• Aucun résultat trouvé

Les équations de polymérisation, coagulation et fragmen- fragmen-tation

Maladies à prions : histoires et modèles L’élucidation de l’étiologie et de

2.2 Les équations de polymérisation, coagulation et fragmen- fragmen-tation

Comme nous le verrons dans les prochains chapitres dédiés à nos modèle des prions, je ne m’intéresse ici qu’aux approches déterministes décrivant la dynamique des interactions entre polymères et monomères. Je souhaite en effet montrer l’évolution naturelle des différents mo-dèles déterministes que nous avons élaborés et étudiés avec mes collaborateurs. Les momo-dèles stochastiques que nous avons étudiés, bien que très proches de ces recherches-là formeraient un chapitre à part et nécessiteraient un développement détaillé qui allongerait significativement ce manuscrit (rappel des outils mathématiques, développement du modèle, résultats analytiques principaux et interprétation biologique). Bien que très intéressant et enrichissant, je préfère ren-voyer le lecteur à la lecture du deuxième chapitre de la thèse de mon ancien étudiant, Romain Yvinec [236].

D’un point de vue déterministe donc, deux possibilités s’offrent à moi : les versions discrètes et les versions continues. Ce sont ces deux versions qui font l’objet de cette section. Je les utiliserai dans les deux prochains chapitres.

2.2.1 Equation de polymérisation-fragmentation : une approche discrète

Comme mentionné à la fin de la section précédente deux phénomènes sont modélisés dans les équations de polymérisation et fragmentation :

1- la polymérisation qui accroît la masse des polymères par attachement d’un monomère à l’une de ses extrémités (si l’on considère un polymère comme une tige), ou à un agrégat (appelé cluster en anglais),

2- la fragmentation des polymères qui correspond à la cassure brutale d’un polymère en deux ou plusieurs morceaux (dans mes modèles je ne considère que le cas où la séparation se fait en deux morceaux).

Il se peut que les polymères se rassemblent entre eux, on parle alors de coagulation. Dans notre cas, ce sera pour former des plaques composées le plus souvent de centaines de polymères. Becker-Döring

Un des premiers modèles discret de polymérisation-fragmentation date des années 1930. Introduit par Becker et Döring en 1935 [22], il a pour objectif de décrire la polymérisation et dépolymérisation d’agrégats par gain ou perte de monomère.

Autrement dit, en choisissant le monomère noté C1 comme unité de référence pour mesu-rer la taille d’un agrégat, ces réactions de polymérisation et dépolymérisation peuvent s’écrire comme suit :

1. Pour la polymérisation :

Ci+ C1 ai

* Ci+1, où Ci est un cluster contenant i éléments C1.

2. Et pour la dépolymérisation :

Les taux de réaction sont respectivement ai pour la polymérisation et bi pour la dépolymérisa-tion.

Grâce à la loi d’action de masse, ces schémas cinétiques très simples permettent de décrire le flux de chaque agrégat de taille i et donc l’évolution de leurs concentrations pour chaque taille. Le modèle de Becker-Döring est alors représenté par le système suivant :

8 > > > > > < > > > > > : d dtc1 = 2J1 +1 X i=2 Ji, d dtci = Ji 1 Ji, pour tout i 2, (2.1)

où les flux sont donnés pour tout i 1par

Ji = aicic1 bi+1ci+1.

Ce sont ces notations que j’utiliserai dans la section3.3.2. D’autre part, étant donné que la taille des polymères (ou des agrégats) peut devenir très grande, on se retrouve à manipuler une infinité d’équations différentielles. Ce qui peut s’avérer très peu pratique. Mais il est possible d’en tirer tout de même quelques propriétés intéressantes.

Dans mes travaux, j’ai, en plus de la polymérisation et dépolymérisation, une fragmentation en deux morceaux des agrégats (qui seront pour moi des fibrilles de prion). J’obtiens alors un modèle plus général que celui de Becker-Döring que je présente de la façon suivante.

Fragmentation

Supposons qu’un agrégat de taille j se scinde en deux morceaux, l’un de taille i et l’autre de taille j i. Pour décrire correctement le système, je dois introduire ce qui est communément appelé le noyau de fragmentation, que je note kj,i. Il permet de donner le nombre moyen d’agré-gats de taille i provenant de la scission d’agréd’agré-gats de taille j (quand il s’agit d’une fragmentation en deux morceaux). Ce noyau dans sa formulation générale peut représenter une fragmentation en plusieurs morceaux (au moins 2). Quelques modèles concernant cette fragmentation mul-tiple ont été étudiés, le premier date de 1957 [163] et d’autres ont suivi comme [130] ou [101]. Mais dans ce manuscrit, je me contente d’une fragmentation en deux morceaux par soucis de simplicité des calculs. Je peux décrire ce processus comme suit

Cj djkj,i

! Cj + Cj i.

Cette fois-ci dj représente le taux de fragmentation. Il y a des contraintes sur le noyau kj,i qu’il faut toutefois respecter : un noyau de fragmentation doit vérifier la conservation de la masse des monomères, autrement dit, la somme des tailles (ou encore le nombre de monomères dans les agrégats) après fragmentation, doit rester la même qu’avant. Autrement dit

j 1

X

Le système discret avec fragmentation s’écrit alors de la façon suivante 8 > > > > < > > > > : d dtc1 = 2a1c1c1 +1 X i=2 aicic1+ +1 X i=2 bii,1ci, d dtci = (aicic1 ai 1ci 1c1) dici+ +1 X j=i+1

bjj,icj, pour tout i 2,

(2.2)

Lorsque la scission se fait en seulement deux morceaux, le noyau de fragmentation s’écrit comme un noyau de probabilité symétrique que je note j,itel que kj,i = 2j,iet vérifiant

j 1

X

i=1

j,i = 1et j,i = j,j i(symétrie).

Notons que si je pose kj+1,j = 1pour tout i 1, k1,1 = 2et kj, i = 0sinon, le système (2.2) devient le système de Becker-Döring (2.1).

2.2.2 Equation de coagulation-fragmentation : cas discret

Il est possible de généraliser ce problème lorsque l’on tient compte de la coagulation. Dans mon cas, cela peut arriver par exemple lorsque des agrégats de fibrilles s’accrochent entre eux pour former des plaques encore plus grandes qui sont appelées plaques amyloïdes. De façon plus simple, je peux décrire ce phénomène par la réaction suivante

Ci+ Cj i,j! Ci+j.

i,j représente le taux de coagulation d’un agrégat de taille i avec un autre agrégat de taille j. Le résultat donne alors un agrégat de taille i + j.

Le modèle devient alors plus complexe que les deux précédents et s’écrit de la façon suivante d dtci = 1 2 i 1 X j=1 j,i jcjci j +1 X j=1 i,jcicj bici+ +1 X j=i+1

bjkj,icj, pour tout i 1. (2.3) Notons que b1 = 0puisque les monomères ne peuvent se fragmenter. Pour être cohérent avec la biologie je suppose que le taux de fragmentation est symétrique, autrement dit i,j = j,i. Et si je fais les hypothèses suivantes :

8 < :

i,1 = 1,i = ⌧i, pour tout i 2,

1,1 = 2⌧1,

i,j = 0, sinon,

j’obtiens le système (2.2) précédent.

La plupart du temps, les modèles décrivent des expériences in vitro, c’est à dire sans dégra-dation ni terme de source. Par conséquent, la masse totale de monomères est conservée pendant toute la durée des manipulations. Et donc, si je considère l’hypothèse de conservation sur les ki,j et de symétrie des i,j, en sommant les équations, et en inversant formellement les sommes, puis en intégrant par rapport à t, j’obtiens la relation suivante

X

ici(t) =X icini ,

où cin

i est la donnée initiale.

Cette relation doit se vérifier formellement dans les trois systèmes précédents. C’est pour cette raison que l’on travaille en général dans l’espace X suivant

X = ⇢

(xi)i 12 RN : P

i 1|xi| < 1 .

Le problème revient donc à étudier des solutions (ci)i 1 à valeurs dans X. Il faut donc que la condition initiale soit non seulement non-négative, mais que son premier moment, c’est à dire sa masse définie par P

i 1

icin

i , soit finie. C’est un espace classiquement utilisé dans l’étude de problèmes de coagulation-fragmentation discrets par Ball et al. [15], [14] ou encore Laurençot [130]. Des résultats d’existence, d’unicité et de comportement asymptotique existent, mais sous certaines contraintes :

1. Existence :

L’existence des solutions qui vérifient la conservation de la masse ne peut pas se montrer de façon générale malheureusement. En effet, pour une constant K > 0, lorsque i et j sont assez grands, et que l’on a i,j > K(i + j), on ne peut pas assurer cette propriété de conservation. Ce problème a été souligné par exemple par Hendriks et al. [110]. Cette condition décrit ce qui est appelé en physique le phénomène de gélation, pour lequel le taux de coagulation devient très grand et il y a formation d’agrégats infiniment grands. Mais, si ce taux de coagulation est “raisonnable”, dans le sens où on peut le contrôler, il est possible de préserver la conservation de la masse. C’est qui a été montré dans [15], [14] et d’une autre façon dans [130] (c’est cette dernière méthode que j’utiliserai d’ailleurs dans la section4.2), tirée de [109].

2. Unicité :

L’unicité des solutions est montrée de deux façons différentes :

(a) soit en ayant des hypothèses supplémentaires sur la condition initiale ([15] ou [130]), (b) soit en ayant des hypothèses supplémentaires sur le taux de coagulation ([15] ou

[14]).

3. Comportement asymptotique : le comportement asymptotique a été étudié plus spécifi-quement dans le cas où il existe Mitel que

i,jMiMj = bi+jki+j,jMi+j,

qui est analogue à ce qui s’appelle la “detailed balance” introduite par Boltzmann pour l’étude de ses équations. Cette condition permet d’obtenir la réversibilité des mécanismes. La convergence vers l’équilibre est alors donnée par des arguments d’entropie [13], [15], [219], [117] ou encore [42]. La vitesse de convergence exponentielle a également pu être estimée, même sans condition de réversibilité [86].

2.2.3 Une approche continue

L’approche continue est l’analogue du cas discret dans le cas où la population d’agrégats est très grande. Au lieu d’avoir une quantité dénombrable de différentes tailles i comme dans les modèles discrets, on change d’échelle, étant donné que les tailles peuvent aller jusqu’à l’infini

(théoriquement). On passe donc à une échelle macroscopique et on considère alors que la taille est une variable continue, généralement notée x. Ce sujet, de changement d’échelle et de passage du discret au continu, a été abordé plusieurs fois dans la littérature par Neu et al. [170], Laurençot et al. [131]. et Doumic et al. [72]. Il existe deux modèle principaux que je vais évoquer ici et dans le manuscrit : le modèle de Lifschitz-Slyozov et le modèle de Smoluchowsky.

Lifschitz-Slyozov

Le modèle de Lifschitz-Slyozov a été introduit comme son nom l’indique par Lifschitz et Slyozov en 1961 [145]. C’est la version continue du modèle de Becker-Döring où cette fois-ci la structure de taille est continue. Le modèle qui décrit les dynamiques des agrégats est une équa-tion d’évoluéqua-tion sur une foncéqua-tion (t, x) 7! f(t, x), où f(t, x) représente la densité d’agrégats de tailles x 2 R+ au temps t 0. Si je considère le système fermé (comme dans une expérience in vitro), j’aurais à rajouter une hypothèse pour la conservation de la masse totale de mono-mères. Cette équation est couplée avec une équation différentielle ordinaire en t 7! u(t), où u(t) représente la concentration de monomères au temps t (correspondant à c1 pour le modèle de Becker-Döring). Je suppose que les agrégats se polymérisent à un taux a(x) dépendant de la taille, et se dépolymérisent à un taux b(x) (ce sont les analogues respectifs des (ai)i et des (bi)i

du modèle de Becker-Döring.

La modification de la taille des agrégats f(t, x) se fait au travers de la polymérisation et dé-polymérisation à chaque instant t. Elle dépend de la taille x mais également de la concentration de monomères aux alentours de ces agrégats. Elle est décrite par une fonction que l’on appelle v définie pour tout t 0et pour tout x 2 R+ par

v(t, x) = a(x)u(t) b(x). Le modèle de Lifschitz-Slyozov s’écrit alors pour tout (t, x) 2 R

+⇥ R+, 8 > > > < > > > : @ @tf (t, x) + @ @x(v(t, x)f (t, x)) = 0, u(t) + Z 1 0 xf (t, x)dx = ⇢, pour tout t 0. (2.4)

Ici, ⇢ > 0 est une constante qui représente la masse totale de monomères. Lifschitz-Slyozov avec fragmentation

Si l’on rajoute de la fragmentation mais que l’on considère qu’il n’y a pas de dépolymérisa-tion (autrement dit b est la foncdépolymérisa-tion nulle), on obtient le modèle suivant

8 > > > > < > > > > : @ @tf (t, x) + u(t) @ @x(a(x)f (t, x)) = (x)f (t, x) + Z +1 0 (y)k(y, x)f (t, y)dy, d dtu(t) = u(t) Z 1 0

a(x)f (t, x)dx, pour tout t 0.

(2.5)

Ce modèle a été étudié dans de nombreux travaux au cours de ces dernières années, notamment par Gabriel [88]. C’est d’ailleurs une version modifiée de ce modèle que j’introduirai dans le chapitre3.

Modèle avec coagulation et fragmentation : Smoluchowski

Si l’on remplace la fragmentation par de la coagulation dans le modèle précédent, autrement dit, si l’on remplace le taux de fragmentation par l’opérateur de coagulation suivant

Q(f, f )(x) = 1