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2.2 La construction romane

2.2.4 Quelques autres aspects de la construction

2.2.4.2 La niche monumentale de la chapelle Saint-Pierre

L’opération archéologique a permis la mise au jour d’une niche plate monumentale ménagée à l’ex- trémité occidentale du mur gouttereau nord de la chapelle Saint-Pierre (UM 7A) (ill. 47 et 48 ; fig. 9

et 181). L’emplacement en était jusqu’ici occupé et masqué par un placard en bois à l’usage des Chœurs

59. Sur les 121 motifs que comporte la frise inférieure, 10 seulement occupent la totalité d’un bloc.

60. Douze chapiteaux appartiennent aux élévations du sanctuaire (ES 05.002, 05.003, 05.007, etc.), et le treizième couronne la pile composée située à l’angle du bras nord du transept et du bas-côté nord.

61. Nicolas Reveyron retient pour le commencement des travaux la date de 1175, qui est l’année d’installation de l’évêque Guichard de Pontigny à Lyon, et non celle de sa nomination en 1165 (Macabéo 2012, p. 37).

de la Primatiale Saint-Jean-Baptiste62. Cependant, la simple observation du rythme de l’arcature aveugle

suggérait la présence d’une anomalie. Au sein de cette travée ouest du mur nord de la chapelle Saint- Pierre en effet, la largeur de la baie occidentale, donnée par celle des arcs en plein-cintre jumelés laissés visibles au-dessus de la menuiserie, apparaissait sensiblement plus importante que les trois suivantes.

Cette niche monumentale prend naissance au-dessus du gradin qui souligne les murs latéraux de la chapelle, soit 42 cm au-dessus du sol. Elle s’élève sur 275 cm de haut pour 123 cm de largeur et 101 cm de profondeur. Le linteau et les piédroits sont constitués de monolithes de choin soigneusement poli, excepté le long d’une étroite bande verticale de 15 à 20 cm à l’arrière de l’embrasure (fig. 182), où la

62. Le démontage de ce placard a reçu les autorisations conjointes de la maîtrise d’ouvrage, du rectorat et de la maîtrise d’œuvre.

ill. 47. Chapelle Saint- Pierre, travée A nord (UM 7), niche monumentale, partie inférieure, vue générale.

ill. 48. Chapelle Saint- Pierre, travée A nord (UM 7), niche monumentale, banc vu du dessus.

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surface des blocs apparaît finement brettelée, de même que pour la partie supérieure du mur de fond de la niche. Dans la continuité du tailloir et de l’imposte recevant les retombées des arcs en plein-cintre jumelés du parement, une mouluration sculptée dans des blocs de marbre couronne de part et d’autre les tableaux (fig. 183).

Le sol de la niche, formé par un bloc de choin poli, s’établit dans la continuité du gradin inférieur de la chapelle. Sur ce sol, trois blocs de choin sont agencés selon un plan en U (fig. 184 et 185). Deux blocs encastrés à la base des piédroits forment des gradins d’une hauteur maximale de 41 cm au niveau de l’ouverture, et d’une largeur de 32 cm au nord et 35 cm au sud, ménageant entre eux un étroit espace de 56 cm. D’une profondeur de 75 cm environ, ces deux blocs viennent buter contre le troisième bloc transversal, disposé parallèlement au fond de la niche. Afin de rejoindre la hauteur inférieure (36 cm) de ce bloc transversal, les blocs latéraux subissent à mi-profondeur un décrochement chanfreiné de 5 cm (fig. 186 et 187). Les pans verticaux de ces deux blocs présentent une finition polie ; leur pan supérieur également sur la partie la plus haute, située à l’avant de la niche63. A contrario, au-delà du

décrochement chanfreiné, la surface n’a été que dégrossie, de même que les deux pans visibles du bloc transversal. Un espace de 6 cm sépare ce bloc de fond et celui formant le sol poli, actuellement comblé par trois briques posées de chant. On pourrait imaginer qu’un élément vertical venait s’insérer ici et habiller la surface non dressée du parement (fig. 188). Ce bloc transversal présente par ailleurs dans le tiers nord de sa face supérieure l’ouverture d’un conduit circulaire d’environ 5 cm de diamètre, dont la profondeur n’a pu être déterminée en raison de la présence de nombreux débris en comblement, mais qui s’enfonce au cœur de la maçonnerie (fig. 189).

L’assise immédiatement au-dessus de ce bloc présente une finition grossièrement dressée à la bret- ture. Deux assises plus haut, soit 103 cm au-dessus du sol de la niche, prend place une table rentrante de 28 cm de haut sur 97 cm de long (fig. 190). En dépit de l’attention qui y a été portée, aucune trace probante de décor peint n’a pu y être observée. Excepté le chanfrein supérieur, cette table s’inscrit dans un unique bloc de choin de 123 cm de long et 42 cm de haut, dont le reste de la surface a été bûché, suggérant qu’un élément en relief encadrait et soulignait initialement cette table rentrante. Au même niveau sur les piédroits de la niche, des négatifs esquissent le profil d’éléments verticaux qui auraient pu fonctionner avec cet élément en relief (fig. 191 et 192). À l’assise inférieure, d’autres vestiges symé- triques de mortier dessinent le contour d’un élément horizontal qui serait venu occuper le fond de la niche en s’encastrant dans le décrochement ménagé dans les blocs des gradins.

Associé à l’évacuation, l’ensemble suggère la présence d’un aménagement de type lavabo ou piscine liturgique, dont le bassin et son encadrement, probablement ornés, ont été supprimés lors de modifi- cations postérieures. Cette installation pourrait notamment avoir été liée à une fonction ponctuelle de sacristie attribuée dès l’origine à la chapelle Saint-Pierre. Citant les statuts de Guichard de Pontigny64,

l’abbé Sachet mentionne en effet que « c’est dans la chapelle Saint-Pierre […] que tous les officiants s’habillent la semaine »65. Cette niche monumentale s’inscrit ainsi dans une organisation des espaces

63. On notera par ailleurs la présence d’une marque lapidaire gravée sur le bloc de gradin oriental et adoptant la forme d’une clef, d’évidence en relation avec la dédicace de la chapelle à saint Pierre.

64. De revestitis quomodo vel ubi revestiuntur. Canonicus capellanus debet se revestire in capitulo omnibus diebus Dominicis et festivis cunctis indumentis

sacerdotalibus, omnes vero alii revestiti debent venire ornati unusquisque albis suis quando intrant capitulum, et ibi se debent induere sericis indumentis. Diaconus et subdiaconus canonici non debent lavare manus suas in capitulo, nec caput suum pectinare; sed ipsi debent esse mundi et compti et albis suis induti, quando intrant capitulum ad ornandum se sericis indumentis; et similiter super septimanam clericulus debet servire diacono, subdiaconus capellano. Statim cum clericulus servierit super septimanam, diaconus debet induere superpelliceum et se ponere juxta introitus chori, et cum introitus missae incipitur, statim debet intrare chorum, et se ponere in choro super diaconos, et ibi stare usque ad principium orationis, et tunc debet ascendere presbyterium et ponere superpelliceum ipsum, et accipere tabulas, et debet intrare chorum et se ponere in choro contra subdiaconum qui legit epistolam, et cum lecta est epistola, clericulus debet se ponere in medio chori, in loco ubi lecta est epistola, et ibi cantare responsorium et alleluia. Sciendum est etiam,

quod super septimanam, quando aliquod festum integrum vel cum classico minore non evenerit, debent se revestire sacerdos, diaconus, subdiaconus in capella B. Petri, et clericulus debet servire diacono, et subdiaconus presbytero, etc., ut superius continetur. Migne 1855, p. 65.

65. Sachet 1914-1918, p. 29. On peut également se demander si, dans les Statuts de l’Église de Lyon (Pouzet 1927), la distinction opérée par les désignations respectives de capella et altare pour les chapelles Notre-Dame-du-Haut-Don et Saint-Pierre ne devrait pas être mise en relation avec

prévue dès le projet de construction, et témoigne de la volonté de l’évêque cistercien de réformer et régler la vie canoniale et le déroulement des offices.

» 2.2.4.3 Les éléments sculptés

Notre propos ne sera pas ici de faire une étude iconographique ou stylistique des éléments sculptés qui ornent les élévations romanes intérieures de l’abside, du chœur et des chapelles latérales, ce qui dépasserait largement le cadre de ce rapport66. Un catalogue présente l’inventaire exhaustif de ces élé-

ments (volume 2 : Catalogue des Éléments Sculptés (ES)). Nous nous bornerons à énoncer quelques remarques en lien avec le projet général.

2.2.4.3.1 Un jeu de symétrie et d’opposition

L’examen détaillé des matériaux et des motifs qui composent les éléments sculptés laisse entrevoir des jeux de symétrie et d’opposition, et ce à différents niveaux au sein des élévations du sanctuaire67.

Au sein des deux murs en vis à vis de la travée orientale du chœur, s’observent :

» le contraste créé entre les chapiteaux plats à décor d’incrustation des deux arcatures aveugles trilobées, où, au nord, tous les motifs se détachent en blanc sur fond rouge (ES 04.001 à 04.005), tandis qu’au sud, les contours de trois figures se profilent en rouge sur fond blanc (ES 04.006 ; 04.008 et 04.010) (fig. 193 et 194),

» l’effet miroir entre les supports libres des deux arcatures du triforium, dont les chapiteaux se répondent deux à deux par leur décor sculpté (ES 08.007 et 08.035, 08.008 et 08.034, 08.009 et 08.033), tandis que les deux colonnettes centrales constituent les deux seules occurrences d’un même marbre rose, placées en vis-à-vis (fig. 195 et 196).

Au sein de l’arcature aveugle de l’abside, de part et d’autre de l’axe formé par la travée D, les chapiteaux des pilastres médians des six autres baies géminées peuvent également se regrouper par paire offrant deux déclinaisons d’un même motif : les travées A et G d’une part (ES 02.007 et 02.025) (fig. 197 et

198), encadrant un groupe nord formé par les travées B et C (ES 02.010 et 02.013) (fig. 199 et 200) et un groupe sud formé par les travées E et F (ES 02.019 et 02.022) (fig. 201 et 202).

De façon plus anecdotique, les tailloirs des deux pilastres se faisant vis-à-vis au centre des murs nord et sud de la travée orientale de la chapelle Notre-Dame sont sculptés dans un même marbre gris, se distinguant du marbre blanc des tailloirs environnants.

De même, d’une chapelle à l’autre, au sein des arcatures aveugles présentant le même décor d’or- thostates, bases attiques, pilastres cannelés et chapiteaux à feuilles d’eau en choin, se répondent deux chapiteaux en marbre pseudo-corinthien (ES 02.038 et 02.060) (fig. 203 et 204).

2.2.4.3.2 Les sommiers sculptés des chapelles latérales

Les élévations romanes des chapelles latérales ont été initialement prévues pour recevoir des voûtes d’arêtes, auxquelles se sont substituées des voûtes d’ogives. Ainsi, au sein des piliers composés, aucun des supports engagés n’est prévu pour accueillir la retombée des nervures à la jonction des colonnes sou- tenant formerets et doubleaux. Dans cette configuration originale, la branche d’ogive naît au-dessus de

des fonctions différenciées attribuées à ces deux espaces.

66. Nous renvoyons notamment à cet effet à la synthèse sur le décor sculpté récemment publiée par Nicolas Reveyron (Barbarin 2011, p. 145-150). 67. Nicolas Reveyron a déjà décrit la structure en symétrie complexe de l’arcature du triforium au sein de chaque travée double du chœur, jouant sur

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l’angle rentrant formé par deux tailloirs. En l’absence d’aménagement donc, le tore de la nervure sail- lante est amené à déborder du plan de ces tailloirs dans un surplomb particulièrement inesthétique68.

Cette inadaptation a été contournée par la sculpture d’une tête en ronde-bosse sur chaque sommier (ES 05b.001 à 05b.016), évitant ainsi un tel raccord maladroit (fig. 205 et 206). Cette solution n’est pas inédite, elle apparaît notamment dans le massif occidental de Saint-Denis, à Saint-Germer et dans le déambulatoire de la cathédrale de Sens (Sauerländer 1972, p. 216).

Les deux chapelles s’appuient sur deux répertoires décoratifs distincts, correspondant aux deux sources d’inspiration qui se côtoient dans les élévations du sanctuaire : l’une antique, largement prédominante, et l’autre romane, essentiellement pour ce qui concerne les chapiteaux du cycle de l’enfance du Christ dans l’abside (ES 03.001 à 03.008 de l’UM 2). Ainsi, les sculptures de la chapelle Notre-Dame-du- Haut-Don empruntent aux figures grimaçantes du bestiaire médiéval, tandis que celles de la chapelle Saint-Pierre réinterprètent les modèles naturalistes de l’Antiquité. La figure du sommier sud-ouest de la travée occidentale de la chapelle Notre-Dame- du-Haut-Don (ES 05b.008) est une réfection en plâtre réalisée au XIXe siècle (Sauerländer 1972, p. 216 note 8). L’absence totale de traces de polychromie sur

la tête sculptée du sommier sud-ouest de la chapelle Saint-Pierre pourrait également nous questionner sur son authenticité (ES 05b.009) (fig. 207).

2.2.4.3.3 Les chapiteaux des lancettes de l’abside

Au sein des élévations intérieures, dont la mise en œuvre s’avère en de nombreux points remarquable de précision et de maîtrise, les chapiteaux des lancettes se distinguent par les nombreuses irrégularités dont ils témoignent :

» Au-delà du tore soigneusement poli, le lit d’attente des astragales présentent une surface simplement dressée à la bretture, destinée à recevoir le chapiteau. À plusieurs reprises, un anneau de cette surface demeure apparent autour des corbeilles (fig. 208), dont le diamètre ne s’ajuste donc pas à celui des supports (ES 06.003, 06.004 et 06.008 notamment). Ainsi placés sur des surfaces trop larges, certains chapiteaux sont également légèrement désaxés.

» On notera par ailleurs que si, au sommet de chaque trumeau, les astragales sont sculptés dans les mêmes monolithes de choin que les deux colonnettes recevant de part et d’autre le couvrement des lancettes, a contrario, au sommet des piédroits ouest des lancettes extrêmes, ces astragales n’appartiennent pas aux blocs de choin supérieurs des piédroits. Ils n’ont cependant pas non plus été taillés dans le même bloc de marbre que les chapiteaux, tous les exemplaires de la série des lancettes présentant des dimensions similaires. Ainsi, aux extrémités nord et sud, les astragales correspondent à des éléments de marbre indépendants du fût comme de la corbeille (ill. 49. ; fig. 209 et 210).

» La sculpture des ES 06.001, 06.005, 06.009 et 06.013 paraît tronquée, soit que le motif n’ait pas été réalisé dans sa totalité, soit qu’il ait pu être scié (ill. 50. ; fig. 211 à 214). Parallèlement, l’insertion des ES 06.001, 06.004, 06.006, 06.011 et 06.014 semble avoir nécessité d’amaigrir légèrement les parements (fig. 215 et 216).

ill. 49. Abside, travée A (UM 2), lancettes, ES 06.001, bloc isolé de l’astragale de marbre.

ill. 50. Abside, travée C (UM 2), lancettes, chapiteau nord-ouest (ES 06.005), détail de la sculpture tronquée de la corbeille.

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De fait, toutes ces inexactitudes pourraient suggérer une certaine inadéquation entre ces chapiteaux et leur emplacement69. On pourrait ainsi les intégrer comme les indices de réemplois, ou de modification

de projet. Elles découlent plus vraisemblablement de défauts d’organisation et de communication entre les différents corps de métier à l’œuvre au sein du chantier70.

2.2.4.3.4 Les chapiteaux des lancettes des chapelles

Les chapiteaux des lancettes des cha- pelles latérales (ES  06.017 à 06.024) adoptent tous la même forme bul- beuse71, couplée à un fort développe-

ment en hauteur (≈ 40 x 30 x 30 cm). Ils offrent par ailleurs la particularité d’être, pour sept d’entre eux, composés d’un bloc inférieur de 5,5 à 10 cm de haut, formant la base du bulbe, et d’un second bloc de marbre comprenant la majeure partie de la corbeille (ill. 51. ;

fig. 217 à 219). Doit-on interprété ces assemblages comme les témoins d’une difficulté d’approvisionnement pour constituer ces chapiteaux aux propor- tions inhabituelles ?

Au sein de ces chapiteaux, on notera également que ceux de la chapelle Notre-Dame-du-Haut-Don (ES 06.017 à 06.020) présentent des reliefs nettement plus accentués côté ébrasement que côté pare- ment, et ce au niveau de la corbeille comme du tailloir. La sculpture tire ainsi avantage d’une exposi- tion préférentielle à la lumière.