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iii L’internationalisation

2.2. L’histoire : la « biennalisation » de l’art à Montréal

2.2.3. La réception de BNLMTL: présage d’un second renouvèlement

Nous venons tout juste de discuter des théories interdépendantes de Claude Gosselin sur une Biennale montréalaise idéale et de Johanne Sloan sur le label de biennale à Montréal. Ces théories se sont-elles concrétisées au fil des sept éditions de la Biennale de Montréal ou en sont- elles restées abstraites? L’historienne de l’art fait remarquer que les biennales apparues dans les

42 Notre traduction (« The “biennial” appellation itself seems to magnify an event’s contemporary relevance and

années 1990, décennie dans laquelle est arrivée la Biennale de Montréal (1998), sont reconnues pour avoir mis l’accent sur la relation entre l’art et les spécificités géographiques (Sloan 2002 : 125). La ville qui produit la biennale en devient donc un élément clé, voire même un protagoniste, et les artistes de cette ville représentent le sens de l'endroit et de l'identification locale. Cette caractéristique amène Johanne Sloan à interpréter les biennales comme des expositions créant la cartographie du monde, d'où la dimension utopique d'un tel rassemblement. Cette dimension utopique réside dans l'au-delà des frontières de la langue, des frontières ethniques et économiques qui se traduit par une compréhension commune des œuvres exposées, ce que l’historienne de l’art dénomme « aesthetic commonality » (Sloan 2002 : 125). Effectivement, la dimension utopique reconnue aux biennales transcende toute les différences que l’humain s'est reconnues à travers ses différentes sociétés et cultures mondiales. Les biennales se proclament comme porteuse d'une rhétorique multiculturelle et cosmopolitaine.

Pour être de son temps et entrer rigoureusement dans la compétition de plus en plus féroce, la Biennale de Montréal devait exploiter avec brio la tension entre le local et l’international étudiée dans le premier chapitre du mémoire. La réussite de l’événement allait en dépendre puisque c’était ce que les critiques évaluaient à l’époque. La première édition de la Biennale de Montréal aurait pu bien s’en sortir grâce à son aspect de nouveauté qui avait amené les grands journaux artistiques internationaux à descendre dans les rues de Montréal et à rapporter à la presse internationale l'événement montréalais. Toutefois, ces derniers ont rapporté que la Biennale de 1998 n’a pas bien su afficher le local à l’international et déployer l’international au local, soit l’objectif premier de toute biennale. La plupart des critiques étaient désintéressés face à l'art local et c’est là qu’a échoué la première édition. En effet, certaines critiques reprochaient à la première édition de BNLMTL d’avoir trop exclu l’art québécois engagé, c'est-à-dire, l’art contemporain traitant de la scène politique et historique québécoise (Sloan 2002 : 128). Par exemple, en 1998, bien que la critique Eleanor Heartney ait reconnu le potentiel de BNLMTL dans le positionnement de ses artistes locaux sur la scène internationale, elle lui reprochait l’échec fondamental d’avoir exposé des œuvres locales trop peu engagées dans les conflits locaux et dans une rupture historique (Heartney 1999 : 51). Ce choix de BNLMTL, s’il en était un véritable plutôt qu’un simple hasard, pourrait s’expliquer par les tensions souverainistes, ethniques et les difficultés économiques qui frappaient le Canada à l’époque.

L’exposition du local à l’international ne fut pas la seule déception de la première édition. En 1998, outre Eleanor Heartney, les critiques Stéphane Aquin, Stéphane Baillargeon, Blake Gopnik, Henry Lehmann, Jean-Jacques Bernier, Stéphanie Bérubé et Jennifer Couëlle commentaient tous plus ou moins sévèrement le contenu et/ou la mise en exposition de la première édition de la Biennale de Montréal.

Globalement, la Biennale de Montréal sous la direction de Claude Gosselin ne connut jamais de grands succès dans les critiques. En 2004 et en 2007, des titres de critiques tels que Un échec quasi-total (Lévy 2004 : 31) et Pas morte : c’est déjà ça (Jérôme Delgado 2007 : 96) témoignent d’une situation qui s’est peu améliorée depuis ses débuts, bien que les critiques soient constamment partagées. Sans savoir qu’elle allait six années plus tard renouveler cette Biennale déjà à bout de souffle en 2007, Sylvie Fortin, la nouvelle directrice générale et artistique de BNLMTL depuis 2013, avait perçu à l’époque ce qu’elle confirma aussi en début de mandat à la Biennale : « Au bout du compte, [la Biennale sous Gosselin] fut davantage une biennale d’opportunités qu’un événement provocateur bien conçu basé sur des collaboration43 »

(Fortin 2007 : 52). Nous n’allons pas faire un état exhaustif de chacune de ces critiques, car même si certaines d’entre elles furent plus positives et élogieuses au fil des éditions, il reste que le contrepoids des mauvais commentaires amena l’événement à un point critique : celui d’un second renouvèlement indispensable.

Les critiques ont une part de responsabilité dans la réussite ou l’échec de l’événement qu’ils commentent et c’est un argument que soutient Claude Gosselin à sa défense. Ce dernier explique qu’en 1998, par exemple, les critiques locaux n’étaient pas à l’aise de commenter l’art d’ailleurs : « en se référant [aux critiques locaux], les seuls bons artistes étaient les Canadiens » (Sorenson 2011), un comble pour une biennale internationale. BNLMTL 2009 fut aussi victime des critiques pour une raison supplémentaire. Cette édition focalisait sur l’art technologique, un médium peu connu des critiques du moment, ce qui entraîna, une fois de plus, des commentaires négatifs (Sorenson 2011).

Les critiques n’auraient certainement pas été aussi sévères envers les premières éditions de la Biennale de Montréal si l’appellation biennale n’était pas un label, qu’elle ne renvoyait

43 Notre traduction (« Ultimately, this is a Biennale of opportunity, rather than a tightly conceived, provocative

pas directement à la prétention et à la réputation d’être international, événementiel, spectaculaire et grandiose à tout prix. Cela avait semé de grandes attentes. D’ailleurs, les mêmes critiques qui avaient décrié la première édition de la Biennale de Montréal avaient, précédemment à cela, publié des critiques qui témoignaient de la frénésie que suscitait l’attente du lancement de la Biennale de Montréal : « Un grand festival de l’art contemporain. Lancement de la première Biennale de Montréal » (S. Baillargeon ) ; « The Cent jours [is] history ; long live the Biennale » (H. Lehmann) ; « Biennale. L’émerveillement et la magie sont au programme de l’événement » (B. Lamarche) ; « Un événement attendu : la première Biennale de Montréal » (S. Bérubé). Un grand enthousiasme peut provoquer de plus importantes déceptions. Il est vrai que Gosselin lui- même avait nourri cet enthousiasme en faisant une promesse digne de la prétention à laquelle est associé le label de biennale, comme le souligne Bérubé : « Au printemps dernier, Claude Gosselin, […], promettait que sa première Biennale de Montréal serait un événement à la hauteur des plus grandes fêtes de l’art contemporain existant déjà sur la planète » (Bérubé 1998 : D16). Stéphane Baillargeon, déçu, avait répondu à cette promesse par une critique négative : « Le pari était de doubler la mise des Cent jours d’art contemporain, qui s’essoufflaient depuis quelques années, et surtout ajouter un excellent et réputé festival de calibre international à une métropole qui les multiplie jusqu’à plus soif. Pari raté. » (Baillargeon 1998 : A1). Gosselin se dit lui-même déçu face au mécontentement presque certain des Montréalais qu’il reconnaissait comme en droit de s’attendre à davantage devant un événement de ce type, devant le label de biennale (Jean-Jacques Bernier 1998 : 26).

Grandes attentes ou pas, l’historienne de l’art Rose-Marie Arbour décrie le « ton définitif et sans appel » (Arbour 1998 : A7). Parmi l’homogénéité des critiques amères, Rose-Marie Arbour est la seule à non pas acclamer la Biennale de 1998, mais à y écrire une critique qui se veut plus constructive. Elle y rappelle la périphérie du Canada. Si les biennales se veulent dépourvues de tout propos colonialiste, c’est pourtant ce motif toujours persistant qui confine certains pays jadis colonisés au statut de ville périphérique. Le Canada est un pays difficile pour l’art contemporain : l’absence d’un bassin adéquat de collectionneurs ne lui donne pas accès aux moyens financiers des grands pays occidentaux et l’argent est un facteur déterminant dans la réussite des biennales. De toute évidence, la Biennale de Montréal s’est toujours trouvée dans le besoin financier (Aquin 1998). La première édition de la Biennale n’avait pas reçu la subvention de 200 000$ du Conseil des Arts du Canada, limitant le budget global à 1,5 million,

une maigre somme lorsqu’on parle de biennale internationale (Baillargeon 1998 : B10). Devant la fragilité causée par le caractère périphérique du Canada, Rose-Marie Arbour invite le milieu culturel – critiques, artistes, organisateurs d’événements – à être solidaires les uns aux autres et à travailler ensemble à une solution de rechange.

Pour acquérir une certaine notoriété, la biennale d’une ville périphérique doit être la réunion de grands noms importants de la scène artistique internationale. Montréal n’a toutefois pas présenté des artistes-vedettes de l’art contemporain, sauf quelques exceptions. Dans le même ordre d’idée, les commissaires de chacune des sept éditions n’ont jamais fait le poids des Hou Hanru, Chus Martinez, Carolyn Christov-Bakargiev ou encore Okwui Enwesor44.

Alors que la fin des Cent jours avait connu des moments plus difficiles, la Biennale, ou plutôt le label idéalisé qu’elle représentait aux yeux de certains à cette époque, était vue comme salutaire. Or, de 1998 à 2011, les commentaires sur la Biennale de Montréal ont révélé que l’adoption du label de biennale ne suffisait pas à faire d’un événement une manifestation grandiose et reconnue à travers le monde. Il fallait aussi que d’autres éléments du gage de succès soient réunis. Comme les Cent jours, mais de manière plus amplifiée, la Biennale de Montréal avait tenté, durant ses sept éditions, d’intégrer la scène artistique internationale en réunissant quelques-uns de ces éléments. Par exemple, la Biennale était un événement éphémère présenté pendant un à deux mois. De plus, elle présentait plusieurs expositions qui prenaient place en dehors des lieux artistiques habituels, comme le Marché Bonsecours. Finalement, elle réunissait des artistes locaux et internationaux sous l’organisation d’un ou de plusieurs commissaires qui choisissaient le thème. En somme, elle avait timidement réuni les fondements des biennales internationales : l’événementialisation, la spectacularisation, l’industrie culturelle et l’internationalisation. Trop timidement probablement, puisque chacune des sept éditions a fait l’objet de critiques certes partagées, mais dont le ton à l’occasion sévère, déçu et négatif, laissait entrevoir un essoufflement imminent de la Biennale montréalaise. Ceux qui avaient assisté à la fin des Cent jours d’art contemporain de Montréal auront eu une impression de déjà-vu : la Biennale de Montréal avait besoin d’un renouvèlement.

44 Ces commissaires d’exposition font partie du circuit international des biennales. Ils renvoient à une image de