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iv Tension entre le local et le global

1.3.2. L’industrie culturelle et touristique

La situation économique des années 1960 donne un élan au développement accru des loisirs. Cette expansion incite les personnes peu initiées à visiter les musées ce qui amène, à son

30 Notre traduction («The branding of the biennial is thus twofold : partly the city as attraction and allure, giving

context and value to the biennial, and partly the glamour and prestige of the biennial branding and upgrading the otherwise nondescript or even negative image of the city, region, or country »).

31 Notre traduction (« The lure of the local meets the glamour of the global »).

32 Notre traduction (« highlighting the uniqueness of the particular place or region and its culture, as a way of

tour, l’institution artistique à revisiter ses stratégies d’exposition. On assiste alors à la démocratisation de l’art pour son événementialisation et pour la loisirification de la culture, c'est-à-dire à l’apparition de l’industrie culturelle du capitalisme tardif théorisée par l’important critique littéraire américain et théoricien politique marxiste Frederic Jameson. Les événements artistiques ponctuels, internationaux et parfois récurrents, biennales ou mégas-expositions, en sont le produit, car le phénomène des biennales est à la fois tributaire, à la fois responsable de l’industrie culturelle et, par le fait même, de l’industrie touristique. Par « industrie culturelle », Theodor Adorno et Max Horkheimer, sociologues et philosophes allemands, entendent une conjonction des agents économiques et bureaucratiques associés avec les agents qui produisent le divertissement, les médias populaires et la médiation de la culture de masse (O’Neill 2007 : 243). Olivier Marchart soutient que les biennales, événements culturels, facilitent effectivement l’accumulation de capitaux (2014 : 264). En tenant une biennale digne du phénomène des biennales, une ville participe à l’industrie culturelle en raison de son instrumentalisation de l’art pour un projet économique. C’est ce que font valoir les auteurs de la Chambre de commerce de Montréal en 1987 : « l’industrie culturelle est un des axes de développement économique d’une ville, que la diversité et la qualité de ses activités en font un point d’attraction pour les responsables des sièges sociaux des grandes corporations qui, pour cette raison, choisiront une ville plutôt qu’une autre » (Couture 2003 : 89).

Parce que chacune des biennales prend place dans une ville différente, elles se distinguent entre elles par leur localité et elles offrent à voir des paysages différents. Les biennales deviennent pour les touristes d’une région donnée, un attrait touristique parmi tant d’autres. Le tourisme de biennale a deux avenues : il y a le tourisme culturel où la visite de biennale(s) est le but premier du voyage, et le tourisme « attiré par la culture », pour reprendre les mots de Julie Émilie Simard (2010 : 38), où la visite de biennale(s) est « accidentelle », puisque « [la] décision de participer à une activité se fait une fois sur place, […] » (Simard 2010 : 38).

Il faut dire que l’intérêt pour le tourisme culturel est en croissance depuis le début des années 1960 tout comme l’est, depuis 1980, la tentative des villes de devenir des scènes où on doit montrer une panoplie d’éléments culturels (Daigle 2008 : 14). On rapporte que d’ici 2020, les arrivées des touristes internationaux prévues à l’échelle du globe atteindront 1,6 milliard (Daigle 2008 : 19). En se retrouvant au cœur de cette industrie vite devenue mercantile, les

nations deviennent des compétiteurs cherchant à se différencier les uns des autres afin d’attirer les clientèles. En fait, Pascal Daigle fait la remarque que le tourisme culturel en général apparaît comme un élément de réponse aux enjeux de l’industrie touristique puisqu’il mise sur l’identité et l’authenticité des destinations de voyage (Daigle 2008 : 19). Dans cette optique, tenir une biennale d’art contemporain incarne une option intéressante de distinction et de mise en valeur d’une localité donnée. Rappelons que le phénomène des biennales met en équation les spécificités de chaque biennale et le climat de compétition, soit les deux composantes de l’industrie du tourisme. De ce fait, le phénomène des biennales intègre l’industrie touristique.

Une brève étude des guides touristiques portant sur les villes hôtes des plus importantes biennales de la planète précise la place qu’occupe ce type de manifestation artistique au sein de l’industrie touristique d’une ville donnée. La majorité de ces guides touristiques réservent une page ou un paragraphe à la biennale de la région déterminée. Il s’agirait d’un phénomène originaire de la première biennale ; le pavillon principal de la Biennale de Venise dans les Giardini a été construit dans le but d’offrir aux visiteurs étrangers une image éloquente. À l’intérieur de l’industrie touristique, la biennale d’art contemporain devient plus qu’une manifestation artistique. Elle se révèle un outil efficace au city branding, car adopter la tenue d’une biennale sur son territoire, c’est adopter la création d’une micro-économie lui étant reliée.

Les étrangers venus visiter la biennale auront besoin de restaurants, d’hôtels et devront repartir avec une image positive de la ville. Conséquemment, adopter une biennale c’est adopter un remaniement urbanistique touristique s’il y a besoin. Le parcours de visite d’une biennale est parfois minutieusement pensé, de sorte à montrer les plus belles facettes de la ville aux visiteurs. Plusieurs des sites web des biennales proposent un onglet « hôtels+restaurants », associant du même coup l’industrie touristique à celle culturelle : la culture est utilisée à des fins mercantiles par l’établissement de partenariats entre institutions culturelles et institutions touristiques. Dans son mémoire de maîtrise, Julie Émilie Simard fait constat de la postmodernité du tourisme actuel, caractérisée par le devoir des villes d’avoir la capacité de se présenter comme un spectacle en soi (Simard 2010). Charlotte Bydler partage ce constat en proposant de voir un séjour à une biennale comme un événement spectaculaire:

Il va sans dire que comme toute méga-exposition, la Biennale de Venise dépend d’un public nombreux. Les arrangements pour ce public nombreux sont familiers à ceux de la Grande Exposition de 1851, avec des billets subventionnés, des visites guidées, des groupes qui achètent un forfait de nuits à l’hôtel, de repas et une visite

à la biennale. Par elle-même, l’exposition biennale est juste un des éléments qui font d’un séjour un événement spectaculaire. La disponibilité de services comme la nourriture, le transport, les toilettes en bon état sont des aspects importants33 (Bydler 2004 : 108-109).

Considérant que la Biennale de Venise est le modèle initial, elle inspire, pour ne pas dire contraint par souci compétitif, plusieurs autres à adopter ces procédés touristiques qui s’avèrent souvent de grande envergure, cherchant à séduire le touriste. Ce faisant, les biennales deviennent des « événements spectaculaires » (« spectacular event[s] ») (Bydler 2004 : 109), faisant de cette dimension le troisième et dernier critère d’évaluation et tendance générale des biennales dont il sera à présent question.

1.3.3. L’événementiel et le spectaculaire