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2.3 La construction gothique

2.3.1 Une autre approche de la construction

» 2.3.1.1 Matériaux, modules et finition

Le calcaire de Lucenay est le matériau prédominant de ces élévations. Il compose l’essentiel des pare- ments, à l’exception de certains éléments strictement localisés (fig. 34 et 35) :

» les chapiteaux recevant la retombée des voûtes d’ogives ont été sculptés en pierre du Midi pour une majorité d’entre eux (un doute demeure quant à l’origine du calcaire des ES 09.008 et 09.010 à 09.012). Le faciès utilisé diffère d’un chapiteau à l’autre, celui des plus gros monolithes (ES 09.001 à 09.006 et 09.013 à 09.018) apparaissant particulièrement poreux et grossier, et donc de prime abord peu propice à un travail de sculpture. Le choix de ce matériau résulte donc probablement des hauteurs de banc disponibles pour correspondre aux dimensions exigées (exemple de l’ES 09.001≈ 46 x 70 x 46).

» les pierres de taille composant l’assise supérieure du registre du triforium des pans UM  2F et UM 2G sont en calcaire de Seyssel ; certaines présentent des traces de remploi, et notamment des trous de louve en parement (fig. 56).

» les remplages des lancettes de l’abside ont été taillés dans un calcaire tendre crayeux à grains fins, facile à tailler mais peu résistant aux contraintes climatiques comme en témoignent les nombreuses altérations visibles sur les faces extérieures.

» les voûtes ont été appareillées en claveaux de tuf, matériau léger particulièrement adapté à cet usage (fig. 220).

Toutes les pierres de taille du parement ont reçu la même finition : dressage à la bretture fine et ciselure relevée.

Si ces élévations se présentent globalement comme du moyen appareil, dans le détail le module des blocs et les hauteurs d’assise varient fortement en fonction de leur localisation. Cette nouvelle phase de chantier se caractérise en effet par l’introduction d’une certaine standardisation et spécialisation des éléments, qui se matérialise notamment dans la production de blocs de même hauteur destinés à un emplacement précis (fig. 4).

Ainsi, les quatre premières assises présentent une hauteur continue sur l’abside et les deux murs du chœur. Immédiatement au-dessus de la frise supérieure, une assise de 22 cm permet de rétablir l’horizontale entre le parement et le sommet du fût des colonnes engagées en choin, toutes édifiées à la phase de chantier précédente sur une hauteur un peu supérieure à celle des pans et travées qu’elles délimitent. Viennent ensuite une assise de 48 cm, réglée sur la hauteur des chapiteaux du chœur, puis une assise de 22 cm correspondant à la corniche moulurée établie dans la continuité de leurs tailloirs. L’assise suivante, de 34,5 cm, est la première du registre du clair-étage et la dernière qui soit continue sur tout le pourtour du sanctuaire.

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Les trois assises suivantes composant le mur sous-appui des baies du clair-étage sont en effet répar- ties en deux ensembles distincts. Dans les sept pans de l’abside, ces assises mesurent, de bas en haut, 35 cm, 33 cm et enfin 28 cm pour l’appui mouluré. Dans les deux travées de chœur, au nord comme au sud, deux assises d’environ 38 cm précèdent l’appui mouluré d’une hauteur de 16 cm.

Les blocs composant les chapiteaux du chœur montrent des dimensions impo- santes, à l’exemple de celui réunissant les ES 09.013, 09.014 et 09.015, mesurant environ 48 x 142 x <90 cm, dont 14 cm minimum de pénétration dans le mur. Les chapiteaux de l’abside présentent des proportions légèrement inférieures, soit 42 x 51x 88 cm pour l’ES 09.011, dont 55 cm de pénétration dans la maçonnerie72. Cette moindre hauteur

a nécessité l’insertion de cylindres de terre cuite73 hauts de 5 cm environ aux

sommets des fûts de colonnes engagées en choin de l’abside (ill. 52 ; fig. 221), prolongés, dans l’épaisseur du mur, par une étroite assise de fragments de brique noyés dans le mortier (fig. 222). Elle n’a eu cependant aucune incidence sur les hauteurs des deux assises standardisées qui précèdent la corniche moulurée.

ill. 52. Abside, travée F (UM 2), triforium, sommet de la colonne engagée UM 2F/UM 2G, court cylindre de terre cuite inséré entre le lit d’attente de la colonne et le lit de pose du chapiteau.

» 2.3.1.2 Mise en œuvre

Le chantier gothique se caractérise surtout par une vision radicalement différente de la construction. Tandis que la construction romane multiplie les découpes et les assemblages complexes en vue de solida- riser étroitement toutes les composantes des élévations, cette nouvelle phase de chantier opte pour une

architecture d’ossature, dissociant supports/armatures et remplissages. La structure du clair-étage est à cet égard particulièrement révélatrice (fig. 60 et 223), où des césures verticales établissent une distinc- tion nette entre d’une part les piédroits des baies, appareillés plus ou moins de pair avec les départs de nervures, et d’autre part le mur-sous-appui, les colonnettes libres et le couvrement de ces mêmes baies.

Les sommiers d’ogive eux-mêmes font cependant retour de parement de part et d’autre de la nervure. D’une hauteur variable de 53 à 62 cm, ils présentent tous systématiquement dans l’abside, à 34,5 cm au-dessus du lit de pose, soit une incision soit un décrochement. Cette hauteur de 34,5 cm est celle de l’assise standardisée élevée immédiatement au-dessus de la corniche, qui pourrait donc avoir été mise

72. La profondeur de pénétration dans la maçonnerie a pu être mesurée depuis le fourreau des trous de boulin jouxtant les blocs. 73. À l’exception du support entre les pans UM 2A et UM 2B, où ce cylindre a été taillé dans une pierre calcaire.

en œuvre conjointement aux sommiers, en respectant l’espace disponible dans l’entre-deux. L’incision semble correspondre à un repérage prévu de manière systématique sur les blocs, en vue d’une retaille cette fois destinée à adapter le bloc de sommier à la longueur des blocs assemblés au sein de l’assise supérieure.

Autre système de repérage, les sommiers d’ogive de la voûte de l’abside présente une numérotation de 1 à 8, matérialisée non pas par des chiffres, mais par un système de poinçonnage (fig. 224 à 226). L’abandon du système alphabétique, qui avait été conservé de façon plus ou moins homogène sur toute la hauteur des élévations romanes de l’abside, à l’intérieur comme à l’extérieur, marque nettement le passage d’une phase de chantier à une autre. Il pourrait également suggérer l’intervention de tailleurs de pierre bénéficiant d’une formation moins élaborée que ceux de la phase de chantier précédente. Les marques lapidaires se multiplient au cours de cette phase de chantier (fig. 12 à 15), sur les parements comme sur les nervures, à l’exception notable de l’arc ouvrant sur l’abside. Ces marques appartiennent essentiellement au répertoire alphabétique latin ou grec, ainsi qu’au répertoire géométrique (fig. 227). Leur répartition ne permet pas de préciser le phasage chronologique de la construction. Nous renvoyons aux nombreuses publications de Nicolas Reveyron sur le sujet pour une approche plus détaillée.

Tous les chapiteaux sculptés du chantier gothique appartiennent au type « à crochets » (fig. 23 à

25) (voir volume 2 : Catalogue des Éléments Sculptés (ES)). Ils sont couronnés de tailloirs en bec de corbin au niveau 9, mouluration de profil identique à celle de la corniche qui les prolonge, ainsi qu’au niveau 10 dans l’abside, tandis que dans le clair-étage du chœur se généralise la mouluration à doucine et bandeau plat (fig. 20).

Les trous de boulin de cette phase de construction (fig. 30 et 31) présentent des dimensions plus importantes que les opes romans : de 12,5 à 16 cm de hauteur pour 10 à 14,5 cm de longueur pour l’UC 1.2 (fig. 228), de 13,5 à 18 cm de hauteur pour 13 à 16,5 cm de longueur pour l’UC 2.2 (fig. 229) et de 13 à 18,5 cm de hauteur pour 11 à 16 cm de longueur pour l’UC 3.2 (fig. 230). Des incisions préparatoires à leur façonnage apparaissent à différentes reprises (fig. 231). Ils témoignent parfois de repentirs74. Seuls quatre opes apparaissent dans le clair-étage ; ils sont traversant (fig. 232).

Mis en œuvre dans les parties sommitales des murs nord et sud de la travée occidentale du chœur (UC 1.2A et 3.2A), ils pourraient être en lien avec le supplément de hauteur apporté au voûtement de cet espace.

» 2.3.1.3 Modifications de projet

Dans les parties hautes de l’abside et du chœur se manifestent les ajustements réalisés sur le couvre- ment du sanctuaire, concernant en premier lieu le type de voûte réalisé et en second lieu la hauteur de ce voûtement.

La mise en œuvre des voûtes d’ogives sur des supports préalablement conçus pour recevoir un pro- bable cul-de-four dans l’abside et des voûtes d’arêtes dans le chœur a ainsi abouti à des solutions diffé- rentes dans ces deux espaces. Dans l’abside, les blocs de sommier adoptent une forme coudée, permet- tant le développement de la totalité de la mouluration dès la naissance de la nervure (ill. 53 ; fig. 233). Dans le chœur, l’absence de dispositif particulier conduit à des maladresses ; la retombée des ogives s’effectue dans l’angle rentrant formé par les deux tailloirs du doubleau et du formeret, amenant le

74. Ainsi, dans la travée UM 2G, le bloc médian de la dernière assise sous la corniche moulurée présente dans son angle inférieur gauche le tracé d’un ope qui n’a finalement pas été mis en œuvre.

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ill. 53. Abside, travée D (UM 2), clair-étage, profil coudé du sommier d’ogive UM 2C/UM 2D.

ill. 54. Chœur, travée A sud (UM 3), clair-étage, sommier d’ogive UM 3A/UM 3B, retombée de l’ogive débordant du tailloir.

tore à déborder légèrement du plan de ceux-ci en un surplomb inesthétique (ill. 54 ; fig. 234 et 235). La hauteur de voûte du sanctuaire s’accroît d’est en ouest : elle s’établit à 193,88 m NGF dans l’abside, 194 m NGF dans la travée orientale du chœur et 194,08 m NGF dans la travée occidentale (fig. 4). En outre, dans la travée occidentale, une maçonnerie de moellons et de tout-venant recouverte d’un épais enduit vient surélever de 43 cm environ les murs nord et sud du chœur (UM 1Aet 3A) (fig. 236). Cette surélévation ne semble pas avoir eu d’incidence directe sur l’augmentation progressive de la hau- teur de voûtement, qui s’effectue de façon relativement modérée et continue, proportionnellement au différentiel de hauteur entre les murs des deux travées de chœur. Elle en a cependant une sur la forme même de la voûte. Dans la travée orientale, les quartiers nord et sud sont inclinés, leur ligne de faîte montant vers la clef, ce qui conserve partiellement à cette voûte la caractéristique « archaïque » d’être bombée. Ceci disparaît totalement dans la travée occidentale, où le front des quatre quartiers s’établit à niveau égal avec la clef.