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La reconstruction en France : une question avant tout financière

Chapitre 1. La reconstruction – un angle mort de la prévention en France ?

1.1. Pourquoi la reconstruction ne fait-elle pas débat en France ?

1.1.1. La reconstruction en France : une question avant tout financière

En France la reconstruction est peu traitée en dehors des questions d’indemnisation des sinistrés et de recherche des responsabilités, ce qui confère au sujet un caractère éminemment politique et polémique. Le système français est fondé sur la solidarité et sur la mutualisation des risques et des coûts des dommages. Les indemnisations et subventions sont abondantes pour permettre la remise en état du territoire et le relèvement de la société. La stratégie mise en place s’apparente à une forme d’« achat de la paix sociale » qui consiste à éviter le débat et les confrontations sur les questions de responsabilité et d’efficacité des mesures de prévention et protection par un afflux massif

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de fonds – issus de la solidarité nationale – sur les territoires sinistrés. « La paix sociale, condition

incontournable d’une reconstruction totalement satisfaisante et qui s’inscrive dans la durée, nécessite qu’un effort particulier soit apporté à la communication entre les acteurs, plus particulièrement entre ceux qui décident et gèrent les sinistrés » (Ledoux, 20014).

Comparé à ce qui se passe dans de nombreux pays en développement, la reconstruction bénéficie en France d’un Etat fort et solvable. Avec lui, les collectivités territoriales répondent financièrement et rapidement à la détresse des sinistrés. Le système assuranciel mis en place par la loi de 1982 relative à l’indemnisation des victimes, et la mobilisation de la solidarité à toutes les échelles, assurent globalement une remise en état rapide des régions sinistrées. Cependant, la reconstruction mobilise des ressources et des énergies considérables. A ce titre, elle suscite parfois des conflits et induit des réactions face au risque qui ne vont pas toujours dans le sens d’une prévention durable, même si malgré tout, la reconstruction est porteuse d’innovation (Vinet et al., 2011a). Nous entendons par là, une prévention qui s’organise dès la phase de reconstruction et qui garde la trace de l’évènement catastrophique. En effet, elle pose les conditions pour que les élus, les sinistrés, les services de l’État et les établissements publics travaillent ensemble dans le but de reconstruire efficacement. Elle impose de transgresser parfois des règles de droit ou d’usage afin de gagner en rapidité. Mais la période de reconstruction est aussi un temps de confrontation entre des acteurs, aux objectifs, aux méthodes et aux intérêts différents, les conflits préexistants ressurgissent en même temps que les tendances latentes de développement (De Vanssay, 2010).

En France l’expérience montre que lorsque la procédure de rachat de biens, et de délocalisations d’enjeux exposés à un degré de risque trop important pour qu’ils ne soient protégés, est mise en place, elle est gérée par la Direction Départementale des Territoires et des Mer (DDTM) (comme ce fut le cas dans le Var à partir de 2010). Or, les agents de la DDTM ne sont pas formés à faire de la gestion de dossiers au cas par cas. Cela ne signifie pas que les procédures soient systématiquement mal gérées. En revanche, le manque d’expérience dans ce domaine, additionné à l’absence de procédure standardisée, contribue à étendre ces procédures dans le temps. Les agents de l’Agence Nationale de l'Habitat (ANAH) sont quant à eux formés à la gestion de dossiers au cas par cas. Il semble qu’un décloisonnement entre les services gestionnaires de ces questions de relocalisation serait opportun afin d’en fluidifier le déroulement.

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Chance et Noury (2011) parlent d’une politique de l’évènementiel en faisant le constat d’une évolution progressive du cadre réglementaire influencée par la récurrence des évènements catastrophiques (cf. tableau 2). L’on peut en effet mettre en relation les grandes catastrophes ayant sinistré le territoire français avec les évolutions législatives et réglementaires en matière de gestion des risques et de reconstruction. Par exemple, les lois de 2010 (cf. tableau 25) sont largement inspirées des problématiques posées par la délocalisation d’habitations en zone à risque trop élevé rencontrées dans la gestion post-Xynthia en février 2010 ou post-crue dans le Var en juin de la même année. Il en va de même pour le déplafonnement des subventions de l’Etat en faveur de la remise en état des collectivités sinistrées qui passe de 80 % à 100 % par décret suite aux inondations et à la tempête de 19996. Ainsi il est difficile d’attribuer les évolutions législatives à un seul évènement en particulier mais plutôt à la récurrence des évènements. Les catastrophes sont aussi un « prétexte » pour faire voter des lois et règlements qui ne seraient pas acceptés en dehors du contexte spécifique de la post-catastrophe où les vulnérabilités sont mises en évidence et où la sensibilisation à la prévention des risques est accrue. En plus des mesures de réduction de la vulnérabilité des foyers, les gestionnaires doivent travailler sur la réduction de leur propre vulnérabilité : la vulnérabilité institutionnelle. Robert (2012) dégage trois variables de calcul de cette vulnérabilité : 1) les capacités financières des gouvernements locaux, 2) les capacités de prise de décision, dans un temps restreint et dans un contexte politique complexe et désorganisé, et 3) la capacité de contrôle du territoire.

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Le tableau présenté ici est une synthèse des textes existants, le tableau exhaustif est en annexes.

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Décret n°2000-686 du 20 juillet 2000 pris pour l’application du décret n°99-1060 du 16 décembre 1999 relatif aux subventions de l’Etat pour des projets d’investissement

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Tableau 2 : Lois et accords relatifs à la post-catastrophe (sources : prim.net complété par Légifrance)

Textes Article Sujet Date Contenu (synthèse)

Code des Assurances

L125-4 études préalables à

la reconstruction

16.07.1992 la garantie Cat Nat inclut le remboursement des

études géotechniques rendues préalablement nécessaires à la remise en état des biens L121-

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reconstruction sur place - PPR

02.02.1995 l’indemnisation n’est pas subordonnée à la

reconstruction sur place du bien en cas de Plan de Prévention des Risques (PPR) approuvé L121-

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remise en état effective après sinistre

02.02.1995 les indemnités doivent être utilisées pour la

remise en état du bien, ou remise en état de son assiette de terrain, d’une manière compatible avec son environnement

L125-1 Cat Nat 25.12.2007 tout contrat d’assurance dommage aux biens

situés en France, ainsi que dommage aux corps de véhicules, ouvre droit à la garantie contre les effets des catastrophes naturelles

Code de

l’Environnement

L561-1 expropriation et

acquisition à l’amiable

12.07.2010 quand un risque prévisible menace gravement les vies humaines, l’Etat peut déclarer d’utilité publique l’expropriation par lui-même, les communes ou leurs groupements, des biens exposés à ce risque, si les coûts de protection sont supérieurs au rachat. Remplacement du bien exproprié sans tenir compte du risque

L561-3 Fonds de

Prévention des Risques Naturels Majeurs (FPRNM)

12.07.2010 le fonds finance les indemnités de rachat, ainsi

que les dépenses liées à la limitation d’accès et à la démolition éventuelle des biens pour empêcher toute occupation future. Finance aussi les dépenses de prévention liées aux évacuations temporaires et au relogement des personnes exposées. Concerne aussi lesbiens utilisés dans le cadre d’activités

professionnelles (moins de 20 salariés). Gestion du fonds : Caisse Centrale de Réassurance (CCR). Autres textes législatifs n°97- 1239 art.38 loi de finances rectificative pour 1997

29.12.1997 le FPRNM contribue aux études et travaux

réalisés pour les procédures de rachat, et aux travaux propres à prévenir les conséquences exceptionnelles de certains risques (à la condition que les enjeux soient stratégiques et que le coût des travaux ne puisse pas être assumé par les communes, dans la limite de 145 millions de francs jusqu’au 31.12.1999) n°2010- 788 art. 222 loi portant engagement national pour l'environnement (LENE)

12.07.2010 Modifie Loi n°2003-1311 du 30 décembre 2003

- art. 128 : le FPRNM peut contribuer à financer études et travaux de prévention ou protection dont les collectivités assurent la maîtrise d’ouvrage dans communes couvertes par PPR (dans la limite de 125 millions d’euros)

Modifie Code de l'urbanisme - art. L111-3 : la reconstruction à l’identique d’un bien détruit ou démoli depuis moins de dix ans est autorisée sauf disposition contraire dans un document d’urbanisme. La reconstruction est autorisée si le bien présente un intérêt patrimonial n°2002- 1576 art. 75 loi de finances rectificative pour 2002

30.12.2002 FPRNM peut financer en partie l’acquisition à

l’amiable de terrains de construction

(habitation, entreprises moins de dix salariés) et aux mesures de prévention

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Le caractère éminemment politique freine la prise de position et la tenue de travaux sur ces problématiques. Gaillard et al. (2007) disaient à ce sujet que « Rechercher des boucs émissaires en cas

de catastrophe est chose commune et soulage les accusateurs de leurs propres sentiments conscients ou inconscients de culpabilité ». La reconstruction post-catastrophe peut être le théâtre de conflits

territoriaux notamment lors des opérations de recompositions territoriales (Gaillard, 2008). Une des difficultés réside dans le phasage et dans la définition des priorités, variables selon les acteurs. Il existe chez les partenaires de la reconstruction des divergences d’objectif, de pratique et de culture qui nuisent parfois à l’émergence d’une « reconstruction préventive ».

L’intention de l’État et de ses services est évidemment de répondre aux besoins d’aide des sinistrés mais un autre objectif peut s’ajouter : celui de « profiter » de la reconstruction pour appliquer certaines règles de prévention. Ceci étant, la législation française s’applique sur les nouvelles constructions mais l’expérience montre qu’il est complexe de l’adapter avec la même rigueur sur les constructions existantes. De Vanssay et al. (2004) décrivent les intérêts divergents sur l’occupation du sol des littoraux antillais après le cyclone Lenny en 1999. L’Etat et certains élus souhaitaient profiter de l’occasion pour limiter l’occupation des littoraux alors que d’autres élus, sinistrés et acteurs socio- économiques faisaient pression pour reconstruire sur place, le plus rapidement possible, de façon à profiter des effets de sites et effacer la trace de la catastrophe. Financeurs et maîtres d’ouvrage subissent la pression des élus, eux-mêmes sollicités par les citoyens ou les entreprises sinistrées : la reconstruction doit aller vite. Or, la limite entre rapidité et précipitation est fine et cette dernière peut aller à l’encontre des missions de certains acteurs, notamment en termes de prévention et de protection des milieux naturels. S’ajoutent à ces différences d’objectifs, des différences de pratiques entre les maîtres d’ouvrage, liées à la culture et à la formation des ingénieurs et techniciens (cf. figure 22, page 162) : culture « hydraulicienne », culture « travaux publics » chez les ingénieurs des Ponts et Chaussées, culture « préservation des milieux » représentée par des biologistes ou techniciens de rivières dans les Agences de l’eau ou les Directions Régionales de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL).

La doctrine actuelle de l’Etat en matière de prévention des inondations est d’empêcher les personnes « d’habiter dans l’eau », ce qui n’a pas la même signification qu’habiter en zone inondable. En effet les PPR autorisent la construction en zone inondable à aléa modéré ou faible (moins de un mètre ou 0,5 mètre selon les régions) ce qui correspond aux zones bleues des cartes réglementaires des PPR. La construction d’habitations en zone inondable est assortie d’une prescription obligeant à élever la hauteur du plancher au-dessus de la ligne des Plus Hautes Eaux Connues (PHEC) ou de la crue de référence. Malgré quelques tentatives, l’adaptation des bâtiments à l’inondation ou à d’autres aléas,

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sismique par exemple, a posteriori est extrêmement difficile. De plus, l’Etat garde un rôle fort de protection – qui n’est pas sans rappeler les critiques faites par Bourrelier (1997) à la notion d’Etat Providence – et en même temps, demande aux populations exposées d’être de plus en plus autonomes en matière de protection et de prévention. En prenant le cas des inondations, il semble qu’en renversant la proposition – c’est-à-dire en adaptant le bâti lors d’une remise en état après sinistre – l’on puisse en théorie réduire en 100 ans la vulnérabilité des secteurs soumis à la crue centennale. Cela implique évidemment de reconnaître l’inondabilité d’un logement et d’assumer le fait qu’il sera inondé. Ainsi le discours de l’Etat est partagé entre la maîtrise d’occupation des sols en zone à risque et l’adaptation de l’existant par les mesures de mitigation.

L’ouvrage du Ministère de l’Environnement, du Développement Durable des Transports et du Logement (MEDDTL)7 de février 2011 intitulé « La démarche française de réduction des risques de

catastrophe » définit trois principes directeurs pour la politique française : 1) prévenir les dommages,

réduire leur ampleur et les réparer lorsqu’ils n’ont pas pu être évités, 2) informer les citoyens pour qu’ils deviennent acteurs de la gestion des risques, et 3) gérer efficacement les crises quand elles surviennent. Cette approche de la politique publique induit une division en deux logiques : celle de la prévention et celle de la gestion de crise, sans que la reconstruction ne soit jamais clairement évoquée. Ce même document définit aussi les sept piliers de la politique française qui vont de l’enrichissement des connaissances au REX post-crise, en passant par la surveillance, l’alerte, l’information et l’éducation à la culture de la prévention, la réduction de la vulnérabilité, l’aménagement du territoire en fonction des risques et la préparation des ressources nécessaires à faire face. Le terme de « culture

de la prévention » nous semble plus juste que celui de « culture du risque ». Cette formulation peut

signifier à la fois la culture de la prise de risque et celle de sa prise en compte, c’est pourquoi nous lui préférons le terme de « culture de la prévention » qui interdit cette dualité. Dans l’ouvrage du MEDDTL, la seule occurrence du terme « reconstruction » concerne le partenariat entre la Banque Mondiale, l’ONU et les bailleurs de fonds pour le financement de « l’aide rapide à la reconstruction

post catastrophe » par le biais du programme Global Facility for Disaster Reduction and Recovery

(GFDRR).

Les dispositifs techniques et institutionnels de reconstruction sont installés empiriquement en temps voulu, mais rien ne garantit qu’ils soient systématiquement reconduits après un laps de temps

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MEDDTL, devenu en 2012 le Ministère de l’Ecologie du Développement Durable et de l’Energie (MEDDE), et le Ministère de l’Egalité des Territoires et du Logement (METL)

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assez long (dix ans ou plus) ou lors d’une autre reconstruction, sur un autre territoire ou sur le même territoire après une autre catastrophe. Il n’y a pas véritablement, quelle que soit l’échelle territoriale considérée, de capitalisation du savoir-faire en matière de reconstruction, ni d’organisation a priori. Les données sont conservées par les services instructeurs des dossiers ou versées aux archives départementales (ce fut le cas pour l’Aude pour une partie des documents qui concernait les données agricoles et les biens publics) mais l’absence de REX sur le temps moyen et long entrave la capitalisation des expériences. La proximité géographique des départements peut jouer dans la transmission des connaissances comme ce fut le cas lors des inondations du Gard en 2002. Des représentants de la « mission reconstruction » mise en place dans l’Aude ont été conviés à partager leurs expériences opérationnelles avec les gestionnaires gardois qui ont repris la structure de la mission reconstruction pour reconstruire leur territoire, qu’ils ont aussi transmise aux gestionnaires du Var pour les inondations de 2010.