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La période courant du début du siècle à la fin des années 1920 est indéniablement une période de prospérité sur le marché des vins. D’un point de vue statistique, les maisons de commerce connaissent une expansion marquée, passant d’un total agrégé de 457 unités dans les trois grands centres expéditeurs du département à 499, tandis que certains centres secondaires voient leur armature commerciale progresser de plus de 50 % (Clermont-l’Hérault), voire doubler (Frontignan ou Pézenas).

Tab. 3 : Répartition des maisons de négoce en vins dans les grands centres d’expédition héraultais (1902-1929)

1902 1929 Évolution Béziers, Montpellier, Sète 457 499 9,1 % Frontignan 30 75 150 % Pézenas1 5 11 120 % Clermont-l’Hérault 11 17 54 %

Source : Annuaire de l’Hérault et Bottin du Commerce Si cet essor numérique cache des disparités et des nuances qu’il conviendra d’étudier, il est significatif d’une évolution positive pour la période. Il accompagne un accroissement de la productivité viticole dans le département qui enregistre des récoltes annuelles en hausse de près de 20 % pendant la période de notre étude, soit une croissance nettement supérieure à la croissance productive viticole nationale et semblable, en volume, à l’ensemble des trois grands autres départements producteurs de la région comme l’indique le tableau 2 ci-dessous. Cette production permet de répondre à une consommation toujours très élevée en France (tab. 4, page suivante) et qui s’accroit pendant cette période2.

1 Selon le Bottin du Commerce. Les chiffres établis dans l’Annuaire de l’Hérault pour Pézenas ne sont pas assez précis, notamment pour le début du siècle où négociants en vins et en alcool sont mélangés. Nous avons donc préféré ceux du Bottin qui paraissent plus crédibles.

2 En moyenne, les Français consomment 130 l de vin par personne et par an entre 1870 et 1913 et 162 l entre 1919 et 1939. Cf. NOURRISSON D., Alcoolisme et antialcoolisme en France sous la Troisième République :

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Tab. 4 : Production annuelle moyenne dans l’Hérault 1900-1930 (en M hl)

1900-1909 1910-1919 1920-1929 Évolution Hérault 10,6 10,7 12,7 19,8 % Aude 5,6 4,6 6,3 12,5 % Gard 3,3 2,6 4,1 24 % Pyrénées-Orient. 2,7 2,8 3,4 25 % France 56 43,4 59,8 6,8 % Consommation taxée 43,6 37,9 47,3 8,5 %

Source : LACHIVER M., Vins, vignes et vignerons, annexes. Département d’expédition des vins produits par les milliers d’exploitants locaux, l’Hérault est également une zone de transit pour des vins espagnols, italiens, grecs ou algériens qui s’intègrent aux circuits de commercialisation approvisionnant les bassins de consommation et les clients métropolitains. Cette production quasi-exclusive dans le département nécessite un réseau de distribution solidement organisé et qui assure l’interface entre l’offre et la demande, entre le viticulteur et le consommateur.

Néanmoins, en dépit de cette prospérité générale en cette époque florissante, la période est également secouée par des cycles de mévente, souvent brefs mais intenses, qui ébranlent l’économie viti-vinicole départementale : 1905-1907 bien sûr, mais également 1922 ou 1925 comme le signalent les rapports d’inspection de la BDF1. Mais ces crises sont rapidement suivies de cycles de prospérité qui donnent à la période sa coloration positive2 et permettent au négoce de s’affirmer dans les circuits commerciaux départementaux et extra-méridionaux.

Dès lors émergent une série de questions : qu’est-ce qu’être négociant au début du siècle ? Quelle est la place des maisons de commerce sur le marché des vins héraultais et quels réseaux mettent-ils en œuvre pour écouler la plus grande production métropolitaine ? Comment les négociants s’adaptent-ils et évoluent-ils dans la période face à l’instabilité du marché et la concurrence interne et externe grandissante ? Comment traversent-ils l’événement le plus marquant de la période, la Première Guerre mondiale ?

Nous nous orienterons donc dans cette section à l’étude du négoce durant cette période positive et à son nouveau visage à la suite de la crise phylloxérique et aux dérèglements qui l’ont accompagnée. Nous chercherons à déterminer comment le négoce héraultais traverse les différents cycles de prospérité ou de méventes et quelles attitudes les maisons de commerce adoptent pour s’adapter à cette altérabilité marquée qui symbolise le marché des vins.

Dans un premier temps, nous veillerons à esquisser le portrait du négoce héraultais dans ce premier tiers du XXe siècle dans toute sa diversité, depuis les grandes maisons urbaines à Sète, Montpellier ou Béziers, jusqu’aux petites maisons de commerce rurales dans

1 ABDF : Béziers, Montpellier, Sète, 1900-1930.

2 Cette période est perçue positivement à l’époque comme le soulignent les rapports de la BDF, mais également par la suite, notamment dans les années 1930 et 1950 où cette époque est mythifiée (cf. infra, p. 680-682).

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l’arrière-pays ou la plaine languedocienne. Nous n’oublierons pas d’en étudier l’hétérogénéité commerciale ou juridique, mais également l’évolution sur ces trente années.

Dans un second chapitre, nous étudierons la position pivotale du négoce héraultais, c'est-à-dire son rôle d’interface entre la production et la consommation. Pour ce faire, nous évaluerons les différentes logiques réticulaires qui structurent le marché des vins héraultais, tant dans le département qu’en dehors. En dressant une typologie de la clientèle et en analysant les logiques d’approvisionnement, nous essaierons de construire, dans une approche dynamique et évolutive, le tissu commercial dans lequel le négoce héraultais rayonne.

Le troisième point de cette section sera consacré pour sa part aux différentes stratégies mises en œuvre par les maisons de commerce pour assurer stabilité et efficacité sur un marché incertain et devenu ultra-concurrentiel. Il s’agira ici de montrer comment les négociants s’inscrivent dans des stratégies rigoureuses et modernes qui, à différentes échelles, transforment le visage de structures artisanales qui peu à peu deviennent de véritables entreprises.

Enfin, le dernier chapitre étudiera le négoce héraultais et l’expérience de la guerre entre 1914 et 1918. Dans une période de turbulences et de perturbations, il faudra s’interroger sur les tentatives d’adaptation d’un négoce soucieux de stabilité et de régularité. Nous montrerons comment certaines maisons héraultaises, en dépit des nouvelles exigences de l’État ou des interférences du ravitaillement, profitent de la situation pour réaliser des bénéfices substantiels.

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Alors que s’ouvre la grande période des crises de mévente, le négoce héraultais est dans une période transitoire, entre rupture et continuité. Tout d’abord, les structures mêmes des unités commerciales, les maisons de commerce, connaissent une évolution marquée. Tout en conservant certains particularismes qui ont fait leur spécificité dès la fin du XIXe siècle, elles doivent s’adapter aux mutations que connaît le marché des vins. Par la suite, le paysage commercial départemental lui-même se transforme lentement avec des différenciations sensibles entre les territoires urbains et ruraux. Cette une période charnière modèle alors le visage du Commerce héraultais pour plusieurs décennies.

Ainsi, dans ce premier chapitre, nous nous proposerons d’étudier la grande hétérogénéité des maisons de commerce languedocienne ainsi que leurs pratiques sur le marché des vins. Nous verrons ensuite comment le négoce occupe l’espace, tant en ville qu’à la campagne et comment cette occupation évolue au fil du temps et au gré des dynamiques du marché. Enfin, nous aborderons la multiplicité des structures commerciales avec l’étude des différentes raisons sociales et raisons juridiques des maisons de commerce. Ici aussi nous nous attacherons à marquer l’évolution de ces structures dans un contexte instable, alternant des phases de prospérité et de difficultés.