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iii L’internationalisation

2.2. L’histoire : la « biennalisation » de l’art à Montréal

2.2.2. Une biennale, un label (la fondation de BNLMTL)

Lorsqu’on a demandé à Claude Gosselin si la Biennale de Montréal était une nouvelle étape au Cent jours, il répondit « qu’il [était] plus exact de parler de continuité » (J.-J. Bernier 1998 : 26), validant du même coup la division protohistoire, histoire, que nous avons utilisée afin de raconter l’histoire de la Biennale de Montréal. Pour récapituler, les Cent jours d’art contemporain de Montréal et le phénomène des biennales internationales d’art contemporain partagent les mêmes fondements : l’international, l’industrie culturelle et touristique, ainsi que l’événementiel et le spectaculaire. Parce qu’elle était la continuité des Cent jours, la Biennale de Montréal bénéficiait, d’une certaine manière, déjà des fondements propres aux biennales. Cela lui était avantageux dans sa quête de notoriété internationale. BNLMTL comptait s’imposer davantage et surpasser son prédécesseur dans la perspective où elle devait poursuivre à partir de là où s’était arrêté les Cent jours (Lupien 1997 : 6).

De ce fait, la direction de la Biennale de Montréal cherchait à rendre BNLMTL conforme à l’idéal des biennales internationales. C’est du moins ce qu’il laissait entendre dans les entrevues que nous avons étudiées. Par exemple, lorsque Jean-Jacques Bernier avait questionné Gosselin sur ce qui allait distinguer la Biennale montréalaise des autres grandes biennales internationales, le fondateur avait répondu par la théorisation de sa biennale idéale : « une structure d’accueil pour des artistes vivants de différentes générations reconnus et moins connus

et choisis par le commissaire selon un thème qu’il a prédéfini et qui, influençant le produit final, fait de l’œuvre exposée un travail actuel plutôt qu’un travail muséal » (J.-J. Bernier 1998 : 26). En 1998, alors qu’elle était un projet concret à la veille de sa réalisation tangible, BNLMTL avait été définie par les idées de la recherche, du développement et de la communication (Lupien 1997 : 6). Depuis le tout début, la Biennale savait donc le chemin qu’elle entrevoyait : « La Biennale de Montréal a pour objectif premier de provoquer une prise de conscience de l’importance du visuel dans la qualité des lieux privés et publics, de reconnaître le visuel comme moyen d’échange des idées et de l’apprécier comme témoin de l’imaginaire » (BNLMTL 1998 : 3). Le projet aspirait à regrouper le plus grand nombre d’institutions du milieu des arts visuels à Montréal et à incarner un tremplin vers l’international pour les artistes locaux : « On veut créer une masse critique, une grande fête de l’art contemporain qui couvre tous les aspects, y compris le marché commercial. Cela dit, on ne veut pas adopter une approche élitiste. On veut que les œuvres soient présentes dans la ville », avait expliqué Gosselin (Baillargeon 1997 : B10). Aspirant à une plus grande envergure, l’événement tentait de s’imposer davantage dans l’industrie du tourisme, dans le monde des affaires, auprès des gouvernements et des agences culturelles paragouvernementales. Ces objectifs et ces idéaux tributaires de l’ambition et de la vision de Gosselin laissaient entrevoir une série d’expositions bisannuelles grandioses, dignes de ce qu’offrent les plus grandes biennales.

La Biennale de Montréal est la continuité des Cent jours. Leur objectif et leur contenu sont semblables, mais leur périodicité est différente. Claude Gosselin avait bien annoncé que le battement de deux ans plutôt qu’un entre chacune des éditions de l’événement international allait permettre de meilleures réalisations. Mais cette périodicité bisannuelle est-elle le seul facteur mélioratif dans cette histoire? Autrement dit, le CIAC ne doit-il la continuité de son événement international de grande envergure qu’au précepte « bi » du terme biennale ? Certainement pas. Car le terme autrefois singulier de « biennale » s’est forgé depuis la première manifestation bisannuelle à Venise. Le monde de l’art contemporain l’a caractérisé. Il est devenu pluriel, évoquant plusieurs de ces grands idéaux souhaités par les biennales, incluant celle de Montréal. Ainsi, en passant des Cent jours à une biennale, le CIAC et Montréal auraient plus que profité d’une périodicité moins essoufflante ; ils auraient profité du label de « biennale ».

La théorie de biennale comme label a certainement marqué, voire peut-être même expliqué la mutation des Cent jours vers la Biennale. Dans le cas montréalais, elle sera développée à la lumière de la rigoureuse réflexion que partage l’historienne de l’art montréalaise, Johanne Sloan, dans son article Biennalism in Montreal (2002). En 2002, la Biennale de Montréal en était à sa troisième édition. Maintenant qu’elle avait adopté le label de biennale, Sloan cherchait à savoir si Montréal faisait plus que jamais partie du monde cosmopolite de l’art. Car déjà en 1998, lorsque Claude Gosselin avait décidé d’adopter le label biennale, il avait du même coup proclamé le nouveau statut international de la ville de Montréal et son nouveau statut de grande ville du monde : « Comme Lyon, Changeai, Venise et d’autres grandes villes, Montréal a maintenant sa biennale internationale d’art contemporain » (Sloan 2002 : 3). Une telle proclamation en revient à dire que le label de biennale, à lui seul, permettrait à une ville, même périphérique, de rejoindre les plus importantes villes de la scène artistique internationale (Sloan 2002 : 125). Ainsi, Sloan perçoit dans la mutation des Cent jours vers la Biennale un « geo-culturally realigned » de la scène artistique internationale (Sloan 2002 : 4). Le label que représente le terme biennale fait que cette appellation est beaucoup plus influente et donc efficace dans le placement et la réussite de Montréal à l’international que l’était l’appellation des Cent jours : « l’appellation “biennale” semblerait magnifier la pertinence et le cachet contemporain d’un événement, tout comme le prestige de la ville qui la reçoit42 » (Sloan

2002 : 123). Parce qu’à Montréal, l’événement international et de grande envergure ne s’appelait plus dès lors les Cent jours d’art contemporain de Montréal, mais bien la Biennale de Montréal, toutes les chances de réaliser le réalignement géoculturel de Montréal étaient théoriquement réunies.