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vii L’envergure monumentale

Chapitre 2. Histoire de la Biennale de Montréal

Si la première édition de la Biennale de Montréal (BNLMTL) a lieu en 1998, elle tire pourtant son origine des Cent jours d’art contemporain de Montréal37, un événement-exposition

artistique créé et produit par le Centre d’art contemporain de Montréal (CIAC) en 1985. Nous reconnaissons la continuité entre les deux événements et souhaitons la mettre ici en évidence. Pour ce faire, nous diviserons la genèse de la Biennale de Montréal en trois temps : sa protohistoire, son histoire et son renouvèlement. Les Cent jours constitue sa protohistoire, la création de la Biennale son histoire et le remaniement de sa forme son renouvèlement. De nos jours, BNLMTL cherche à se renouveler de façon à remédier à ce passé laborieux et à se lancer vers un futur prolifique.

Dans cette première partie, il ne s’agira pas seulement de reconstituer dans une chronologie linéaire quelques éléments historiques sélectionnés de la Biennale montréalaise et de dresser ainsi son histoire pour l’une des premières fois. Il s’agira également, et surtout, d’apporter une réflexion sur l’évolution d’événements à vocation internationale à Montréal et sur la fertilité de la scène artistique montréalaise nécessaire à l’épanouissement d’une biennale internationale de grande envergure. Déconstruire la genèse de la Biennale de Montréal permettra alors de mieux comprendre les motivations, les enjeux, les significations et donc les raisons de son renouvèlement qui a eu lieu en 2014, question qui trouvera réponse dans le prochain chapitre. En d’autres mots, l’histoire que nous entendons dresser ici, bien qu’elle soit chronologiquement organisée, ne cherche pas tant à poser et à situer les faits qu’à les analyser et à les contextualiser par rapport à ce renouvèlement qui termine cette genèse en l’ouvrant sur une autre à suivre dès à présent.

37 Afin d’alléger le texte, nous utiliserons, comme l’ont fait de nombreux auteurs, l’appellation plus courte des Cent

2.1. La protohistoire : les Cent jours d’art contemporain de

Montréal

C’est à Claude Gosselin, conservateur, commissaire d’art contemporain et administrateur des arts, que l’on doit cette genèse de la Biennale de Montréal et la Biennale elle-même. Il travailla au Conseil des Arts du Canada de 1975 à 1979. Il fut ensuite conservateur au Musée d’art contemporain de Montréal de 1979 à 1983 avant de fonder, en 1983, le Centre international d’art contemporain de Montréal (CIAC), point de départ de la protohistoire de BNLMTL. Depuis sa fondation, le CIAC, dirigé par un conseil d’administration et par des professionnels du milieu de la communication et de l’administration des arts, est un organisme à but non lucratif qui aspire à la pérennité. Bien que la discipline des arts visuels soit sa première préoccupation, le CIAC ne s’y limite pas seulement. Il fait aussi la promotion de médiums variés comme le design, le graphisme, la vidéo et le film d’art, l’architecture, l’architecture du paysage et l’urbanisme (Site internet du CIAC). Le CIAC a pour mandat de favoriser la production et la diffusion de l’art contemporain et actuel québécois, canadien et étranger à travers une « structure souple » (Gosselin 2004 : 6). Cette « structure souple » permet au CIAC d’agir avec clairvoyance et rapidité sur les sujets de l’heure et donc de se distinguer des institutions muséales contraintes, par leur mandat, à beaucoup moins de flexibilité (Gosselin 2004 : 6).

Dans un Montréal où les festivals étaient, comme encore aujourd’hui, déjà bien nombreux et où les institutions muséales représentaient un nombre juste proportionnellement à sa population, il était important pour le CIAC de justifier dès le début sa raison d’être par rapport aux organismes culturels existant déjà sur la scène artistique montréalaise. Dès ses débuts, le CIAC s’était donné pour mission d’exposer des artistes contemporains et actuels et de laisser aux musées les rétrospectives et les expositions d’artistes d’époques antérieures. C’est donc à cette « structure souple », à ce mandat distinctif et original, que le CIAC doit ses subventions.

Par exemple, en 1990, désireux de varier ses événements, Claude Gosselin avait produit une rétrospective de Fernand Leduc, un artiste alors accompli, ce qui lui coûta la perte de sa

subvention annuelle de la Commission d’initiative et de développement culturel (CIDEC)38. La

commission lui avait refusé la subvention en lui reprochant de s’être trop éloigné de son mandat (des Rivières 1990 : 15). Cette anecdote a été rapportée ici afin de montrer la volonté, dans l’administration montréalaise, d’appuyer le besoin d’un organisme à Montréal exclusivement voué à la production, la promotion et la diffusion de l’art contemporain et actuel.

2.1.1. Le CIAC et le MACM : une contextualisation historique

La nécessité d’adopter un mandat qui allait se différencier de ceux des musées était importante compte tenu du contexte dans lequel le CIAC a été fondé. Il sera donc éclairant de contextualiser cette arrivée à l’intérieur de la sphère des institutions d’art contemporain à Montréal dans les années 1980. À cette époque, alors que l’art contemporain tentait d’éclore et de se démocratiser avec un succès croissant sur la scène artistique montréalaise, le Musée d’art contemporain de Montréal adoptait de plus en plus la forme et le mandat qu’on lui connaît aujourd’hui. En d’autres mots, l’art contemporain à Montréal commençait, dans les années 1980, à s’imposer, d’où l’affirmation d’institutions comme le CIAC et le MACM.

En effet, si le musée a été fondé en 1964, ce ne fut pas avant 1983 qu’il fut constitué en société d’État avec le mandat suivant : « Le Musée a pour fonctions de faire connaître, de promouvoir, de conserver l’art québécois contemporain et d’assurer une présence de l’art contemporain international par des acquisitions, des expositions et d’autres activités » (Site web officiel du MACM : historique). Nous voulons souligner le fait que le CIAC surgit à un moment où le MACM, après avoir oscillé et s’être cherché, prévoyait s’établir au centre-ville de Montréal, bien qu’il n’y a déménagé qu’en 1992. Ce désir était dans le but d’affirmer de plus en plus la présence de l’art contemporain local et international sur le territoire montréalais et québécois, bref, ce à quoi aspire également le CIAC. Chose notable, toutefois : si la mission du

38 Organisme ayant existé de 1987 à 1993, aujourd’hui appelé le Service de la culture. « Le mandat de la

Commission d'initiative et de développement culturels [était] d'encourager, faciliter et coordonner les initiatives des créateurs, producteurs et diffuseurs montréalais, en concertation avec ses partenaires gouvernementaux et privés. Elle […] favorise le développement des industries, des espaces et des événements à caractère culturel dans les domaines des communications, des arts et du design ainsi que dans le champ de la connaissance du patrimoine, des sciences et de la technologie. Enfin, elle agit à titre d'expert et de conseiller auprès de l'administration municipale sur toutes les matières culturelles et socioculturelles et stimule les efforts de rayonnement de Montréal aux plans national et international (Énoncés de mission et structures organisationnelles des services municipaux, 1991) » (http://archivesdemontreal.ica-atom.org/commission-dinitiative-et-de-developpement-culturels. Consulté le 7 janvier 2016).

musée était d’exposer, de collectionner et de conserver, celle du CIAC ne comprenait que l’exposition : « notre mandat n'a jamais été d'amasser et de bâtir une collection, mais bien de montrer le travail des artistes en leur commandant des œuvres nouvelles, actuelles », précise Gosselin (Caza 2009). Il reste qu’en 1983, les deux institutions intervenaient sensiblement dans les mêmes sentiers. Le fondateur du CIAC sut toutefois établir une formule bien distincte de celle des musées et qui s’accordait avec ses véritables champs d’intérêt : l’événementialisation.

Par son caractère événementiel, la programmation du CIAC se définit comme complémentaire aux musées, ce qui légitima sa création. En effet, le CIAC permit aux musées de se recentrer un peu plus sur leurs fonctions initiales de préserver et de collectionner et un peu moins sur la gestion d’une politique de l’événementiel à laquelle ne peuvent échapper les musées d’art depuis la généralisation de l’industrie culturelle (Alcade 2011 : 47). Ainsi, la quête de cette distinction entre le MACM et le CIAC empêcha l’une des deux instances culturelles montréalaises de s’embourber dans l’échange de leurs rôles respectifs, comme l’explique l’historien de l’art Maxence Alcade à propos de ces deux types d’activités curatoriales : « D’un côté, on observe une institution qui remplit sa mission pédagogique tournée vers l’histoire à travers sa collection permanente ; de l’autre, des expositions temporaires qui reflètent une actualité artistique immergée dans son temps » (Alcade 2011 : 47). Nous verrons, ultérieurement, que le renouvèlement de BNLMTL viendra brouiller cette distinction légitime entre musée et événement artistique.

2.1.2. La formule des Cent jours apparentée au phénomène des biennales

Colette Tougas écrit dans l’ouvrage CIAC 20 : les 20 ans du CIAC que « le côtoiement international » et « la médiation publique », qui découle de l’événementiel, constituaient les fondements philosophiques du CIAC (Tougas 2004 : 46). Hasard ou pas, les fondements des Cent jours d’art contemporain de Montréal s’accordent avec les critères d’évaluation caractérisant le phénomène des biennales internationales d’art contemporain. Par conséquent, l’événement des Cent jours s’inscrivait à l’intérieur du champ des biennales avant même d’en être une. Cela pouvait être vu comme le signe précurseur de l’établissement et du désir d’une biennale internationale à Montréal. Afin de démontrer la continuité existante entre les Cent jours et BNLMTL, la protohistoire de la Biennale de Montréal sera examinée sous notre formulation

du phénomène des biennales internationales d’art contemporain décrite dans le précédent chapitre : l’événementiel et la spectacularisation, l’industrie culturelle et l’internationalisation39.

Une telle présentation de l’histoire élargie de la BNLMTL permettra de démontrer d’une part l’intégration progressive de la Biennale montréalaise au vaste réseau des grandes biennales internationales et, d’autre part, les lacunes susceptibles d’avoir ralenti son intégration réussie dans ce réseau.