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Chapitre 4 : Les temps de la reconstruction

4.2. Facteurs explicatifs de la durée de la reconstruction

4.2.3. La temporalité du relogement en Indonésie

La reconstruction sur place aurait pris moins de temps, l’inclusion de ce type de mesure préventive lourde allonge la reconstruction dans le temps surtout quand il y a une volonté de trouver une complémentarité dans les méthodes « top-down » et « bottom-up » (cf. figure 19). Ce temps long de la prise de décision a pour conséquence le maintien des populations dans des situations précaires. Face à ce constat, des ONG sont venues proposer aux plus démunis et aux plus vulnérables (personnes âgées, familles avec enfants en bas âge, etc.) des maisons temporaires au village pour éviter de passer de long mois voire années dans les centres de relogement temporaires. Ces maisons dont la

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construction a débuté quatre mois après la catastrophe, sont localisées dans les villages sur des terres louées pour dix ans. Ce dernier point peut poser question quant au caractère temporaire de ces constructions... pourtant, en 2021 il faudra détruire ces logements ou bien renégocier le doit d’usage du sol. Or, ces logements sont en zone à risque et rien n’indique que le gouvernement autorise leur implantation à l’avenir, d’autant qu’elles sont faites en plaques de plâtre dont la caractéristique principale n’est pas la résistance aux chocs et aux inondations. Elles présentent cependant l’avantage d’un coût limité, d’une pose facile et d’une isolation acoustique et thermique – ce qui est plutôt positif étant donné que les maisons sont quasi-mitoyennes. Ces foyers ont eu la possibilité de demander un logement en centre permanent. Beaucoup l’ont fait mais ils n’étaient pas prioritaires au regard des critères du gouvernement (cf. page 220). Aujourd’hui le programme Rekompak est terminé et ces foyers sont toujours dans l’attente d’une solution de relogement durable qui devrait leur être proposée par le gouvernement local.

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Cette frise présente la synthèse des informations issues des entretiens avec les gestionnaires de la reconstruction et des questionnaires conduits auprès des communautés interrogées. Elles ont été complétées par l’étude de documents fournis par les gestionnaires. En matière de temporalité de relogement, 9 % des répondants affirment que le processus a pris moins de trois mois depuis la date d’achat de la terre. Cette date marque pour les communautés rencontrées le début de la reconstruction après une période de transition d’un an environ. Ces personnes ont reconstruit leurs logements sur des terres qui leur appartenaient, et ont bénéficié des aides du programme de relogement du gouvernement, c’est ce que l’on appelle en indonésien le huntap mandiri, qui peut être traduit par le relogement permanent personnel, par opposition au huntap kelompok qui est le relogement permanent collectif. Les logements de ces personnes répondent aux mêmes critères que les logements en centres collectifs, c’est-à-dire qu’ils doivent notamment répondre aux normes parasismiques. Ces foyers ont passé en moyenne un an dans les centres de relogement temporaires. Pour un peu moins de la moitié (49 %) des répondants, la reconstruction a pris entre trois et six mois. C’est le pas de temps affiché par le gouvernement comme nécessaire pour construire la maison à partir du moment de l’achat de la terre. Pour 24 % des répondants, le processus a pris entre six mois et un an. Ce cas de figure est lié aux problématiques de disponibilité de la terre et s’est présenté – sur nos cas d’étude – uniquement dans la province de Java Centre. La spéculation foncière y a été très importante et les négociations longues, ce qui a retardé le processus de reconstruction. Enfin, pour 18 % des répondants, il a fallu plus d'un an pour trouver une solution de relogement pérenne. Ils représentent un groupe de familles qui ont eu, en plus des difficultés à trouver une terre, des problèmes pour remplir et retourner dans les temps les rapports budgétaires qui donne lieu au versement des tranches d’aides (30 % pour les fondations, 30 % pour les murs et 40 % pour le toît). Ces variations sont aussi liées au choix du gouvernement de prioriser les familles à reloger (cf. page 220). Elles étaient réparties en deux groupes (lestari satu et

lestari dua) : le premier groupe de famille était prioritaire car leur maison était totalement détruite et

qu’ils étaient en centres de relogement temporaires ; le second groupe était relogé dans des conditions jugées moins précaires.

Bien que la stratégie ait été la même pour les deux régions étudiées en Indonésie, nous avons observé des variations de temporalités. Les délocalisations de foyers sinistrés ont pris plus de temps dans la province de Java Centre que dans celle de Yogyakarta. Trois raisons peuvent expliquer cela : d’une part les densités de population sont plus élevées dans les villages de la province de Java Centre que dans celle de Yogyakarta, d’autre part la gestion administrative du territoire n’est pas la même, et enfin la récurrence des lahars a été beaucoup plus importante dans la vallée de la Putih (Java Centre) que dans celle de la Gendol (Territoire Spécial de Yogyakarta) (De Bélizal 2012). Le Territoire

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Spécial de Yogyakarta bénéficie d’une gestion particulière puisqu’il est régi par le Sultan de Yogyakarta, alors que dans les villages de la province de Java Centre, c’est l’administration publique classique qui gère le territoire. Dans le cas des territoires contrôlés par le Sultan, les terres nécessaires à la construction des centres de relogement permanents ont été en quelques sortes réquisitionnées par le Sultan, limitant ainsi le temps nécessaire au processus d’achat de la terre. Ce ne fut pas le cas dans la province de Java Centre où les propriétaires des parcelles pressenties pour accueillir les centres de relogement ont âprement négocié les prix, ce qui a étiré la reconstruction dans le temps.

Alexander (2010) résume ce paradoxe de la reconstruction qui nécessite du temps mais qui doit aller vite en ces termes : « time is socially necessary in reconstruction, but it is not limitless »34. Prendre du temps pendant la reconstruction autorise la mise en place d’une période de consultation et ainsi de discuter, d’argumenter et de décider de manière démocratique des modalités constructives et des emplacements des nouveaux lieux de vie par exemple. En Indonésie, la phase de consultation des personnes à relocaliser a duré environ six mois (cf. figure 19). Si la reconstruction est trop hâtive, elle est orientée vers la reconstruction à l’identique qui ne demande pas d’étude supplémentaire mais qui ne présente aucun gain préventif ; et si a contrario elle est trop lente, les situations temporaires peuvent s’éterniser et devenir permanentes. Il ne faut cependant pas confondre vitesse et précipitation. Cette dernière est caractérisée par l’improvisation et l’absence de coordination, lors de nos entretiens dans le Var, les PSE ont été nombreuses (65 %) à pointer la précipitation dans laquelle s’est effectuée l’enlèvement des encombrants. Selon eux, une quantité importante de biens – mobiliers notamment – et de matériaux de construction auraient pu être récupérés, recyclés et réutilisés, mais l’armée (qui était en charge du nettoyage) bennait les biens sinistrés sans effectuer de tri. La question du traitement des déchets engage la collectivité sur le moyen et long terme d’un point de vue financier et environnemental. En effet, en plus du coût du nettoyage, les collectivités se trouvent face à des quantités de déchets, parfois toxiques, à stocker et à traiter. Sur le plan juridique, les maires sont responsables de la gestion des déchets sur leurs communes. Dans le Nord après 2008, sur les quatre communes touchées, 50 tonnes de déchets étaient évacuées chaque jour en moyenne soit 1300 tonnes sur l’ensemble de l’opération de déblayage qui a duré 26 jours. Une centaine de militaires ont aidé au déblaiement. Le lieutenant-colonel P. Hartmann35 évoque un volume de déchets et gravats équivalent à « un stade de foot recouvert sur cinq mètres de hauteur ». Quantités qui pourraient être réduites par un

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Le temps est socialement nécessaire à la reconstruction mais elle doit avoir une limite dans le temps (traduction Moatty).

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effort de tri, de réparation et de recyclage... mais ces trois concepts sont mis à mal par les logiques de consommation actuelles où réparer peut dans l’immédiat coûter plus cher que racheter, du fait notamment de « l’obsolescence programmée » de certains biens.

Le réseau familial et social entre dans les éléments qui vont faire varier la durée des reconstructions pour les individus. La notion d’entraide en général mais plus précisément dans des domaines spécifiques (assurance, relogement, reprise d’activité, etc.) permet de développer des solutions alternatives à celles qui sont proposées par les autorités nationales et locales et qui ne correspondent pas toujours aux besoins des sinistrés. L’étendue et le niveau de qualification dans des secteurs clés de la reconstruction de ce réseau est conditionné au moins en partie par le niveau d’éducation et la classe socio-professionnelle des individus. De manière tout à fait caricaturale et provocatrice, les riches se relèvent plus vite et peuvent – même si ce n’est pas systématique – être plus résilient (au sens de résistance) car ils disposent de moyens économiques et humains plus conséquents et stratégiques que les pauvres. Mais les populations modestes peuvent être plus résilientes (au sens d’adaptation) et élaborer des techniques de substitution notamment en matière de reconversion plus rapidement et plus aisément. Parmi ces stratégies à la mesure de leurs moyens, on trouve en Asie la construction de ponts en bambou pour traverser les rivières fréquemment soumises aux inondations et lahars. S’ils n’opposent que peu de résistance, leur construction est aussi économique que rapide et semble être une stratégie efficace pour des usages limités (en Indonésie les camions qui empruntent ce type de ponts éprouvent des difficultés, qui ne les empêchent que rarement de traverser, et endommagent ces ponts qui doivent être fréquemment réparés) et pour des risques à périodes de retour fréquentes. Dans les deux cas de figure – la protection pour augmenter la résistance permise par des moyens techniques, économiques et humains ; ou l’adaptation précaire mais peu coûteuse et rapide – se pose la question de la durabilité de ces solutions, et de fait, de la durabilité de la résilience de ces communautés.

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4.3. De l’urgence au relèvement : proposition d’une représentation des temporalités de la