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Les conditions d'accès à l'emploi carcéral

A. Un accès restrictif à des postes aliénants : une procédure imprécise

1. Les conditions d'accès à l'emploi carcéral

Le Code de procédure pénale contient des dispositions réglementant les moyens de recrutement ; une procédure élaborée est décrite par ledit Code19. En pratique, cette procédure est largement laissée à l'appréciation du chef d'établissement.

Lors de nos visites, le parcours du détenu arrivant nous a été décrit. Les détenus suivent

« un circuit d’arrivant » : ils sont reçus successivement par les différents responsables, c’est-à-dire le c’est-à-directeur, le responsable du travail, un travailleur social, un médecin, et un psychologue du travail. Un dossier leur est alors remis, comprenant un formulaire à remplir, intitulé

« Demande d’accès au travail ». Il appartient au détenu de concrétiser cette demande en retournant le formulaire dûment rempli. En effet, certains détenus ne souhaitent pas travailler car ils n’ont pas tous les mêmes besoins financiers, certains percevant une retraite, d’autres des mandats familiaux.

Concernant la procédure, la quasi-totalité des règles de référence a été instaurée par le

« Pacte 2 », promu par la Direction centrale de l’administration pénitentiaire pour la période 2000-2003 ; ce plan comprend des objectifs d’ordre qualitatif et prescrit le respect de règles destinées à encadrer l'accès au travail.

19 Article D. 99 du Code de procédure pénale. Bizarrerie de la codification, cet article se situe dans le chapitre « De l’exécution des peines privatives de liberté » et non dans le chapitre X « Des actions de préparation à la réinsertion des détenus ».

Pour des raisons de clarté, la procédure d'accès à l'emploi sera expliquée de façon chronologique : nous traiterons dans un premier temps de la demande d’emploi du détenu et nous terminerons par son recrutement.

Au cours de rencontres avec d’anciens détenus, ces derniers nous ont confié que les postes disponibles étaient surtout connus par « le bouche à oreille ». Ensuite le détenu pouvait postuler par lettre. Si la candidature était retenue, il devait passer divers tests de logique.

Tous les postulants sont ensuite reçus par un médecin qui vérifie leur forme physique.et psychologique Il s'agit là de témoignages ; il est dès lors intéressant d'opposer cet aspect pratique à l'aspect théorique du processus de démarchage du détenu pour l'obtention d'un travail.

Les deux visites effectuées nous ont éclairés sur les modalités officielles de la demande d’emploi du détenu. Cependant les règles tendent à varier selon l’établissement pénitentiaire considéré.

Dès son entrée dans le milieu carcéral, le détenu doit être informé du droit qui lui est ouvert de travailler durant l’exécution de sa peine. L’intéressé devra alors démontrer ses motivations et ses aptitudes auprès de l’Administration Pénitentiaire.

Dans certains cas, une telle demande peut être présentée aussi bien par écrit qu’oralement alors que dans d’autres établissements, elle doit être formulée obligatoirement par écrit. La requête peut être formulée soit sur papier libre, soit en remplissant un formulaire qui figure dans le livret d’accueil ou un bulletin spécial adressé au responsable local du travail.

Sur ce bulletin, les détenus doivent inscrire leur qualification éventuelle, leur demande de classement par ordre de préférence (formation - atelier - service général), leur situation financière et pénale et enfin leur motivation par demande détaillée. La demande doit être rapprochée d'un projet professionnel de réinsertion.

Le Pacte 2 recommande l’examen de chaque demande de travail émanant des détenus par une Commission de classement. Les maisons d’arrêt de Luynes et de La Farlede comportent

un tel dispositif. Cette Commission a un rôle très important dans l’attribution d’un travail au détenu. Elle est composée d'un représentant de l'Administration Pénitentiaire, d’un représentant de l'atelier-travail-formation (ATF), d’un contremaître, du chef de production, de la psychologue du travail, du Directeur du service pénitentiaire d'insertion et de probation.

Ces différents acteurs émettent un avis sur le classement du détenu en fonction de l'atelier envisagé, de son projet d'exécution de la peine, de ses expériences, de ses aptitudes mais également de ses besoins financiers.

Le chef d'établissement recueille tous les avis. Il ne s'agit que d'avis consultatifs, car il garde le dernier mot dans l'attribution d'un emploi. Par exemple, il peut imposer le classement ou le déclassement d'un détenu lorsqu'il le juge nécessaire.

Cependant Il va de soi que certains détenus ne peuvent pas exercer d’activités de groupe ou de tâches subordonnées du fait d’un profil psychologique en inadéquation totale avec une telle requête. De plus, le législateur est intervenu sur la problématique concernant l’affectation d’une tâche au détenu. Ainsi le travail de chaque détenu doit être choisi en fonction de ses capacités physiques et intellectuelles ; il est également intervenu sur les conséquences que l’obtention d’un travail peut exercer sur des remises de peine ou sur sa réinsertion20.

Une fois la décision de la Commission prise, les détenus sont avertis de leur classement par courrier. Cependant l'obtention de cette autorisation de travailler n’est pas suffisante pour assurer effectivement un travail au détenu : le contremaître (ou chef d’atelier) garde toujours le dernier mot concernant « l’appel » du détenu. Ainsi un détenu « bien classé » par la Commission n’est pas pour autant assuré d’être retenu par le chef d’atelier.

Le premier jour de travail le détenu signe un support d'engagement qui lui donne la qualification de détenu travailleur.

21. Ce document prévoit une période d'essai ou “période d'intégration” généralement d'un mois calendaire. Dès la signature du support d'engagement, le délai d'un mois de la période d'essai

20 Article D 115-1 du CPP sur les réductions de peine

21 Annexe n°7: Support d’engagement au travail pour un agent de conditionnement et un magasinier cariste

commence. Ce délai ne se trouve pas suspendu du fait des périodes d'inactivité du détenu travailleur. Il s'agit d'une durée calendaire et non d'une durée travaillée. Le contremaître que nous avons interrogé a souligné qu’il était parfois difficile pour lui d’évaluer sur un mois calendaire une personne dont la durée de travail peut varier en fonction des commandes.

A la fin de la période d'essai, le contremaitre remplit une grille d'évaluation de fin de période d'intégration22. La Commission de classement se réunit à nouveau et statue sur le sort du détenu en fonction de la grille d'évaluation. Ce n'est qu'après cet avis de la Commission que le détenu sera définitivement classé ou déclassé.

Bien que la Commission de classement ne soit pas tenue de motiver son refus, le recours devant le tribunal administratif est toujours possible pour le détenu ; dès lors la décision du tribunal devra être motivée. Le détenu aura alors accès aux motivations ayant justifiés le refus de la Commission de classement.

Il ressort de cette description et de nos entretiens avec les détenus que le mode de recrutement de la commission est totalement discrétionnaire laissant place à toutes formes d’arrangements individuels et collatéraux. Les détenus rencontrés témoignent clairement de l’opacité de l’offre et de l’opportunisme des désignations de classement.

Une fois sorti du long labyrinthe de la procédure de classement à quels postes le détenu peut-il prétendre?