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Les relations contractuelles entre l’Administration pénitentiaire et le groupement privé

B. L’intervention d’un groupement privé : la gestion déléguée

1. Les relations contractuelles entre l’Administration pénitentiaire et le groupement privé

partenariat public-privé, allant vers une privatisation plus poussée et incluant un nombre croissant de services.

- La délégation de services :

Elle correspond aux programmes 13000 et 4000. Dans ce cas l’entreprise est prestataire de service ; c’est souvent un groupement d’entreprises à direction unifiée qui est signataire du contrat avec l’Etat. Dans ce type de contrat, deux entreprises sont impliquées :

 L’une pour le bâtiment qui prend en charge la conception, la construction et la maintenance. Ainsi les murs appartiennent à l’entreprise privée, l’Etat est locataire sur 30 ans mais dispose d’une clause de reprise en cas de faute, de force majeure, d’ imprévision ou pour motif d’intérêt général.

 Une autre entreprise intervient concernant la gestion et la maintenance du centre.

- Le partenariat public-privé total :

Dans cette hypothèse l’Etat délègue à une même entreprise conception, entretien, et gestion courante. En 2008 trois prisons régies par ce type de gestion ont été attribuées à l’entreprise Bouygues.

Lorsque l’Administration pénitentiaire souhaite faire intervenir un groupement privé un appel d’offres doit être lancé. Le groupement privé qui le remporte signe avec l’administration pénitentiaire un contrat de longue durée. Trois grands groupements privés sont présents actuellement en France: GEPSA, SIGES, IDEX12

Dans les établissements que nous avons visités, il s’agissait de contrat pour 8 ans avec la société IDEX qui est leader de ce type de marché dans le Sud Est. Ce sont des contrats globaux, multiservices, couvrant de nombreuses prestations.

Un représentant du groupement privé ainsi que plusieurs salariés sont installés à l’intérieur même des locaux du Centre pénitentiaire. 13

Dans les établissements à gestion mixte, l’entreprise cocontractante assure l’organisation des activités de production et de service pour le compte de l’Etablissement pénitentiaire. Le travail pénitentiaire recouvre deux types d’activités :

- Les travaux liés à la maintenance et au fonctionnement de l’établissement.

Le nombre et la nature des emplois nécessaires au fonctionnement du service général sont définis contractuellement. Les détenus sont susceptibles d'occuper les postes de coiffeur, assistant bibliothécaire, ou encore écrivain public. Des personnes sont également affectées au fonctionnement des cuisines, de la cantine et au nettoyage des locaux.

- Les activités de production en atelier ou en cellule.

Le groupement privé peut faire fabriquer et commercialiser sa propre production et intervenir ainsi en qualité de sous-traitant ou confier la production à des concessionnaires. Le cocontractant de l’administration pénitentiaire élabore pour chaque activité un règlement d’atelier 14précisant les conditions d’organisation interne du travail, les modalités de rémunération et les mesures d’application de la réglementation en matière d’hygiène et de

12 Annexe n°2 : répartition géographique des groupements privés

13 Annexe n°3 : Organigramme centre pénitentiaire de la Farlède et de la Maison d’Arrêt de Luynes

14 Annexe n°4 : Règlement des ateliers de production

sécurité. Ce règlement est soumis à l’approbation préalable du chef d’établissement et doit être affiché dans chaque atelier. Le groupement privé soumet par écrit à l’accord préalable du chef d’établissement tout projet de nouvelle activité en précisant la nature, la durée, le taux prévisionnel d’emploi et le mode de rémunération.

Le Directeur d’établissement conserve ses prérogatives quant à la gestion des détenus et à la surveillance des ateliers. Il peut ainsi pour des raisons d’indigence imposer le classement d’un détenu au groupement privé.

Dans ce type d’établissement à gestion mixte, la rémunération est liée à un seuil minimal de l’administration pénitentiaire (SMAP). Le groupement privé transmet chaque jour la liste des personnes prévues dans les ateliers pour le lendemain. De plus chaque soir le partenaire fournit au service de comptabilité de l’administration pénitentiaire le nombre de pièces effectuées par chaque détenu et le montant de la pièce à l’unité. Grâce à ces éléments l’administration pénitentiaire établit tous les mois les fiches de paie. Ainsi, même si le partenaire garantit le recouvrement des salaires et des charges sociales vis à vis de tierces entreprises, c’est l’administration pénitentiaire qui reste l’employeur direct des détenus et qui leur fournit les fiches de paye.

Pour ce qui est de la surveillance des détenus au travail, nous avons pu constater que des surveillants pénitentiaires sont constamment présents dans les ateliers afin d’intervenir en cas de problème de comportement d’un détenu.

Des employés du groupement privés appelés « contremaîtres » sont chargés pour leur part de gérer les ateliers. Ils contrôlent les produits à chaque étape de leur fabrication, du moment de la livraison des matières premières jusqu'à la remise au client du produit finalisé. Ils interviennent également afin de former les détenus et de contrôler la bonne exécution de la commande.15Les contremaîtres interrogés, considèrent que leur travail est très proche de celui réalisé à l’extérieur ; ils tutoient les détenus dans un climat de semi-confiance car pour certains cela fait plusieurs années qu’ils travaillent ensemble.

15 Annexe n°6 : Fiche d’évaluation par les contremaîtres des agents de conditionnement et des détenus contrôleurs.

Les détenus peuvent recevoir un avertissement non seulement pour des problèmes de comportement mais également en cas de « malfaçon du travail » ou de non respect des cadences. Cet avertissement est rédigé par un surveillant ou par un contremaitre ; au bout de deux avertissements une demande de déclassement sera faite auprès de la commission.16

La surveillance dans les ateliers reste donc à la charge de l'administration pénitentiaire, alors que le personnel du groupement privé est tenu de surveiller la bonne exécution du travail.

Le contrat de partenariat signé entre le groupement privé et l’administration pénitentiaire, permet théoriquement une détermination précise des obligations respectives des parties. Cependant, dans la pratique on assiste à des conflits de partage de responsabilités.

Par exemple le représentant du groupement privé IDEX que nous avons rencontré à la Farléde soulève la question de la visite médicale. Normalement chaque détenu-travailleur doit être suivi par un médecin qui se prononce sur son aptitude au travail et sur les éventuels aménagements nécessaires de son poste. Ainsi lorsqu’un détenu obtient une formation qualifiante telle que le permis de conduite de charriots automoteurs, il doit être impérativement examiné par un médecin avant que la formation soit validée.

Ce point pose un problème de responsabilité car seul le médecin du travail est compétent pour se prononcer sur l’aptitude du salarié or ce dernier ne peut pas intervenir en milieu pénitentiaire, les détenus-travailleurs n’étant pas considérés comme des salariés. Le service médical du centre pénitentiaire refuse quant à lui de se prononcer sur l’aptitude au travail du détenu. De ce fait le détenu ne sera pas examiné sur ce point.

Le groupement privé s’engage envers l’administration pénitentiaire sur la qualité et la quantité du travail fourni. Ainsi le partenaire, dans la mesure du possible, propose un emploi qui contribue au développement de compétences favorables à la réinsertion des détenus. De plus il est fixé contractuellement un seuil minimal de masse salariale en atelier de production ainsi qu’un nombre minimum de détenus au travail.

16 Annexe n°5 : Fiche d’avertissement

Dans les établissements visités ce seuil était pour le service général de 11 à 16% de l’effectif total et pour les activités de production de 12% en Maison d’arrêt et de 20% dans les établissements pour peine. Cela représentait au centre pénitentiaire de la Farlède l’engagement d’occuper 83 personnes tous les jours en ateliers (sur un total d'environ 700 détenus).

Cependant nous avons pu remarquer que le nombre de détenus-travailleurs était revu à la baisse du fait de l'annulation de nombreuses commandes (seulement 16 personnes étaient au travail dans les ateliers au moment de notre visite).

La réalisation de ces objectifs est évaluée annuellement au regard de deux indicateurs :

- Le volume horaire correspondant au nombre d’heures pris en compte pour la rémunération des détenus,

- La masse salariale brute hors cotisations patronales

Si ces objectifs contractuels ne sont pas respectés, le groupement privé devra payer des pénalités à l’Administration pénitentiaire. Dans un des établissements visités, un représentant du groupement privé nous à confié avoir payé 35 000 € de pénalités à ce titre en 2008.

La crise économique actuelle n’arrange pas les choses : la prison est une sorte de loupe pour tous les problèmes de société, elle intensifie les clivages et élargit les fractures. Le chômage touche directement le travail en atelier.

Pour le Contrôleur général des lieux de privations de liberté, la situation du travail en prison est

"gravement préoccupante" en raison de "la faiblesse actuelle du volume" d'activité proposée aux détenus en ateliers.17

Ainsi afin de respecter le plus possible les engagements pris, le groupement privé adopte une politique active de prospection commerciale.

2. Les moyens de prospection des groupements privés : les relations entre le groupement et ses clients

Le groupement privé prend en charge les missions de prospection et de négociation commerciale. Un attaché commercial est affecté à un ou plusieurs centres pénitentiaires.

17 Nouvel Observateur 15 mai 2009 « Le travail carcéral préoccupe le contrôleur »

Les groupements privés prospectent les entreprises afin de les inciter à utiliser la main d’œuvre carcérale. Lors de notre visite, nous avons pu constater qu’une « journée porte ouverte » avait été organisée afin de démarcher les entreprises de la région en leur faisant visiter les ateliers.

Pour assurer sa mission, l’attaché commercial se déplace également dans divers salons d’entreprises régionaux, ou nationaux.

Les points mis en avant pour attirer les entreprises en prison sont essentiellement d'ordre financier :

- Le taux horaire beaucoup plus faible que celui pratiqué à l’extérieur,

- Le fait qu’IDEX soit certifié ISO 9001 et ISO 14001 (il s’agit de normes qui assurent la qualité du service fourni.),

- Les charges patronales réduites, - L'absence de charges administratives, - La gratuité des locaux

- Mais surtout la flexibilité de la main d'œuvre, donnée non négligeable dans la décision de l'entreprise privée.

La stratégie commerciale est définie par le responsable de zone, avec l’avis du directeur de la formation et du travail, du chef d’unité privé et du directeur du SPIP18. Ces orientations s’appuient sur une analyse approfondie des bassins d’emploi locaux, en concertation avec les partenaires extérieurs, tout en prenant en compte les contraintes liées aux configurations techniques des établissements.

Les établissements visités étant assez récents, la problématique de l’aménagement des locaux avait pu être prise en compte dès leur construction. Mais il est vrai que dans des centres pénitentiaires plus anciens, les contraintes de livraison par exemple sont de réels freins au développement du travail carcéral.

18 SPIP : Service pénitentiaire d’insertion et de probation

L’argument commercial peut être diffusé grâce à divers supports promotionnels ou audiovisuels : Internet, campagnes téléphoniques, actions de promotion diverses.

La particularité est que le groupement privé ne signe pas de contrat sur le long terme avec les entreprises clientes : il se comporte comme un prestataire de service qui conclut des commandes ponctuelles. Lorsqu’un client envisage le montage d’une pièce, ou son conditionnement, il prend contact avec « l’interface » IDEX. Cette dernière calcule, en fonction d’une cadence de travail et de charges fixes, un coût horaire pour la réalisation du produit. Ce coût ramené « à la pièce » est proposé au client sous forme de devis. Si le client accepte ce devis, le bon de commande est signé et l’on rédige un cahier des charges ainsi qu’un mode opératoire.

Le premier jour de la préparation de la commande le client peut venir contrôler lui-même l’exécution de la tâche dans le centre pénitentiaire.

Afin de satisfaire pleinement le client, le groupement IDEX à mis en place un contrôle interne automatique de 10% de la production. Le client a la possibilité de demander, s’il le juge utile, un contrôle plus poussé.

Les contrats signés s'apparentent à des contrats de sous-traitance, c'est-à-dire à des contrats par lesquels un donneur d’ordre fait effectuer une production par un prestataire qui la réalise en engageant sa responsabilité professionnelle. Ainsi le groupement privé se charge-t-il de la formation et de l’encadrement des détenus mais également, si nécessaire de l’achat de matériel.

Toute cette prospection commerciale tend à promouvoir la main d’œuvre carcérale avec plus ou moins de succès. On peut faire ici une comparaison avec les Centre d’aide par le travail (CAT) s’occupant des personnes déficientes mentales. En effet ces centres ont pour but de confier une activité productive à des personnes reconnues handicapées. La démarche de prospection est la même : il s’agit d’attirer les entreprises privées afin qu’elles fassent appel à cette main d’œuvre atypique.

Si le bilan des CAT est meilleur cela s’explique par sa médiatisation plus valorisante pour les entreprises qui sous traitent une partie de la production à des personnes handicapées

Ici encore l’emploi carcéral est mal perçu de la population globale qui considère inutile et injuste d’offrir du travail à une population « coupable » alors qu’il y a tant de demandeurs d’emploi qui mériteraient davantage. On retrouve dans cette réticence la constante psychosociologique dépréciative qui frappe ce groupe social.

Pour conclure nous pensons qu’en dépit d'une recherche constante de profit dont on pourrait craindre quelques dérives vers l’exploitation des détenus, l’apparition de la gestion mixte, par l’efficacité commerciale qu'elle génère semble favoriser une augmentation de l'offre de travail au profit des détenus.

On peut cependant remarquer que ce système propose des tâches peu gratifiantes et souvent répétitives qui ne sont pas susceptibles d’offrir une véritable expérience qualifiante à ceux qui le souhaiteraient en vu de leur élargissement futur.