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Maladies à prions : histoires et modèles L’élucidation de l’étiologie et de

2.3 Les premiers modèles du prion

2.3.2 Le modèle de Masel

Ce modèle est celui qui entre tous a eu le plus de succès : il a été soit le plus utilisé sous sa forme hybride, soit une source d’inspiration pour les modèles en version continue avec des équations aux dérivées partielles structurées en taille. Ses avantages sont nombreux :

1. par rapport aux autres modèles d’autocatalyse par chaperonnes, il n’est pas limité en taille, 2. le système macroscopique (c’est à dire sans structure de taille obtenue par sommation, que je vais expliquer ci-dessous) permet une étude de stabilité complète à la fois de la quantité des monomères et des polymères, mais également de la masse (ici le nombre de monomères dans les polymères) des polymères,

3. la version microscopique (c’est à dire avec la structure en taille originelle) permet de décrire l’évolution de chacune des espèces mises en jeu suivant sa taille.

Le modèle de Masel est basé sur trois hypothèses principales que je décris ci-après.

1. La nucléation : l’une des hypothèses les plus importantes de ce modèle. Introduite par Lansbury [54], elle peut être décrite de la façon suivante. Les monomères PrPCs’agrègent pour former des polymères qui s’allongent progressivement. En dessous d’une certaine taille critique, ce processus est réversible à chacune des étapes. Mais au-dessus de cette taille critique, un noyau stable se forme, certainement par un repliement qui consolide la structure. La polymérisation devient alors irréversible. Autrement dit, il n’est plus possible théoriquement pour un polymère de taille supérieure à ce seuil de se dépolymériser. Il ne peut que s’allonger par polymérisation. C’est une des clés du modèle, qui toutefois ne tient pas compte, dans cette version, du processus réversible associé à l’apparition spontané de la maladie pour la raison suivante : les expériences biologiques montrent que cette première étape d’apparition sporadique du premier polymère stable est très aléatoire,

corroborant l’idée que le phénomène sous-jacent est fortement stochastique (voir thèse de Romain Yvinec [236]). Le modèle de Masel étant déterministe, cette partie est éludée par l’hypothèse d’ensemencement initial de fragments de polymères. Autrement dit, on part ici de l’hypothèse supplémentaire que si l’on est in vitro, l’expérience modélisée est déjà ensemencée par des polymères de PrPScde tailles supérieures à la taille critique. Dans le cas in vivo, cela signifie que l’individu observé serait déjà infecté, correspondant à notre volonté de décrire le processus de propagation dans des populations infectées.

2. La fragmentation : c’est également une hypothèse importante du modèle. Les fibrilles peuvent se casser en deux parties inégales à n’importe quel moment et la cassure peut avoir lieu à n’importe quel endroit du polymère. La variation de l’expression du taux de cassure dans les modèles qui suivront celui de Masel permettra de simuler les techniques d’amplification du nombre des fragments par PMCA (Protein Misfolding Cyclic Amplifi-cation). Cette technique est un moyen de casser le fibrilles par ultrasons afin d’augmenter le nombre d’échantillons de polymères de façon artificielle.

3. L’élongation ou polymérisation : Chacun des brins peut s’allonger en récupérant un monomère par polymérisation. Il ne peut le faire qu’un brin à la fois dans ce modèle. L’élongation ici n’a théoriquement pas de limite de taille tant qu’il y a une source d’ap-provisionnement de monomères.

En tenant compte de ces hypothèses, je peux établir le modèle de Masel. Les monomères PrPC.

Les protéines de PrPC sont décrites par la concentration v(t) 0pour tout t 0. Elles sont : 1. produites dans le système à un taux constant > 0,

2. dégradées suivant une probabilité constante > 0 par unité de temps. Les polymères PrPSc.

Les polymères PrPScsont décrits par la concentration ui(t)au temps t 0pour chaque individu i représentant le nombre de monomères qui les composent, ou en d’autre termes la taille du polymère. Ils sont :

1. dégradés suivant une probabilité µi par unité de temps qui dépend de leur taille,

2. mais ils ne sont pas produits naturellement par l’organisme donc il n’y apas de terme de source pour les polymères.

Polymérisation

L’hypothèse de la polymérisation est décrite de la façon suivante :

les protéines de PrPCpeuvent s’accrocher à un polymère. Et ainsi, un polymère de taille i s’al-longe par assimilation d’une nouvelle protéine, et sa taille est alors i + 1. Le processus d’élon-gation d’un polymère se poursuit avec un coefficient ⌧i dépendant de la taille du polymère lui-même. Il prend en compte les différentes réactions produites entre le monomère et le polymère (diffusion possible, probabilité de s’attacher à un monomère par exemple). C’est la raison pour laquelle le taux d’élongation d’un polymère de taille i est donné par ⌧iv(t)et dépend donc li-néairement de la quantité de monomères au temps t.

Fragmentation

Chaque polymère constitué de protéines PrPScpeut se casser en deux fibrilles de tailles inégales. Cette facilité à se fragmenter peut dépendre de la longueur du polymère. Supposons que l’on ait

un polymère de taille i, il peut alors se scinder avec une probabilité i par unité de temps. Cette scission crée deux brins l’un de taille j  i et l’autre de taille i j suivant un noyau de probabi-lité i,j. Il est possible ainsi, suivant la forme du noyau, de supposer qu’elle se casse seulement à la moitié donnant des tailles j/2 de chaque côté, ou bien n’importe où sur le polymère décri-vant ainsi une loi uniforme. C’est en général cette dernière loi qu’on utilise dans nos modèles. Il n’existe en effet pas encore d’observation biologique permettant de trancher sur la forme du noyau de probabilité. Il semble donc légitime pour l’instant de choisir celle qui simplifiera les modèles tout en restant quand même biologiquement réaliste.

Influence de la nucléation :

L’hypothèse de la nucléation permet de supposer qu’il existe une taille critique n0 > 0 en des-sous de la quelle il ne peut pas exister de polymère, ces derniers se désagrégeant en monomères. Une conséquence importante réside dans l’hypothèse suivante : lorsqu’un polymère de taille i se fragmente en deux fibrilles de taille j et de taille i j, si j < n0 (ou i j < n0), alors le morceau de taille inférieure à n0se décomposera instantanément en j (ou i j) monomères que l’on considère PrPC.

Le modèle de Masel dans sa forme la “plus complète”, s’écrit alors de la façon suivante (voir figure2.6) 8 > > > > > < > > > > > : dv dt = v X i n0iuiv + 2X j n0 X i<n0 i ji,juj, dui dt = µiui (⌧iui i 1ui 1)v iui+ 2 X j i+1 ji,juj, pour i n0. (2.8)

Ce système est le plus général et tient compte de toutes les hypothèses émises plus haut. Il est à la base de notre modèle et de l’étude d’autres auteurs comme Doumic et al. [72]. Mais je reviendrai sur ce dernier papier dans le prochain chapitre.

Le modèle original de Masel contient toutefois plusieurs simplifications.

1. Les taux de dégradation sont considérés indépendants de la taille du polymère et notés simplement par des constantes et µ,

2. le taux de polymérisation lui-aussi est supposé constant et noté ⌧, 3. la taille du noyau n0 est juste notée n,

4. le taux de fragmentation quant à lui, dépend de la taille de façon linéaire, autrement dit

i = i,

5. la probabilité de se casser i,j, suit une loi uniforme. C’est à dire que i,j = 1/isi j > n et i < j, et 0 si j  n ou j  i. Dit d’une autre façon, une fibre de taille j peut se fragmenter à n’importe quel endroit sans préférence, mais ne peut se casser en une fibre plus grande. Enfin, elle ne peut être considérée comme fibre que lorsque sa taille est supérieure au noyau n.

Les deux dernières hypothèses combinées permettent ainsi d’avoir une simplification entre iet  , ce qui au final revient à prendre une constante pour la fragmentation. Et donc, la version

FIGURE2.6 –A gauche : mécanisme de polymérisation avec une taille de nucléation minimale n = 6 (non pris en compte par le modèle de Masel [159]).A droite : modèle cinétique de croissance des fibrilles reprenant les hypothèses du modèle de Masel. Schéma tiré de Greer et al. [104].

originelle du modèle de Masel a plutôt la forme suivante : 8 > > > > > > < > > > > > > : dv dt = v 1 X i=1 ⌧ uiv + 2 n 1 X i=1 1 X j=i+1 iuj, dui dt = µui+ ⌧ (ui 1 ui)v + 2 1 X j=i+1 uj, pour i n, ui = 0, sinon. (2.9)

Il est repris par Masel est ses collaborateurs plusieurs fois [159], [158], [157]. Une des tech-niques pour étudier ce dernier modèle qui a priori fait intervenir un nombre infini d’équations est de le réduire en faisant une sommation. Ainsi, en notant U = X

i n

ui la quantité totale de polymères, et P =X

i n

iui la quantité totale de monomères contenus dans les monomères, que l’on pourrait considérer comme la masse de tous les polymères réunis, le système (2.9) s’écrit comme un “simple” système de trois équations différentielles linéaires

8 < : v0 = v ⌧ U v + n(n 1) U, U0 = µU + P (2n 1) U, P0 = µP + ⌧ U V n(n 1) U, (2.10) pour tout t > 0 avec une condition initiale définie de telle sorte que l’on ne commence pas seule-ment avec une population de monomères mais égaleseule-ment avec un ensemenceseule-ment de polymères. Autrement dit, v(0), U(0) et P (0) sont tous strictement positifs.

Ce dernier modèle (2.10) est appelé modèle macroscopique, car il décrit les dynamiques des quantités totales (monomères libres v, polymères U et monomères dans les polymères P ). C’est

le pendant du système (2.9) appelé modèle microscopique, qui lui décrit les dynamiques des individus étudiés suivant leurs tailles.

La condition initiale donnée ci-dessus reflète une des caractéristiques du modèle. Il décrit la propagation in vivo des prions dans l’organisme chez un sujet déjà infecté où il y a déjà des polymères de prion PrPSc.

Limites du modèle. Une des limites de ce modèle est la phase de nucléation initiale, autre-ment dit la phase d’apparition sporadique (spontanée) d’un polymère qui serait à l’initiation de la maladie sans transmission préalable qui n’est pas représentée ici. Cette apparition spontanée du premier noyau est fortement stochastique. Il ne peut être décrit correctement par les sys-tèmes déterministes ci-dessus, macroscopiques ou microscopiques. Comme je l’ai mentionné précédemment, j’élude ce problème ici même s’il a été étudié par Romain Yvinec [236].

Une autre limite de ce modèle discret est la difficulté d’étudier le modèle microscopique étant donné que ce dernier est représenté par un système composé d’une infinité d’équations différentielles.

Initiation de nos travaux. Masel et son équipe n’ont d’ailleurs effectué que très peu d’ana-lyse du modèle. Ils se sont plutôt focalisés sur les simulations numériques et l’évaluation de paramètres en utilisant des approximations assez fortes parfois. C’est ce qui a été à la genèse de notre réflexion et le début d’une plongée dans ce domaine de recherche qui s’est développé pour atteindre un rythme de croisière soutenu au moment de l’écriture de ce manuscrit.

C’est le déroulement de nos réflexions et de nos résultats sur la dynamique de la prolifération du prion qui sont présentés dans le chapitre suivant.