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Plan de thèse

CHAPITRE 2 Etat de l’art Etat de l’art

2 Le contexte tropical humide

2.3 Un suivi hydrométéorologique limité et limitant

Malgré les enjeux socio-économiques majeurs et grandissants liés à la maîtrise des risques hydrologiques et plus généralement à la gestion intégrée de la ressource en eau, peu d’installations pérennes de suivi hydrométéorologique (stations météorologiques, stations hydrométriques, radar, suivi piézométrique) et d’observatoires environnementaux sont recensés en milieu tropical comparativement aux milieux tempérés. La Figure 2.4 présente la quantité des rapports des stations synoptiques à l’échelle mondiale. Cette figure met en avant des densités spatiales plus faibles pour les zones tropicales ainsi que des rapports synoptiques moins fréquents voire inexistants. En milieu intertropical, on peut cependant citer le Service National d’Observation (SNO) AMMA-CATCH (Galle et al., 2018), partie prenante de l’infrastructure de recherche OZCAR. AMMA-CATCH vise à documenter sur le long terme les évolutions climatiques, hydrologiques et écologiques en Afrique de l’Ouest. Il s’appuie sur trois sites densément instrumentés de superficies de 10 000 à 25 000 km². Le suivi du couvert végétal et des différents termes du bilan d’eau permet de mieux comprendre les relations entre le fonctionnement hydrologique, la dynamique de la végétation et la variabilité du climat aux différentes échelles temporelles. Le SNO AMMA-CATCH présente un des observatoires environnementaux parmi les plus aboutis d’Afrique, les données recueillies depuis les années 1980 ont permis d’expliquer quelques caractéristiques majeures des changements hydro-climatiques observés en Afrique de l’Ouest, comme l’intensification des précipitation (Panthou et al., 2012) ou la recharge des aquifères en contexte de déficit pluviométrique, phénomène appelé « paradoxe Sahélien » (Gal et al., 2017; Leduc et al., 2001).

Figure 2.4. Etat des rapports des stations synoptiques à l’échelle mondiale pour la 1ère moitié du mois d’octobre 2008. (WMO (2009) cité par van de Giesen et al., 2014).

Pour les régions tempérées ou les régions tropicales, le nombre de stations hydrométéorologiques a connu un pic dans les années 1980, suivi d’un abandon massif des stations (Paturel et al., 2010). La Figure 2.5a présente l’évolution du nombre de stations pluviométriques pour les régions tropicales et tempérées entre 1850 et 2012 pour la base de données Global Historical Climatology Network, et la Figure 2.5b présente l’évolution du nombre de stations pluviométriques et hydrométriques intégrées dans la base de données SIEREM9 sur la période 1900-2015 à l’échelle de l’Afrique.

Figure 2.5. a) Evolution du nombre de stations pluviométriques pour les régions tropicales et régions tempérées

entre 1850 et 2012 archivées dans la base de données Global Historical Climatology Network (adaptée de Wohl et al., 2012). b) Evolution du nombre de stations pluviométriques et hydrométriques disponibles dans la base la base de données SIEREM (à l’échelle de l’Afrique).

La compréhension des processus est donc limitée en zone tropicale humide et nécessite d’être complétée par des approches de modélisation (Cornelissen et al., 2013; Gabiri et al., 2019; Wagner et al., 2013). L’hydrologie en milieu tropical reste moins bien comprise qu’en milieu tempéré, du fait des ressources importantes qui y ont été, et sont toujours octroyées (Blöschl et al., 2019; Hughes et al., 2015). Il est estimé que pour cause de méconnaissances du fonctionnement hydro-climatique, 73 % des aménagements liés à l’eau serait surdimensionné, entraînant des surcoûts pour les régions bénéficiaires (Vörösmarty et al., 2001).

La majorité des stations suivies sur le long terme sont des stations à relevés journaliers et sont donc inadaptées aux modélisations évènementielles sur des bassins de méso-échelles. Ces éléments rendent difficile la compréhension des processus impliqués dans les phénomènes de crue. Le matériel de relevé automatique déployé est parfois mal adapté aux conditions climatiques des zones tropicales, entrainant des dysfonctionnements réguliers des instruments de mesure (sensibilité à l’humidité et aux chaleurs extrêmes, détérioration par l’intrusion d’insectes) et des lacunes importantes dans les jeux de données dues à des problèmes techniques. Les coûts importants associés à l’achat, au déploiement, à l’entretien et au suivi des instruments de mesure est un des facteurs expliquant ces systèmes de suivis peu fournis. Au-delà de leur intérêt scientifique, l’intérêt économique des stations de suivi environnemental réside par exemple dans l’optimisation du dimensionnement des infrastructures liés à la gestion de l’eau ou encore dans la mise en place de systèmes d’alerte précoce efficaces pour limiter les dégâts liés aux inondations (Vörösmarty et al., 2001). Thiemig et al. (2012) ont collecté plus de 50 retours d’expérience d’instituts menant des initiatives visant le développement d’outils de prévision des crues et la mise en place de systèmes d’alerte précoce dans plusieurs pays africains. Les conclusions montrent qu’une majorité des initiatives font face à un manque de moyen financier et un manque d’expertise pour garantir des avancées notables sur ces thématiques aux enjeux majeurs.

Les bassins urbains et péri-urbains en zone tropicale sont donc souvent caractérisés comme des bassins peu, voire non jaugés d’un point de vue hydrométéorologique. L’Association Internationale des Sciences Hydrologiques (AISH) a incité la communauté des sciences hydrologiques à mettre en avant les travaux sur la détermination des signatures hydrologiques pour des bassins non jaugés au cours de la décennie PUB 2003 – 2012 (Blöschl, 2013).

2.4 Conclusion

La forte mutation urbaine en milieu tropical débutée dans les années 1960 et se poursuivant aujourd’hui est donc un défi majeur des prochaines décennies en terme de gestion durable de la ressource en eau. L’Association Internationale des Sciences Hydrologiques (AISH) a par ailleurs défini comme nouvelle thématique de recherche pour la décennie 2013-2022 la question du changement hydrologique et sociétal « Panta Rhei – Everything flow : Change in hydrology

and society ». Il s’agit d’améliorer les capacités de prévision de la dynamique des ressources en

eau en lien avec les systèmes anthropiques dans un environnement changeant rapidement (Montanari et al., 2013). L’amélioration des connaissances de ces hydro-systèmes tropicaux en pleine mutation est donc primordiale afin de guider au mieux les stratégies globales de gestion de la ressource en eau. Pour Baldassarre et al. (2010), il est urgent de favoriser une mise en place de systèmes d’alerte précoce efficaces qui permettraient de lutter contre les événements extrêmes de crues parfois dévastatrices.

Les lacunes dans les suivis environnementaux de ces régions tropicales limitent énormément la compréhension du fonctionnement hydrologique de ces régions pourtant soumis à des enjeux socio-économiques majeurs et à des mutations drastiques. Il est donc nécessaire d’exploiter de nouvelles approches dans l’acquisition de données afin de mieux comprendre ces hydro-systèmes et leur dynamique temporelle.