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Chapitre 3 : Produire une anthropologie du théâtre social et des migrations : entre

3.1 Le théâtre social

3.1.2 Le théâtre de l’Opprimé

Le théâtre de l’Opprimé est une méthode créée par Augusto Boal, qui vise à produire un théâtre politique. Pour Boal, le théâtre est par nature politique car c’est une activité de l’homme, qu’il conçoit comme une arme de libération. Au départ, le théâtre était une pratique festive du peuple. L’aristocratie l’aurait transformée en deux groupes, séparant le peuple en spectateurs passifs, et en comédiens sur scène. Ce théâtre se base sur la recherche de « la poétique de l’opprimé » qu’il définit comme « la conquête des moyens de production théâtrale » [Boal, 1996 : 8]. J’ai fait le choix de développer particulièrement le Théâtre de l’Opprimé dans ce mémoire car il a pour objectif de mettre en action le spectateur de théâtre, mais surtout de sortir la personne spectatrice de son quotidien, en lui donnant des instruments pour se libérer de son oppression. Grâce aux techniques multiples du Théâtre de l’Opprimé, que nous développerons plus amplement dans la partie suivante, Boal déploie la notion de « communication esthétique ». Cette dernière est rendue possible par un théâtre qui est outil, langage et arme [Boal, 1997 : 15]. Cette démarche me semble intéressante à calquer sur la notion de performativité migrante, dans la mesure où le Théâtre de l’Opprimé souhaite engendrer l’action via le théâtre, afin de transformer le social.

Augusto Boal nait au Brésil en 1931. Il mène dans son pays d’origine des pièces de théâtre classiques et contestataires jusqu’en 1971. Puis il est contraint à l’exil à la suite des deux coups d’États de 1964 et 1968, car son théâtre est considéré par le régime comme subversif. Il raconte dès la préface de son premier ouvrage58 :

« En 1971, j’ai dû quitter mon pays. A l’étranger, n’ayant plus cet « espace physique » qu’est un théâtre, j’ai dû jouer chez mes spectateurs (syndicats, écoles) et, souvent, dans la rue. Mais, j’ai aussi perdu « ma » troupe et sans la médiation des acteurs, j’ai dû me

58Préface à l’édition de 1996 : B

67 confronter directement avec les spectateurs, en travaillant « avec », « sur » et « pour » eux » [Boal, 1996 : 1].

Cette situation d’inconfort et d’instabilité est le point de départ de la systématisation du Théâtre de l’Opprimé. Boal inscrit le travail qu’il accomplit avec ses groupes afin de pouvoir le reproduire et l’enseigner.

Avant de nous plonger dans la méthode, nous allons faire un détour par les principes du TO. Premièrement, le théâtre est politique car il est une action de l’homme. Le débat sur le lien entre théâtre et politique existait déjà à l’époque Antique. Aristote sépare la poétique de la politique qui sont pour lui deux systèmes autonomes qui dépendent de lois spécifiques, et qui ont des propos et des objectifs propre59. La poétique d’Aristote incarne l’oppression pour Boal, car elle

donne une vision du monde parfaite ou perfectible. Elle rend le peuple spectateur de sa vie en lui inculquant des images présentées comme vraies et réelles, à l’instar de la télévision et du cinéma. Pour Boal, le théâtre est un entraînement pour la vie réelle, il est la répétition de la révolution. Autrement dit, la fiction est un moyen de se préparer à agir dans la réalité. En cela Boal s’écarte du système tragique d’Aristote qui présente l’efficacité du théâtre dans son versant cathartique60. Dans le Théâtre de l’Opprimé, le spectateur ne délègue pas de pouvoir au

personnage, afin qu’il agisse pour lui sur sa conscience. Le spectateur opprimé devient protagoniste de l’action dramatique et donc de sa vie [Boal, 1996 : 4].

Cependant, le passage de spectateur à acteur est un processus fastidieux. Le Théâtre de l’Opprimé a pour autre principe de permettre cette transformation. Le premier défi du praticien est de changer la perception que les participants peuvent avoir du théâtre. S’adressant à un public dit « populaire », le Théâtre de l’Opprimé doit rompre avec la conception galvaudée du théâtre aristocratique que les participants peuvent avoir. Ou bien, si le théâtre leur est inconnu, il doit avant tout leur apprendre les principes de bases. « C’est pourquoi il ne faut pas commencer par quelque chose qui leur est étranger (les techniques théâtrales qu’on enseigne ou qu’on impose), mais par le corps même des personnes qui se proposent de participer à l’expérience » [Boal, 1996 : 20]. En effet, la maitrise de la production théâtrale commence par la maîtrise de son corps. Pour cela, le Théâtre de l’Opprimé apprend aux personnes à le connaître afin de le désaliéner. Par des exercices, les « spect-acteurs » doivent prendre conscience des réelles potentialités de leur corps. Par la suite, ils pourront apprendre à le rendre

59 Les écrits sur la poétique d’Aristote sont datés de 335 avant JC.

68 expressif, afin de se détacher de la parole. Le théâtre devient langage, il permet de communiquer et d’agir. Après ses étapes, la représentation du Théâtre de l’Opprimé doit être un moment de production d’un discours du groupe sur lui-même. Grâce à l’abolition de l’opposition comédien/spectateur, chacun peut intervenir au cours de la représentation afin de participer activement à la réflexion en jeu. Mais par quelles techniques cela est rendu possible ?

3.1.3 La pratique du Théâtre de l’Opprimé : quelques méthodes théâtrales pour transformer