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Une application résiduelle du Droit commun du Travail

B. L’absence de reconnaissance d’un contrat de travail

2. Une application résiduelle du Droit commun du Travail

C’est le seul domaine dans lequel les dispositions du Code du travail trouvent une application. En effet en cette matière le Code de procédure pénale renvoie expressément au droit commun du travail.

En vertu de l’article D109 du Code de procédure pénale, les mesures d’hygiène et de sécurité prévues par le Livre II du Titre III du Code du Travail et les décrets pris pour sa mise en œuvre sont applicables aux travaux effectués par les détenus dans les établissements pénitentiaires.

Afin de vérifier le respect des règles d’hygiène et de sécurité un certain nombre de contrôles sont prévus par les textes. Il y a tout d’abord des possibilités de contrôles

34 Art D 259 et suivant du Code de procédure Pénale

hiérarchiques effectués par les directions régionales de l’administration pénitentiaire, par l’inspection des services pénitentiaires ainsi que par la commission de surveillance35 qui doit être instituée dans chaque établissement. Ensuite le contrôle peut émaner d’un organisme privé externe, à la demande des concessionnaires ou du groupement privé.

Un contrôle peut également être effectué par les CRAM ; en effet les caisses régionales d’assurance maladie ont compétence pour faire procéder à toutes les enquêtes qu’elles jugent nécessaires concernant les conditions d’hygiène et de sécurité36.Ce sont les ingénieurs-conseils et les contrôleurs de sécurité qui procèdent à ces contrôles et présentent au chef d’établissement pénitentiaire toutes les suggestions utiles concernant l’hygiène et la sécurité.

Cependant ils ne peuvent pas prendre les mesures contraignantes mentionnées à l’article L422-4 du Code de la sécurité sociale.

Enfin l’article D109-1 CPP prévoit que le chef d’établissement peut solliciter l’intervention de l’Inspecteur du travail pour contrôler l’application des règles d’hygiène et de sécurité concernant les travaux effectués dans les établissements pénitentiaires. En application de la circulaire du 16 juillet 199937 les chefs d’établissements doivent adresser chaque année aux directeurs départementaux du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle la liste complète des activités de production.

L’Inspecteur du travail peut accéder à l’ensemble des locaux où s’effectue le travail même si celui-ci s’effectue en cellule.

Cette intervention donne lieu à un rapport adressé au chef d’établissement pénitentiaire qui précise les manquements constatés en matière d’hygiène et de sécurité et recommande les mesures de nature à remédier à cette situation. Une copie du rapport est adressée au concessionnaire ou au représentant du groupement privé en cas de gestion mixte.

35 Art 727 al 2 du code de Procédure Pénale

36 Art L422-3 du code de la sécurité Sociale

37 Circulaire n° 99-102 du 16 juillet 1999

Le chef de l’établissement pénitentiaire doit adresser dans les deux mois une réponse motivée précisant les mesures qu’il a déjà prises et celles qu’il compte prendre pour remédier à cette situation en présentant un calendrier précis de réalisation.

Nous avons eu la chance de pouvoir assister, auprès d’une Inspectrice du travail, à une inspection dans une maison d’arrêt. Nous avons pu constater, au regard des différents comptes rendus de visites qui nous ont été présentés, que le contrôle était régulier dans cet établissement. En effet, s’agissant d’un centre pénitentiaire à gestion mixte, le chef d’établissement a tout intérêt à faire appel à l’Inspecteur du travail afin qu’il mette en relief les dysfonctionnements concernant l’hygiène et la sécurité. Le chef d’établissement pourra ensuite utiliser ce rapport pour inciter le groupement privé à réaliser les réparations nécessaires. Ainsi dans ce cadre, l’Inspecteur du travail joue-t-il un rôle de « conseil » ou plutôt « d’intermédiaire » entre l’administration pénitentiaire et le Groupement privé. Il n’en demeure pas moins que cela permet peu à peu d’améliorer les conditions de travail des détenus. Lors de la visite à laquelle nous avons assisté, l’Inspectrice du travail était accompagnée dans son contrôle par un représentant de l’administration pénitentiaire et un représentant du groupement privé. Elle a contrôlé tous les lieux où les détenus pouvaient exercer une activité.

Une question délicate émerge de l’application des règles de droit commun en matière d’hygiène et de sécurité. Qui peut être considéré comme responsable en cas de non respect des règles édictées par le Code du Travail ?

Cette question sensible est d’autant plus importante que souvent des sanctions pénales sont prévues par le code du travail.

Aucune jurisprudence n’a été trouvée sur ce point, mais la doctrine fait émerger deux analyses.

Selon la première, la responsabilité incomberait au chef d’établissement car il n’y a pas de lien contractuel entre le détenu-travailleur et l’entreprise privée. De plus le chef d’établissement a tous les pouvoirs dans ses locaux, il est tenu de faire respecter les règles d’hygiène et de sécurité applicables.

Une seconde théorie considère qu’en cas de concession ou de gestion mixte, seul le concessionnaire ou le groupement privé devraient être jugés responsables des conséquences qui résultent de l’inobservation de la législation sans que l’administration puisse être mise en cause.

Pour ce qui est du temps de travail, l’article D108 alinéa 2 du CPP énonce qu’en milieu carcéral « le repos hebdomadaire et des jours fériés doivent être assurés ; les horaires doivent prévoir le temps nécessaire pour le repos, les repas, la promenade et les activités éducatives et de loisir ».

Dans les établissements que nous avons visités, cette règle était bien respectée même si on pratiquait la « journée continue » jusqu'à 13h. Il faut reconnaitre qu’en pratique l’application de ces règles est variable selon les établissements.

b. La protection sociale

Les accidents du travail et les maladies professionnelles

Depuis la loi du 30 octobre 1946 les détenus sont protégés contre les accidents du travail de la même façon que les salariés. L’article D110 du CPP est on ne peut plus clair lorsqu’il énonce « le droit à réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles est reconnu aux détenus exécutant un travail ».

En application de l’article L441-2 du Code de la Sécurité Sociale, il revient au chef d’établissement pénitentiaire de déclarer l’accident lorsqu’il s’agit d’un travail effectué en Régie.

Par contre en cas de concession ou de gestion mixte, c’est le concessionnaire qui est tenu d’informer le chef d’établissement afin que ce dernier transmette la déclaration à la CPAM.

Il convient toutefois de noter qu’en cas d’invalidité la rente éventuelle ne sera pas perçue durant l’incarcération mais uniquement à compter de la libération du détenu. De plus la rééducation professionnelle est, elle aussi, reportée au moment de la libération. Cette situation est critiquable en ce qu’elle prive le détenu d’une indemnité destinée à compenser la perte du gain procuré par le travail qu’il ne peut plus assurer.

l’Assurance maladie

Depuis la loi du 18 janvier 1994, l’article L381-30 du CSS énonce que « tous les détenus (qu’ils travaillent ou non) sont affiliés obligatoirement aux assurances maladie et maternité du régime général à compter de la date de leur incarcération ».

Cette affiliation est gratuite et automatique, cependant une contribution peut être demandée aux détenus ou à leurs ayants-droits lorsqu’ils disposent de ressources suffisantes.

Il revient à l’administration pénitentiaire de se mettre en relation avec la CPAM dont l’établissement dépend afin de remettre au détenu un document attestant de son affiliation à l’assurance maladie ainsi qu’une carte d’assuré social qui lui est remise à chaque sortie. A partir de leur libération les détenus bénéficient de cette protection durant une année.

Il est important de préciser que les détenus peuvent uniquement bénéficier des prestations en nature de l’assurance maladie, à l’ exclusion de toutes prestations en espèces.

L’assurance vieillesse

Lorsque le détenu exerce une activité ou une formation professionnelle en milieu carcéral, l’article L381-31 du CSS prévoit qu’il est affilié à l’assurance vieillesse du régime général de la sécurité sociale. Dans ce cas, les obligations de l’employeur sont assumées par l’Administration pénitentiaire qui prend également en charge les cotisations forfaitaires dues par les détenus employés au Service Général.

Néanmoins, concernant les retraites complémentaires obligatoires, la Cour de Cassation, dans un arrêt du 11 octobre 2006 a considéré qu’il n’existait aucune obligation d’affiliation du détenu par l’administration pénitentiaire au régime obligatoire de protection complémentaire38. Dans son attendu de principe la Chambre civile justifie cette position : « aucune disposition ne prévoit l’assujettissement des détenus au régime obligatoire de protection sociale complémentaire […]

que l’article L921-1 du Code de la sécurité sociale réserve aux salariés ». C’est donc une fois de plus l’absence du statut de salarié qui fait ici défaut au détenu travailleur pour bénéficier de la retraite obligatoire complémentaire.

L’allocation de retour à l’emploi

Le détenu ne pouvant plus être considéré comme demandeur d’emploi, les allocations chômage dont il pouvait bénéficier avant son incarcération cessent d’être versées à partir de 15 jours d’incarcération et le détenu est radié des listes du pôle-emploi.

De plus les détenus qui travaillent en milieu carcéral ne cotisent pas à l’assurance chômage, ainsi en cas de perte d’emploi, ils n’ont droit à aucune indemnité. Une partie de la doctrine39 préconise l’instauration d’une cotisation des détenus travailleurs pour le risque chômage ; cela permettrait au détenu de pouvoir bénéficier non seulement pendant son incarcération mais également après sa sortie des indemnités chômage. A cet argument d’autres auteurs objectent que l’instauration d’une cotisation chômage aurait pour effet principal de réduire encore plus le salaire immédiat du détenu.

Il faut toutefois relever, que dans certains contrats de concession, l’administration a inséré l’obligation pour le concessionnaire de payer des indemnités de chômage partiel. Le concessionnaire s’engage à assurer au détenu au moins six heures de travail par jour ; si le détenu a travaillé moins, il a droit pour chaque heure de chômage à une indemnité égale à 50 ou 60% de son salaire horaire.

38 Cass civ 2° 11 octobre 2006 n° 05-10.634

39 Rapport P. Loridant 2002

le RMI

En vertu de l’article R262-47 du Code de l’action sociale et des familles, le revenu minimum d’insertion n’est plus versé lorsque le bénéficiaire est détenu pour une durée supérieure à 60 jours.

Face à la situation d’indigence subie par de nombreux détenus, certains auteurs ont proposé la création d’un revenu minimum carcéral ; ce "RMI carcéral" serait minoré par rapport au RMI de droit commun afin de tenir compte des frais pris en charge par l’administration pénitentiaire. De plus ce revenu serait, pour ne pas inciter à l’oisiveté, inférieur à la plus basse rémunération versée pour l’exercice d’un travail en milieu carcéral.

CONCLUSION

Au cours de cette étude nous avons vu combien la situation du détenu au travail est précaire et vulnérable. Par son organisation, on peut dire que la privatisation libère un espace de plus grande opportunité et donc favorise la présence structurée du travail en milieu carcéral. Par contre le vide juridique, que ce soit pour des raisons idéologiques, économiques ou sécuritaires, empêche une évolution positive des règles de protection du travailleur détenu.

Nous avons été frappés par le paradoxe sociologique de Mauss : une amélioration des conditions juridiques ne profiterait pas directement et proportionnellement à la population carcérale. En effet tendre vers un alignement sur la réglementation extérieure diminuerait l’attractivité de cette main d’œuvre captive, les entreprises s’en détournant au profit de délocalisations plus lointaines.

Nous nous posions la question au début de ce rapport de savoir quelle serait l’organisation du travail en milieu carcéral la plus à même de favoriser la réinsertion des détenus.

La réponse devrait prendre en compte toutes les contraintes exposées ci-dessus et ne pourrait s’inscrire que dans une réflexion globale sur le rôle et la qualité du travail dans la prison de demain ainsi que sur l’évolution de l’opinion publique à ce sujet.

L’idéal serait que l’Etat par une série d’aides incitatives concrètes et contrôlées en direction d’entreprises privées partenaires, ait la volonté politique de rapprocher enfin le droit du travail carcéral du droit commun.

Et quand bien même ce résultat serait atteint comme dans certains pays tel que le Canada où le droit du travail s’applique entièrement en milieu carcéral, la question demeurerait de sa finalité objective : le travail en prison doit-il se limiter à être considéré comme un « tue temps » productif pour les entreprises privées et rassurant pour l’institution pénitentiaire ou évoluera-t il-un jour vers une mission à la fois qualitative et formatrice, réconciliant le détenu avec la Société qu’il retrouvera à son élargissement ?

« Nous ne pouvons plus persister dans cette acceptation séculaire de prisons indignes, alors qu'il ne faut que du courage politique pour en finir avec cette honte nationale » Robert Badinter

BIBLIOGRAPHIE Ouvrage généraux :

LYON-CAEN , PELISSIER, SUPIOT , Droit du travail, Précis Dalloz 24° édition 2008 CORNU, Vocabulaire juridique édition 2007 Paris PUF

BECCARIA, Des délits et des peines, Gallimard Classique

LARGUIER, Travail pénitentiaire, Encyclopédie Dalloz, 1977 Travail IV FOUCAULT Surveiller et Punir, collection Idées

CAMUS-KOESTLER Réflexions sur la peine capitale ;Gallimard 1957

BADINTER, Présence de Beccaria (1991), préface à Des délits et des peines de Beccaria dans l'édition GF

Ouvrage spéciaux :

LEAUTE, Les prisons, Que sais-je ? 2° éd, 1990 Paris : PUF

VASSEUR, Médecin-chef à la prison de la Santé, Livre de poche, 2000 Paris

LAUVERGNON-GUILLEMAIN Le travail pénitentiaire en question La documentation Française 2007.

Etudes chroniques et articles :

DANTI-JUAN « L’absence de contrat de travail dans l’univers pénitentiaire ». Commentaire de l’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 17 décembre 1996, Rev pénit 1998 TARDY, « Le travail en milieu carcéral, essai d’un bilan » Rev pénit 1997

LA VOIX DU NORD, « Le call-center de Bapaume ouvre la porte des prisons au tertiaire » 22 Dec 2008

NOUVEL OBSERVATEUR, «Call center" en prison : les syndicats s'alarment » 24 nov 2008 NOUVEL OBSERVATEUR, « Le travail carcéral préoccupe le contrôleur »15 mai 2009

Thèses et Mémoires :

ARN, Le travail pénitentiaire mémoire DEA : Droit pénal Bordeaux IV 2001 BONDUEL, Le droit du travail pénitentiaire DEA : Droit social Lille II 2002

Rapport et documents officiels

MINISTERE DE LA JUSTICE PROJET DE LOI PENITENTIAIRE, discussion au Sénat 2009

ADMINISTRATION PENITENTIAIRE : Rapport d’activité 2008 de l’administration pénitentiaire CONSEIL ECONOMIQUE ET SOCIALE « Travail et Prison » Avis du 9 décembre 1987 Rev pénit 1989

INSPECTION DU TRAVAIL rapport d’inspection de la Maison d’arrêt de Luynes 2007

HYEST, président et CABANEL, rapporteur « Prison, une humiliation pour la République » Rapport de la commission d’enquête du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France n°449, 29 juin 2000.

LORIDANT, Rapport d’information sur la mission de contrôle sur le compte de commerce de la régie industrielle des Etablissements pénitentiaire n° 330, 19 juin 2002.

MERMAZ, président et FLOCH, rapporteur « La France face à ses prison » Rapport n° 2521, juin 2000 ed Assemblée nationale.

OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, « «les conditions de détention en France » Rapport 2007

Autres documents

« Le travail en prison » Emission Capital du 25 février 2001, M6

« Le travail en prison : une zone de non-droit” Conférence-débat avec Philippe Auvergnon, juriste, Directeur de recherche au CNRS, Directeur du centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale de l'Université Montesquieu – Bordeaux Paris 2006

http://www.service-public.fr http://www.sénat.fr

http://www.justice.gouv.fr http://prison.eu.org http://oip.org

ANNEXES

ANNEXE n°1 : Questionnaire sur le travail carcéral

ANNEXE n°2 : Répartition géographique des groupements privés

ANNEXE n°3 : Organigramme du groupement privé centre pénitentiaire de la Farlède et Maison d’arrêt de Luynes

ANNEXE n°4 : Règlement des ateliers de production

ANNEXE n°5 : Fiche d’avertissement

ANNEXE n°6 : Fiche d’évaluation par les contremaîtres des agents de conditionnement et des détenus- contrôleurs

ANNEXE n°7 : Support d’engagement au travail pour un agent de conditionnement et un magasinier cariste

ANNEXE n°8 : Grille d’évaluation de fin de période d’intégration

ANNEXE n°9 : Règlement spécifique : maintenance

ANNEXE n°10 : Autorisation de conduite des chariots automoteurs de manutention

ANNEXE n°11 : Exemple de liste de cantine

TABLE DES MATIERES

REMERCIEMENTS...2

SOMMAIRE...3

GLOSSAIRE...4

INTRODUCTION...6

I. LES MODES DE GESTION REGISSANT LE TRAVAIL EN MILIEU CARCERAL...13

A. La gestion publique...14

1. La Régie industrielle des établissements pénitentiaires (RIEP)...14

2. Le régime du travail en concession...15

B. L’intervention d’un groupement privé : la gestion déléguée...20

1. Les relations contractuelles entre l’Administration pénitentiaire et le groupement privé 21 2. Les moyens de prospection des groupements privés : les relations entre le groupement et ses clients...26

II. L’ACCES DES DETENUS AU TRAVAIL...29

A. Un accès restrictif à des postes aliénants : une procédure imprécise...30

1. Les conditions d'accès à l'emploi carcéral...30

2. Les différents postes disponibles...34

a. Le service général...34

b. Les ateliers de production...35

B. L’absence de reconnaissance d’un contrat de travail...38

1. Une dérogation aux dispositions du Code du travail...40

a. Le statut individuel...40

b. Le statut collectif...44

2. Une application résiduelle du Droit commun du Travail...47

a. L’hygiène, la sécurité et le temps de travail...47

b. La protection sociale...50

CONCLUSION...53

BIBLIOGRAPHIE...54

ANNEXES...56

TABLE DES MATIERES...57