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Analyse de l’action performative : l’effet performatif indissociable du faire

Chapitre 1 : Théâtre et performance : quelle(s) place(s) pour l’anthropologie au sein des

1.2 Les performance studies et l’anthropologie

1.2.3 Analyse de l’action performative : l’effet performatif indissociable du faire

Les sciences de la performance sont toutes d’accord pour considérer que la performance est associée à l’action. « Le faire est un des principes premiers du performatif » [Féral, 2013 : 209]. Mais qu’est-ce qui fait effet et sur qui ou quoi ? Pour éclairer cette interrogation, nous allons nous pencher sur plusieurs analyses de l’action performative, afin de donner des exemples de performance sous différents aspects selon de la définition de Schechner.

Tout d’abord, notre intérêt va se porter sur les actions performatives du quotidien, notamment par l’analyse des éléments performatifs lorsqu’un individu se présente. Dans la mise en scène de la vie quotidienne25, Erwing Goffman développe la notion de performativité à travers les

situations d’interaction. Quand au moins deux individus sont en relation débute un jeu où les acteurs cherchent à se montrer sous leur meilleur jour. Cette tentative d’action sur ce que perçoit une personne de nous est une performance selon la vision goffmanienne. La capacité d’expression d’un acteur, c’est-à-dire son aptitude à donner des impressions, est un effet performatif. L’acteur du quotidien exerce une activité symbolique qui est de deux types. Soit l’expression26 est explicite, soit l’expression est indirecte27. En somme, l’acteur produit des

actions qui influencent la situation. Pour être performatif il dispose de plusieurs moyens. Il peut agir de manière calculée par le langage -qui est destiné à produire un type d’impression et de réponses cherchées28-, mais aussi de façon calculée en s’en rendant compte partiellement, ou

enfin en raison de traditions ou d’un statut qui réclame un type d’impression [Goffman,

25Goffman Erving, 1973, La mise en scène de la vie quotidienne, Paris, les Éditions de Minuit.

26Défini par Goffman en « symboles verbaux ou leur substituts, qu’une personne utilise conformément à l’usage

de la langue et uniquement pour transmettre l’information qu’elle-même et ses interlocuteurs sont censés attacher à ces symboles »[Goffman 1973: 12]

27Défini par Goffman en « large éventail d’actions que les interlocuteurs peuvent considérer comme des signes

symptomatiques lorsqu’il est probable que l’acteur a agi pour des raisons différentes de celles dont il a fait explicitement mention » [Goffman 1973 : 12]

28Nous reviendrons en détail sur la performativité du langage, analyse amenée par Austin dans la partie deux du

deuxième chapitre. Cf : Austin John Langshaw, Lane Gilles, et Récanati François, 1991, Quand dire, c’est faire, Paris, éd. du Seuil.

28 1973 : 15]. En définitive, la production d’impression n’est ni consciente ni inconsciente. On considère que l’action sur autrui est visible « pour autant que les autres agissent comme si l’acteur avait produit une impression déterminée, on peut adopter un point de vue fonctionnel ou pragmatique et dire que l’acteur a « effectivement » projeté une définition donnée de la situation et a « effectivement » contribué à conférer à un état des choses donné une certaine signification » [Goffman, 1973 : 16]. L’impression envoyée contient en elle-même des informations pour qu’autrui qui est récepteur, puisse ajuster sa réponse et agir à son tour sur la situation d’interaction.

L’analyse de Goffman induit le fait que la parole est performative mais pas seulement. Judith Butler approfondit le sujet de l’action performative des corps en se basant sur l’analyse de Foucault au sujet des corps des prisonniers29. Elle nous rappelle que l’analyse de Foucault

montre que le pouvoir influence et façonne le corps des prisonniers par sa technologie et son économie. Cette forme coercitive qui agit sur les corps n’est cependant pas le seul versant de l’analyse. Elle effectue une relecture de la théorie de Foucault au regard de celui du genre : « Il faudrait bien plutôt comprendre que la réalité sexuelle scindée entre un pôle mâle et un pôle femelle résulte elle-même d’une construction qu’elle appellera performative » [Ambroise, 2003 : 100]. Judith Butler propose de concevoir la catégorie de sexe comme étant une construction sociale qui délimite et classifie celui-ci d’une manière arbitraire. C’est le rôle social qui performe le sexe, le corps s’adaptant aux normes prétendument attachées à ce dernier. Autrement dit le corps performe un idéal de la masculinité ou de la féminité, il joue le genre. « Each individual from an early age learns to perform gender-specific vocal inflection, facial display, gestures, walks, and erotic behaviour as well as how to select, modify, and use scents, body shapes and adornments, clothing, and all other gender markings of a given society » [Schechner, 2006 : 151].

La question de l’action performative amène celle de la fonction de la performance. Qu’est-ce qu’elle accomplit ? Schechner avoue qu’il est difficile d’accorder une fonction précise à la performance. Il revient sur les points de vue de différents auteurs, qui lui amènent une utilité philosophico-psychologique. Tantôt émotionnelle avec le sage indien Bharata30, tantôt éducatif

selon Horace et Bretch, l’auteur distingue tout de même sept fonctions de la performance. « To entertain, to make something that is beautiful, to mark or change identity, to make or foster

29Foucault Michel, 1993, Surveiller et punir : naissance de la prison, Paris, Gallimard.

30« Who felt that performance was a very comprehensive repository of knowledge and a very powerful vehicle for

29 identity, to heal, to teach/persuade/or convince, to deal with the sacred and/or the demonic » [Schechner, 2006 : 46]. Ces fonctions rejoignent les larges catégories qu’embrasse la définition de la performance de l’auteur. Elles sont non hiérarchiques et non exclusives, des fonctions peuvent se cumuler et se compléter. On voit bien dans cette classification que la performance est indissociable du faire. Que la performativité de l’action ne soit ni consciente ni inconsciente, pour reprendre la formule de Goffman, elle agit toujours ou alors rate sa cible - et dans ce cas n’existe plus.