitative d’un modèle simplifié [9], nous arrivions à plusieurs conclusions biologiques :

1. La formation d’amyloïdes prion sous différentes conditions d’incubations suit des dyna-miques similaires (résultat expérimental (voir figure3.8) et conforté par nos études quali-tatives précédentes),

FIGURE3.8 – Cinétiques indépendantes de la formation de plaques amyloïdes avec deux conditions tam-pons différentes A et B à une concentration de 0.4 mg/ml. Le résultat donne des courbes qualitativement similaires permettant de les approximer assez fidèlement par des sigmoïdes.

2. les dynamiques de polymérisation révèlent un mécanisme hautement stochastique dont l’origine provient de l’hétérogénéité de la nucléation. Cette déduction expérimentale dans un premier temps [9] a été conforté dans la thèse de Romain Yvinec [236],

3. il existe bien un temps de latence incompressible Trlag, et la recherche de sa signification, après élimination de plusieurs hypothèses biologiques, nous a permis de montrer qu’il serait dû à un processus on-pathway (inhérent au processus de formation par opposition à off-pathway qui se passe en marge du processus que l’on observe sans interagir avec ce dernier),

4. il existe bien une hétérogénéité dans le protéines prions. Autrement dit, lors de la nucléa-tion, par une sensibilité aléatoire aux conditions de l’expérience, plusieurs conformations différentes peuvent apparaître, donnant naissance à plusieurs souches. C’est au final, en général le premier noyau qui rend le processus déterministe et oblige les autres souches

à disparaître, sauf dans certains cas, plutôt rares où plusieurs souches peuvent co-exister. Cette hypothèse a été confirmée par l’analyse en microscopie à électrons (voir figure3.9) et étudiée par Romain Yvinec [236],

FIGURE 3.9 – Analyse par microscopie à électrons montrant l’hétérogénéité des structures amyloïdes, prouvant ainsi l’existence de différentes souches.

5. l’ensemencement successif permet de sélectionner les souches les plus efficaces, mais le temps de latence reste incompressible (voir figure3.10),

FIGURE3.10 – Sélection de la souche la plus efficace par ensemencements successifs, aboutissant à une accélération du processus de polymérisation.

6. finalement nous avons montré que les processus de nucléation et d’élongation ne sollici-taient pas les mêmes mécanismes moléculaires.

Cette première tentative de conjuguer l’analyse qualitative et l’analyse quantitative des modèles avec les données expérimentales permet de faire le point sur l’état des connaissances de la forma-tion des plaques amyloïdes, du temps de latence incompressible et de la présence de différentes souches. Nous avons essayé de résumer une partie de ces résultats dans un schéma explicatif as-sez simple (voir figure3.11). Mais, comme nous pouvons le constater, il reste une zone d’ombre majeure dans cette analyse : nous ne savons toujours pas quelle est la raison de ce temps de latence incompressible.

C’est dans cet esprit que notre collaboration interdisciplinaire très resserrée nous a permis d’aller chercher, à la fois par des moyens théoriques et grâce aux ressources expérimentales de notre collègue biologiste Jean-Pierre Liautard, ainsi que son équipe, la solution, là où, nous ne serions pas nécessairement allés sans ces études préalables.

FIGURE3.11 – Schéma représentant la possible formation de différentes souches donnant naissance à un polymorphisme amyloïde. Nous pouvons remarquer la boîte noire de changement de conformation qui était encore inconnue au moment de la rédaction de l’article ([9]).