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Place de la reconstruction dans les publications institutionnelles françaises

Chapitre 1. La reconstruction – un angle mort de la prévention en France ?

1.1. Pourquoi la reconstruction ne fait-elle pas débat en France ?

1.1.2. Place de la reconstruction dans les publications institutionnelles françaises

Afin de quantifier la part des travaux dédiés à la reconstruction, nous avons étudié 172 documents dédiés à la gestion des risques (liste exhaustive en annexe). Parmi les documents analysés, nous pouvons citer les REX commandés par les différents Ministères en charge des risques naturels (Ministère de l’Intérieur et Ministère de l’Environnement principalement), les rapports d’inspection de la Cour des Comptes, ainsi que les documents rédigés par le MEDDE – comme les notes de cadrage méthodologique par exemple –, le Ministère de l’Intérieur et le Centre Européen de prévention de Risque d'Inondation (CEPRI) – comme les études d’aménagement des cours d’eau dans les traversées de villages par exemple. Cette liste de documents ne vise pas l’exhaustivité mais la représentativité : les documents choisis font référence à l’échelle nationale. Pour des raisons pratiques nous avons choisi de borner temporellement l’étude des documents : le plus ancien date de 1994, il s’agit du rapport Mariani (Mariani et al., 1994) et le plus récent de 2015. Le choix de commencer en 1994 est fondé sur trois constats :

− D’une part, il nous fallait des documents numérisés et libres d’accès,

− D’autre part, il fallait que le contexte territorial soit comparable, or la loi de décentralisation des services publics a modifié le paysage administratif français. Nous avons donc choisi de débuter l’analyse des documents après la mise en application de cette loi,

− Enfin, cette période correspond aussi et surtout à une reprise en main de la prévention par les pouvoirs publics qui s’est traduite notamment par la création des PPR en 1995.

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Nous avons, dans un premier temps, cherché le nombre de pages dédiés à la reconstruction et dans un second temps, nous avons caractérisé les occurrences des termes « reconstruction » et «

réhabilitation »8 en fonction de leurs orientations méthodologiques, c’est-à-dire des remarques ou conseils visant à expliquer des points stratégiques de la reconstruction ; ou bien techniques, c’est-à- dire des préconisations sur les modalités de reconstruction physique de bâtiments ou infrastructures. Le traitement de l’information a été fait sous Excel.

Sur les 172 documents analysés, seuls 80 évoquent les problématiques du processus de reconstruction. L’analyse qui suit se concentre sur ces 80 documents. En termes de répartition chronologique des documents, on note une discontinuité après 2010 (cf. figure 1). Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette augmentation comme la succession d’évènements catastrophiques entre 2008 et 2010 au niveau mondial, la mise en œuvre de la directive inondation à l’échelle régionale européenne, et les évènements majeurs que sont la tempête Xynthia et les inondations en Dracénie en 2010.

Figure 1 : Occurrences du terme « reconstruction » dans les publications institutionnelles françaises rapporté au nombre

annuel de publications sur la gestion des risques de 1994 à 2015 (corpus de référence de 172 documents)

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Les autres termes qui peuvent signifier le processus de reconstruction (« remise en état » et « restauration » par exemple) étaient absents de ces documents.

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Le rapport Bourrelier (1997) est le premier des documents étudiés à évoquer la reconstruction. La reconstruction y est abordée d’un point de vue technique et les préconisations formulées sont relatives aux dispositions constructives tant sur plan de l’aménagement du territoire que sur celui des modalités techniques des constructions. Sur les 17 recommandations que contient le rapport, une seule porte sur un aspect de la reconstruction : les délocalisations. Le rapport stipule qu’il faut favoriser les délocalisations de constructions en zones à risques mais sans pour autant préciser de quelle manière le processus peut être amélioré. Le rapport précise que ce type de mesure est plus aisé à mettre en œuvre après une catastrophe en période de reconstruction, qu’en temps dit « calme » et ce par un plus fort degré d’acceptabilité lié à une augmentation de la sensibilisation des habitants causée par le choc que représente la catastrophe. Les autres occurrences dans le rapport, cantonnent la reconstruction aux questions d’indemnisation.

Les publications des années 2000 à 2009 varient peu, avec entre un et trois documents par an évoquant la reconstruction. Ces documents sont principalement axés sur l’évaluation des politiques de prévention (Galley et Fleury, 2001, Barthelemy, 2002, Vignal et Laroche, 2004) et sur les rôles des représentants du pouvoir à différentes échelles (Cour des Comptes, 2008). On note la présence dans ce corpus des REX dont celui de Lefrou et al., (2000) sur les inondations dans l’Aude, l’Hérault, le Tarn et les Pyrénées-Orientales de novembre 1999 ou encore celui de Huet et al., (2003) sur les crues de 2002 dans le département du Gard notamment, pour ne citer qu’eux. Dans ces REX les préconisations sur la reconstruction traitent d’enjeux spécifiques comme des ponts ou des bâtiments administratifs, et sont focalisées sur les aspects techniques. Le pic de publications relevé à partir de l’année 2010 a été impulsé par une catastrophe majeure sur le territoire métropolitain : la tempête Xynthia (février 2010). C’est pendant cette catastrophe que le gouvernement a élaboré le concept de « zones noires » interdites à la reconstruction. L’exemple de Xynthia peut aussi illustrer les problématiques de recherche de responsables évoquées plus haut. Une procédure judiciaire a été lancée contre l’ancien maire de la Faute-sur-Mer reconnu responsable de la mort des habitants du quartier pavillonnaire de la ville situé en contrebas de la digue de protection contre les submersions marines. Le verdict (duquel le maire a fait appel) l’a condamné à quatre ans de prison ferme. Notons que son adjointe, condamnée à deux ans de prison, était présidente de la commission d’urbanisme et promoteur immobilier. Ils ont été reconnus coupables d’avoir encouragé une politique d’urbanisation dans des zones à risque fort. A travers cet exemple on voit poindre les problématiques de conflits entre l’intérêt collectif et les intérêts individuels. L’importante médiatisation de cette catastrophe a fait connaitre des conflits et problématiques qui se posent fréquemment (si ce n’est systématiquement), parfois dans des termes différents, après les catastrophes et plus particulièrement en période de reconstruction.

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On peut aussi expliquer cette augmentation des publications institutionnelles par les agendas européens et internationaux. Le HFA, acté suite à la WCDRR de 2005 avait pour titre « Pour des

nations et collectivités résilientes face aux risques de catastrophe ». La directive inondation

européenne9 (2007) a aussi motivé un certain nombre de rapports qui évoquent les aspects techniques de la remise en état d’enjeux spécifiques. La possibilité d’associer la période de reconstruction à une opportunité d’intégrer plus de prévention dans l’aménagement du territoire a été reconnue lors de cette conférence. Les participants constataient le manque de travaux sur cette période de la gestion des risques de catastrophe. Les gouvernements, dont celui de la France s’étaient alors engagés à produire des éléments de cadrage. En 2011 à Genève, s’est tenue la Conférence Mondiale sur la Reconstruction. Un des points soulevés lors de cette conférence était que « peu d’états intègrent la prévention des

catastrophes dans la planification de la reconstruction et du redressement, minant ainsi les perspectives de développement et de viabilité des investissements » (Conférence Mondiale sur la

Reconstruction 2011, p4). La France a alors accru ses efforts pour développer des connaissances sur les reconstructions et pour en améliorer la gestion, en témoigne l’augmentation de la part du corpus consacrée à la reconstruction depuis 2009.

En avançant dans le temps, on observe que les occurrences du terme reconstruction sont plus nombreuses : les documents récents traitent plus amplement de la reconstruction que les anciens. Les plans séismes aux Antilles comportent un réel effort d’analyse méthodologique en plus de l’analyse technique réalisée. Comme le représente la figure ci-dessous (cf. figure 2), 82 % des rapports qui contiennent des occurrences du terme reconstruction l’évoquent exclusivement par une approche technique contre 18 % pour l’approche méthodologique. Il convient de définir ce que nous entendons par approches techniques et méthodologiques de la reconstruction :

− L’approche technique : peu de pages sont dédiées à la reconstruction et les occurrences concernent des biens spécifiques qui ont été endommagés. Les recommandations sont alors axées sur les modalités techniques de construction des bâtiments ou infrastructures à rebâtir. − L’approche méthodologique : la reconstruction est décrite en tant que processus. En plus des

recommandations techniques sur les modalités de construction, des éléments de cadrage sur

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Directive 2007/60/CE du parlement européen et du conseil, du 23 octobre 2007, relative à l’évaluation et à la gestion des risques d’inondation.

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les temporalités de la reconstruction, les acteurs et outils mobilisables sont formulés pour proposer une analyse de la situation sur un territoire donné.

Figure 2 : Approche technique et approche méthodologique dans les publications institutionnelles françaises de 1997 à 2015

(corpus de référence de 80 documents)

Parmi les 18 % de documents qui traitent la reconstruction par une approche méthodologique, on remarque la surreprésentation des plans séismes Antilles qui totalisent 65 % de ces documents. Les 35 % restants sont représentés par les travaux sur les Plans de Continuité d’Activité (PCA), (25 %) et par les REX sur la tempête Xynthia et sur les inondations du Var en 2010 (10 %). En moyenne, seulement 2,9 % des documents qui évoquent la reconstruction y sont entièrement consacrés. Cette moyenne est purement indicative car on observe de grandes disparités au sein des documents. En effet, on note que 60 documents y consacrent moins d’une page et 22 % de ces documents sont des REX post-catastrophe. La faible prise en compte de la reconstruction dans ces documents est en partie liée à la période à laquelle est réalisé le REX : en général dans l’année qui suit la catastrophe. Or, un an après la catastrophe, les reconstructions sont amorcées mais elles sont loin d’être terminées, c’est encore le temps de la programmation des travaux, en tout cas pour les dossiers les plus lourds en terme d’aménagement et de coût. Les 78 % de documents restants sont des documents de cadrage à l’échelle nationale – en majorité – et européenne sur les stratégies de prévention des risques, et à partir des années 2005, sur la stratégie de RRC. La grande majorité de ces documents traite d’aspects techniques abordés de manière sectorielle, c’est-à-dire qu’ils portent sur la réduction de vulnérabilité des bâtiments, des ponts et ouvrages d’art, etc. Notons aussi que ces documents ne comportent pas d’approche multirisque : ils sont focalisés sur un seul type d’aléa (l’inondation ou le séisme principalement).

Les autres documents y consacrent plus d’une page. Quatorze documents y consacrent entre deux et cinq pages, il s’agit là encore de documents proposant des recommandations techniques sur les méthodes de construction des biens privés et publics. Quatre documents y consacrent entre cinq et dix pages. Enfin un seul document y consacre plus de 50 pages : c’est le retour d’expérience de Ledoux

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(2000) sur les inondations dans l’Aude, l’Hérault, le Tarn et les Pyrénées Orientales. Bien que ce REX ait été publié moins d’un an après la catastrophe, l’auteur a décrit et analysé la mise en place du processus de reconstruction et notamment l’organisation des acteurs pour programmer l’attribution des crédits. Les indications fournies dans ce rapport sont précieuses pour l’étude de la structuration des acteurs.

Nous avons ensuite effectué un tri par institution de commande, dans lequel il apparait que seuls 0,04 % des documents émanant du Ministère de l’Intérieur traitent de la reconstruction alors qu’il est le principal financeur des opérations de reconstruction. Pour le CEPRI, les publications qui évoquent la reconstruction représentent 0,43 %. Ceci peut s’expliquer par les missions du CEPRI qui n’a pas vocation à produire une méthodologie de la reconstruction mais qui produit des analyses ciblées sur certains types d’aménagements, et / ou sur certains territoires. Le MEDDE a consacré sur la période étudié 3,3 % de ses publications aux problématiques de la reconstruction. 90 % de ces documents émanent de la Direction Générale de Prévention des Risques (DGPR). On peut d’ailleurs corréler le pic de publications de 2010 à la refonte du Ministère de l’Environnement et à la création de la DGPR le 18 mai 2007. Et enfin, près de 11 % des publications émanant des Inspections Générales de l’Environnement (IGE) et de l’Administration (IGA) sont consacrées à la reconstruction. Pour obtenir ces chiffres, nous avons calculé le nombre de pages qui évoquent ou sont dédiées à la reconstruction dans les documents. Il a été rapporté au nombre total de pages contenues dans les différents rapports pour extraire un pourcentage. Ensuite, ces pourcentages ont été additionnés par institution de commande. Pour compléter cette analyse nous avons souhaité classer les données par échelle géographique (cf. figure 3).

Figure 3 : Aire géographique des publications qui évoquent la reconstruction de 1997 à 2015 (corpus de référence de 80

documents)

Ce graphique met en évidence le fait qu’une large majorité (67 %) des documents évoque la reconstruction à une échelle nationale. Ces publications sont aussi celles qui comportent le moins de pages sur la reconstruction et qui en font une évocation technique. Les 27 % de documents qui traitent de la reconstruction à l’échelle d’un département, ainsi que les 6 % qui la traitent à l’échelle

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régionale10 sont des REX et études de cas. Ces documents sont à la fois techniques – en proposant des recommandations sur les modes de construction de tel ou tel bien – et méthodologiques – en cherchant à comprendre les logiques qui sous-tendent l’organisation et les choix de reconstruction des sociétés. Ainsi, malgré la récurrence des catastrophes, parfois sur les mêmes territoires, la question de la reconstruction reste marginale. Elle est peu traitée au regard des autres domaines du cycle de la gestion des risques, et lorsqu’elle l’est c’est de manière sectorielle, donc partielle.