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Une approche technique plus que méthodologique

Chapitre 1. La reconstruction – un angle mort de la prévention en France ?

1.3. La reconstruction : un défi technique et local

1.3.2. Une approche technique plus que méthodologique

Pour la France, le constat est celui d’une absence de questionnement au niveau institutionnel sur la reconstruction. Le texte récent de la Stratégie Nationale de Gestion du Risque Inondation (SNGRI, DGPR-MEDDE 2014) ne fait quasiment pas état de la reconstruction, le terme n’est jamais évoqué. Par contre, le document comporte des occurrences des termes « rebondir » (une occurrence) et « retour » (cinq occurrences dont quatre dans l’expression « retour à la normale »). Lorsque la « post-crise » est évoquée c’est par le biais des indemnisations. L’approche développée prône l’intégration de stratégies multirisques aux politiques d’aménagement du territoire et plaide en faveur d’un décloisonnement entre gestionnaires, c’est d’ailleurs un des objectifs de la réunion des compétences Gestion des Milieux Aquatiques et Préventions des Inondations (GEMAPI) au sein des Etablissement Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) à fiscalité propres ou de leurs groupements, les Etablissements Publics d’Aménagement et de Gestion des Eaux (EPAGE) et les Etablissement Public Territorial de Bassin (EPTB). Mais il n’est jamais mentionné de stratégie de reconstruction permettant de réduire les risques, ni de possible anticipation d’une reconstruction dans ce document de cadrage de la DGPR. Les questionnements émanant de politiques sont aussi très faibles du fait de la capacité de résilience du système français dans un contexte où le pays n’a pas encore essuyé de sinistre majeur comme le serait un séisme à Nice ou une crue majeure de la Seine. De fait, il n’y a pas de réflexion globale ni de capitalisation des informations et expériences, tout se passe comme si la reconstruction était une simple remise en état des territoires sinistrés, permise par des financements conséquents. Les modalités de la politique de prévention globale ne sont pas remises en question par et pendant la reconstruction. Pourtant, le fait même qu’il y ait catastrophes et reconstructions atteste des limites de la politique de prévention, qu’il s’agisse des mesures de

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réduction de la vulnérabilité ou des actions de protection qui visent à agit sur l’aléa. L’absence de remise en question des actions engagées depuis plusieurs décennies et l’absence de débat public en période de reconstruction remet en cause la notion d’opportunité préventive.

Malgré ces lacunes, il existe des outils qui permettent de poser les fondations d’un réel travail opérationnel et stratégique sur le processus de reconstruction. Le plan de continuité d’activité (PCA) en fait partie en ce qu’il est un outil de planification pour la gestion de crise et de la post-crise (CEPRI 2011). Les PCA ne sont pas des outils qui permettent de gérer la reconstruction à proprement parler mais ils ont pour but d’anticiper la transition entre la gestion de crise et les phases de réhabilitation et reconstruction. Ils constituent en cela des outils qui facilitent la mise en œuvre des opérations de reconstruction. Il s’agit de recenser les services des collectivités ou entreprises qui sont essentiels au retour à la « normale » et de réunir les moyens humains, financiers et stratégiques nécessaires à leur maintien en situation dégradée. « Anticiper apparait vital pour le fonctionnement de nos collectivités,

pour le service qu’elles rendent à la population (service que personne d’autre, pas même l’Etat ne peut assurer à leur place) et pour leur image de marque » (Doligé, in CEPRI 2011). Les PCA visent

la diminution des besoins d’un territoire en assistance extérieure pour libérer des capacités d’intervention pour d’autres zones impactées. C’est donc une démarche responsable et solidaire qui permet d’assurer une plus grande efficacité des actions de gestion de crise et de celles de la post-crise. Ce guide de réorganisation de la collectivité en mode dégradé est composé d’une somme d’outils opérationnels issus d’une stratégie choisie par la collectivité. Ils nécessitent, comme toute action préventive, certains prérequis dont le pilotage par une volonté politique forte. Les PCA sont aussi trop centrés sur une échelle locale sans prendre en compte les effets dominos liés au fonctionnement en réseau sur des territoires plus vastes que ceux de la collectivité territoriale. Ils n’intègrent pas non plus les autres plans existants comme par exemple chez Électricité Réseau Distribution France (ERDF), or l’absence de coordination entre plans de continuité peut conduire à leur inefficacité. Les travaux sur les PCA ont pour intérêt de placer la catastrophe, et de fait la reconstruction, dans le champ des possibles. La préparation est alors envisagée comme une nécessité et non comme une option. Cette évolution se fait de manière interdépendante avec les évolutions de la notion de catastrophe. En effet, la notion de catastrophe est passée d’une définition limitée à un phénomène qui affecte une société devenue victime, à celle d’un désastre socialement construit. En filigrane se dessine le passage d’une société passive qui subit à une société civile responsable de sa sécurité. Cette transformation qui

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accompagne le désengagement de l’Etat (dans un contexte de libéralisation et de réduction des moyens financiers et humains de l’Etat) est actée par la loi de modernisation de la sécurité civile13.

Conclusion

La reconstruction en France s’apparente à l’achat de la « paix sociale », l’indemnisation systématique est la règle sans que l’on puisse parler de réelle conditionnalité des subventions. Le processus est géré à l’échelle locale sans qu’il y ai de capitalisation des expériences et informations ni de débat sur la manière de reconstruire et les implications que cela peut avoir sur le temps moyen et long du développement des sociétés. La reconstruction ne fait pas débat en France car le sujet est très politique. Les travaux existants traitent principalement des aspects financiers et techniques et ils sont récents (au regard de la thématique de gestion des risques). En plus de la recherche de responsabilités, l’absence de suivi médiatique de la phase de reconstruction peut être un facteur explicatif du manque d’intérêt pour le sujet. Les phases de crise et de post-crise immédiates sont très médiatisées mais les thématiques de la reconstruction et de la prévention sont moins rentables en matière d’audimat. Moins spectaculaires, elles mettent moins l’accent sur le pathos14 engendré par la précarité des situations individuelles voire collectives que sur les échecs de la politique en place et que sur la dignité de ces êtres aux vies brisées qui se relèvent pour se reconstruire. Le rôle des médias dans la gestion des risques et plus précisément dans la période post-catastrophe sera développé dans la deuxième partie de cette thèse. Ainsi, les travaux sur la mise en œuvre d’une « éthique préventive » en période de reconstruction sont stimulés par le constat de la difficulté à mettre en place des mesures structurelles en temps normal.

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Loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile.

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Chapitre 2 – La reconstruction post-catastrophe – quelle articulation avec les