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Une anthropologie de la communication en construction

Chapitre 2 : Le théâtre comme outil de communication politique

2.1 L’anthropologie de la communication

2.1.2 Une anthropologie de la communication en construction

L’analyse du contexte est centrale dans la construction de l’anthropologie de la communication. Pour Birdwhistell la communication existe si les contextes ont une valeur informative. Le pattern culturel est une suite de contextes répétitifs qui donne sens ou non aux évènements qui s’y passent. Ainsi les événements ayant lieu -ou pas- sont des significations. Birdwhistell donne l’exemple des dates chez les jeunes étudiants américains. Si les jeunes filles sont invitées à sortir, les garçons les appellent toujours sur leur téléphone fixe. C’est la norme pour donner rendez-vous. Si le téléphone ne sonne pas, cela signifie quand même quelque chose : que l’étudiante n’a pas de dates. En d’autres termes, le contexte informe sur ce qui est communication ou non. De plus, contexte, règles et code s’interpénètrent. Le contexte donne la signification au code et le code est composé de règles qui définissent les évènements possibles. Le tout forme le système social. Un contexte particulier se réfère toujours au système plus vaste de telle sorte que les interactions sociales sont interdépendantes de la communication. Pour Birdwhistell, être membre d’une société c’est apprendre ce que l’on peut y faire et ce qui est interdit. En outre, le comportement d’un individu est prévisible car il correspond au pattern culturel de sa société. En ce sens, le « flot communicationnel » est subliminal, « nous ne percevons consciemment qu’une très faible partie de l’information de contrôle ; seule l’information de faits nouveaux fait l’objet d’un processus autoréflexif » [Winkin, 2001 : 105]. L’anthropologie de la communication se formalise avec Dell Hymes qui propose une conception proche de celle de Birdwhistell. Pour lui, la communication est une compétence culturelle et sociale que les individus doivent maîtriser [Hymes 1991]. L’anthropologue, pour comprendre les enjeux communicatifs d’une société, doit travailler sur les cadres sociaux de la perception qui la composent. Ces cadres font partis d’une grille sémiotique extérieure plus

43 vaste. En d’autres termes, pour comprendre le système communicationnel d’une société, le chercheur doit effectuer une analyse emic et etic, sans opposer les deux regards. Pour réussir à construire une réflexion en dialectique, il est nécessaire de prendre du recul sur la conception de la communication occidentale, fondée sur une vision psychologico-philosophique. En partant du point de vue de l’acteur, Hymes trouve le moyen de contourner « l’intentionnalité comme critère définitoire de la communication [car] cette intentionnalité peut ne pas être requise par certains récepteurs ou peut, au contraire, être appliquée aux éclairs, aux pierres et aux esprits » [Winkin, 2001 : 105‑106]. En résumé, le fait de communiquer n’est pas limitable à un cogito qui correspond avec un autre.

Dell Hymes tente d’éveiller l’intérêt des anthropologues à l’importance du langage, pour qu’il soit perçu comme un phénomène culturel aussi considérable que la parenté ou le religieux. Pour cela, il développe une démarche ethnographique et une méthodologie attachée à l’étude du langage qui se fondent sur deux principes. Premièrement, l’auteur prône une anthropologie de la communication qui ne se circonscrit pas à une seule discipline, mais qui crée son propre champ de recherche. « It must call attention to the need for fresh kinds of data, to the need to investigate directly the use of language in contexts of situation so as to discern patterns proper to speech activity, patterns which escape separate studies of grammar, of personality, of religion, of kinship and the like, each abstracting from the patterning of speech activity as such into some other frame of reference » [Hymes, 1964 : 3]. Secondement, la linguistique ne doit pas être utilisée comme une norme universelle de compréhension de la communication. L’ethnographe doit repérer les codes, les « communicative habits », les « frames of reference » que partage une société et qui finalement la composent.

Cependant cette conception de la communication a elle aussi ses limites. Elle fonctionne dans des sociétés homogènes et fermées, ce qui est rarement le cas dans les faits. Winkin nous met en garde face au grand partage41 qui existe aussi dans les façons d’analyser les langages.

Toutefois, Dell Hymes amène un projet qui reste au fondement de ce champ, celui d’une « investigation ethnographique des comportements, des situations et des objets qui sont perçus au sein d’une communauté donnée comme ayant une valeur communicative » [Winkin, 2001 : 126]. La méthode ethnographique proposée est renforcée par l’utilisation de la définition

41 Référence à la notion de Bruno Latour qui critique le partage entre une science des « sauvage » et celle des

44 de culture de Ward Goodenough42. L’ethnographe doit apprendre les manières de se conduire

de la société qu’il étudie. Dans les termes de Birdwhistell, il doit se rendre prévisible aux membres de la communauté. L’approche sociale de la communication commence par l’utilisation des cadres de références endogènes. En effet, la communication est utile pour « penser les phénomènes sociaux en termes processuels mais il ne s’agit pas de « voir de la communication partout » » [Winkin, 2001 : 128]. Selon Winkin, il s’agit de mêler l’approche de Goodenough, de Hymes et de Birdwhistell, pour appréhender l’observation participante. Le travail de terrain doit commencer par la tentative de le rendre plus familier. Le chercheur pourra ensuite concevoir le sens commun comme un sens qui organise la société.

Ces éléments d’analyse nous seront utiles pour traiter du théâtre en situation interculturelle. Ils nous permettront de repérer les différentes manières de communiquer dans l’espace hétérogène de la ville de la Marseille. De plus, la catégorie de migrant n’étant pas homogène, il est intéressant d’avoir des outils afin de cerner les différentes interactions, en particulier quand les langues parlées au sein d’un groupe ne sont pas les mêmes. Enfin, le théâtre peut être conçu comme un média de communication. Il s’agira de savoir ce que signifie pour les personnes qui s’en servent. En bref l’anthropologie de la communication, pouvant être intégrée au champ des performance studies, est indispensable pour un terrain urbain interculturel.