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Le négociant en vins, intermédiaire indispensable mais méconnu

Négoce et négociants entre ombre et lumière : un bilan historiographique

Bien qu’étant au cœur des logiques commerciales de la nouvelle viticulture producti-viste qui émerge avec la reconstitution post-phylloxérique dans le Midi1, le Commerce2 est un objet historique paradoxal.

En effet, il est un élément indispensable à la filière viti-vinicole régionale. Comme l’indique l’Annuaire de l’Hérault dans cette première moitié du XXe siècle, il est celui qui « fabrique3 les vins (…), mélangés entre eux, coupés selon l’art du négociant »4. C’est égale-ment grâce à lui que le départeégale-ment « exporte en grand les vins et quelques produits dérivés (eaux-de-vie, liqueurs, vermouths, etc.) »5.

Or, bien qu’étant un agent6 essentiel pour la filière viti-vinicole et l’économie langue-dociennes, le négoce est un acteur très rarement interrogé et interpellé par la recherche en sciences humaines et sociales. Ainsi, il est évoqué dans les nombreux travaux qui abordent la viticulture nationale ou régionale et qui rappellent son impact sur la filière7, mais il ne fait pas l’objet de travaux distinctifs pour lui-même. De fait, son étude est encore largement en friche, faisant de cet intermédiaire incontournable pendant la plus grande partie du siècle, un acteur inconnu.

Jusqu’au début des années 1970, l’étude du négoce méridional n’est jamais abordée par les historiens eux-mêmes. Elle est dans un premier temps le fruit des travaux de juristes, d’économistes et de géographes.

Du début du siècle aux années 1950, ce sont essentiellement des juristes qui s’intéressent à la question du négoce. Centrés sur les mécanismes en œuvre sur le marché des vins, ces travaux veillent à décrypter et à analyser les rapports de force qui construisent les relations commerciales sur le marché des vins ainsi que, dans une prospective étiologique, les principales causes des déséquilibres de ce dernier. Premier à évoquer l’instabilité du marché

1 Marcel Lachiver compare le Midi à une « usine à vin » dans sa grande synthèse sur l’histoire du vignoble fran-çais. Cf. LACHIVER M., op. cit., p. 462.

2 C’est là le nom que l’on donne communément au négoce dans la région. Pris sous la forme d’une entité, il s’écrit ainsi, avec une majuscule et concerne l’ensemble des maisons de commerce méridionales et leurs repré-sentants. Il en va de même avec les propriétaires que l’on appelle « la Propriété » ou « la Viticulture ». Nous reprenons ici cette graphie pour marquer la distinction entre l’entité « Commerce » et l’activité « commerce ».

3 Le terme n’est en rien péjoratif et il est d’ailleurs utilisé dans la présentation qui est faite par l’Annuaire de

l’Hérault en 1912.

4 Annuaire de l’Hérault, 1929, p. 37.

5 Ibid., p. 38.

6Dans la conception bourdieusienne du terme, c'est-à-dire avec une multitude de facettes. Cf. BOURDIEU P., « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 62-63, juin 1986, p. 70.

7 Citons G. Garrier (GARRIER G., Histoire sociale et culturelle du Vin, Paris, Larousse, 1995) ou M. Lachiver (LACHIVER M., op. cit.) qui tous deux évoquent, à l’échelon national, succinctement le rôle du négoce dans la filière viti-vinicole. G. Gavignaud-Fontaine dans son Languedoc viticole, la Méditerranée et l’Europe au siècle

dernier rappelle à quelques reprises la position délicate des négociants languedociens qui eux aussi souffrent lors

des périodes de crises (GAVIGNAUD-FONTAINE G., Le Languedoc viticole, la Méditerranée et l’Europe au siècle

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des vins et les mécanismes qui y concourent en 1907, Michel Augé-Laribé, présente l’un des marchés « des plus incertains et des moins organisés » du monde agricole, fragilisé par des « écarts les plus brusques, non seulement pour une période un peu longue, mais encore dans le cours d’une seule année »1. Évoquant le rôle « indispensable »2 des négociants en vins dans l’écoulement de la production, il insiste sur le rapport de force entre Production et Commerce, véritables « combats d’avant-garde que se livrent deux armées ennemies pour évaluer leurs forces »3. À la fin de ce premier épisode de mévente, Paul Degrully, lui aussi juriste, étudie le rôle des acteurs dans la « dépression des prix » ainsi que les solutions à y apporter4. Très cri-tique à l’égard de certaines pracri-tiques déflationnistes des négociants en gros dont « les intérêts sont le plus souvent opposés » à ceux de la Propriété5, il souligne leur rôle primordial dans l’écoulement de la production6.

Bien que plus proches des milieux du Commerce que ne l’étaient Augé-Laribé et De-grully, deux autres juristes viennent rejoindre leurs conclusions dans les années 1920. Jean-Louis Cazalet étudie le lien inaltérable entre le commerce des vins et le port sétois, lien qui « « harmonieusement […] constitua l’aliment essentiel de son mouvement maritime »7. Ici aussi, à l’aide de nombreux détails8, J.-L. Cazalet dépeint l’évolution du négoce sétois, cœur d’une activité commerciale où concurrence, rivalités et antagonismes jouent à plein dans la ville portuaire. Quelques années plus tard, Pierre Bergé soutient sa thèse de droit sur Le mar-ché des vins du Midi9. L’ouvrage de Bergé se distingue par l’intérêt qu’il porte aux stratégies commerciales sur le marché des vins, analysant les évolutions récentes du métier, mais éga-lement du mouvement syndical. Comme ses prédécesseurs, il constate l’instabilité des cours, conséquence des rapports de force établis sur le marché et des dérèglements (fraude, indivi-dualisme, surproduction) de ce dernier. Il faut enfin attendre les années 1950 pour qu’un der-nier juriste, Jacques Estadas, qui soutient une thèse de droit spécialité « Sciences écono-miques », présente une analyse de la vigne et du commerce des vins à travers les âges dans le Midi10. Résumant les réflexions de ses prédécesseurs, Estadas propose une approche évolutive où il observe les facteurs de développement et les spécificités du Commerce méridional.

Dans les années 1950-1960, deux géographes publient tour à tour deux contributions majeures à l’étude des négociants et des maisons de commerce méridionales. En 1958, Gaston

1 AUGÉ-LARIBÉ M., Le problème agraire du socialisme. La viticulture industrielle du Midi de la France, Paris, V. Giard et E. Brière, 1907, p. 188.

2 Ibid., p. 195.

3 Ibid., p. 189.

4 DEGRULLY P., Essai historique et économique sur la production et le marché des vins en France, Montpellier, Goulet et fils, 1910.

5 Ibid., p. 253.

6 P. Degrully développe longuement dans son ouvrage les avantages et les inconvénients de la vente directe par les propriétaires « la plus simple et la plus pratique » (Ibid., p. 255). Il fait également l’historique des mouve-ments coopératifs et associatifs dans le pays. (Ibid., p. 268-281).

7 CAZALET J.-L., Cette et son commerce des vins de 1666 à 1920, essai d’histoire économique, Montpellier, Fir-min et Montane, 1920, p. 398.

8 Des listes précises de négociants à certaines dates, les grandes maisons présentes au début du siècle, des chiffres précis sur les entrées et sorties des vins, etc.

9 BERGÉ P., Le marché des vins du Midi, Paris, PUF, 1927.

10 ESTADAS J., Évolution du marché vinicole et du commerce des vins depuis 1850, Thèse de droit, Montpellier, 1953.

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Galtier expose dans une synthèse résumant près de vingt années de recherche sur les carac-tères et caractéristiques de ce qu’il appelle « le vignoble de masse » méridional, cœur de l’économie et de la vie régionale1. Dans le chapitre X de son ouvrage, il développe l’étude de la commercialisation des vins languedociens au cours de l’histoire, ainsi que les différentes dynamiques (économiques et spatiales) qu’ils permettent de construire. Soucieux d’inscrire son propos dans une logique d’analyse systémique de grande ampleur, Galtier s’appuie sur de nombreux chiffres pour décrire l’organisation pratique du marché, l’implication de ses acteurs et l’évolution de l’écoulement de la production. Dans la décennie suivante, un autre géo-graphe, Raymond Dugrand, propose, dans une dimension économétrique, structuraliste et réticulaire, une nouvelle approche du marché des vins dans la région2. L’auteur, par sa volonté de mettre en évidence les différents espaces de polarisation des structures urbaines languedo-ciennes3, réinvestit le marché des vins languedociens selon une nouvelle grille de lecture. Dès lors, il aborde principalement les logiques de réseaux d’expédition (autochtones ou de transit) des vins languedociens puis les différents acteurs de la profession et leurs logiques commer-ciales. Dugrand se démarque de ses prédécesseurs en abordant également pour la première fois la dimension sociale des négociants languedociens4.

Il faut attendre 1973 pour qu’un historien s’intéresse pour la première fois au négoce languedocien. Rémy Pech, dans sa thèse, cherche à élaborer des logiques d’explication aux différentes crises de mévente qui frappent avec persistance la région pendant quelques décen-nies5. Le fondement capitaliste de la viticulture régionale se trouvant au cœur de son propos et de ses interprétations, il n’est donc pas surprenant de voir R. Pech décrypter et analyser le marché, cadre d’agissement de ce capitalisme viticole, et chercher à évaluer le positionnement des négociants sur ce dernier. L’auteur met en exergue la dualité d’une structure viticole asso-ciant une dimension artisanale et une dimension capitaliste. Par ailleurs, il ébauche les con-tours des liens existant entre le monde viticole et le monde politique. Enfin, il définit ce qu’il appelle « le verrou sélectif de la commercialisation »6, c'est-à-dire le rapport de force qui s’instaure sur le marché des vins. Ce sont là des considérations qui ont influencé notre ré-flexion et nous ont poussés à envisager leur transposition dans le monde commercial pour lequel le vide historiographique est manifeste.

En effet, bien que l’ensemble de ces ouvrages soit des témoignages de premier ordre sur le Commerce, ils suscitent de nombreux questionnements : qui sont ces négociants ? Comment expliquer certaines stratégies commerciales ? Les réussites ? Les échecs ? Quelles sont leurs sphères d’influence et leurs rayons d’action ? Quelle est leur place dans la société méridionale ? Dans ces études souvent synthétiques et nomothétiques, le marché des vins est

1 GALTIER G., Le vignoble du Languedoc méditerranéen et du Roussillon : étude comparative d’un vignoble de

masse, 2 vol., Montpellier, Causse, Graille et Castelnau, 1958.

2 DUGRAND R., Villes et Campagnes en Bas-Languedoc, Paris, PUF, 1963.

3 Ce que l’auteur appelle « l’organisation de la vie de relation ».

4 L’auteur, d’inspiration marxiste, évoque une « classe bourgeoise », p. 168 et p. 175.

5 PECH R.,Entreprise viticole et capitalisme en Languedoc-Roussillon du phylloxera aux crises de mévente,

Tou-louse, Publications de Toulouse-Le Mirail, 1975.

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interprété comme un ensemble holistique d’où les singularités sont parfois difficiles à perce-voir. Ce sont ces singularités – humaines et entrepreneuriales – que nous avons ici interrogées.

Le négoce face aux pesanteurs des représentations

La nature même du négoce en tant qu’objet historique justifie en grande partie que ce dernier soit resté – partiellement à l’échelon régional et totalement au niveau national – un « angle mort historiographique »1. Les facteurs explicatifs de cette désaffection sont majoritai-rement liés aux représentations négatives qui singularisent le négoce.

En premier lieu, la nature même d’intermédiaire justifie vraisemblablement le peu d’intérêt porté au négoce et aux négociants. En effet, ceux-ci, par le biais de leurs syndicats ou les institutions dans lesquels ils sont représentés comme les Chambres de commerce ou les Tribunaux de commerce, sont des acteurs de premier plan des corps intermédiaires régionaux. Or ces derniers n’ont été que peu ou pas du tout interrogés et interprétés par la recherche his-torique. Claire Lemercier et Alain Chatriot, dans un article fondateur au début des années 2000, soulignent cette souffrance historiographique d’un élément pourtant incontournable de l’économie française2. Selon eux, plusieurs raisons majeures ont « stérilisé la recherche histo-rique dans ce domaine »3. La principale est l’incompatibilité de la notion de corporatisme avec la République, en raison de l’attachement idéologique du terme « corporation » à l’Ancien Régime ou à la France de Vichy. Pour les auteurs, paradoxalement, la République française se serait ainsi construite en opposition à ces corps intermédiaires à qui elle ne recon-naissait aucune légitimité, tout en s’appuyant sur eux au besoin, car ils sont producteurs d’expertises. Les auteurs soulignent également les tensions, rivalités et conflits qui existent au sein des différents corps intermédiaires qui expliqueraient à la fois leur mise à l’écart histo-riographique et leur déficit d’image, dans une société autogérée pour et par le bien commun. De son côté, Clotilde Druelle-Korn dans son chapitre introductif aux Corps intermédiaires économiques, entre l’État et le marché signale les nombreuses dérives « monopolistiques » régulièrement « dénoncées »4 qui peuvent pousser les historiens à se montrer distants de pro-fessions et de corps intermédiaires dont les contours sont mal définis. Le versement et l’ouverture des archives consulaires ainsi que certaines études pionnières5 ont récemment in-versé ce courant.

1 L’expression est ici empruntée à André Loez. Cf. LOEZ A., « Autour d'un angle mort historiographique : la composition sociale de l'armée française en 1914-1918 », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 3/2008 (n° 91), p. 32-41.

2 CHATRIOT A. et LEMERCIER C., « Les corps intermédiaires » in DUCLERT V. et PROCHASSON C., Dictionnaire

critique de la République, Paris, Flammarion, 2002, p. 691-698. 3 Ibid., p. 691.

4 DRUELLE-KORN C., « Les corps intermédiaires économiques : mise en perspective historique d’une actualité » in DRUELLE-KORN C. (dir.), Les corps intermédiaires économiques entre l’État et le marché, Actes du Colloque tenu à Limoges en octobre 2008, Limoges, PULIM, 2012, p. 6. Il est intéressant de noter que dans cet ouvrage qui aborde de nombreux exemples de professions et de corps intermédiaires, ni les négociants en vins, ni le Midi de la France ne sont spécifiquement étudiés.

5 Notamment les travaux de Claire Lemercier et de Philippe Lacombrade. Cf. LEMERCIER C., La Chambre de

commerce de Paris, 1803-1852. Un « corps consultatif » entre représentation et information économiques, Thèse

de 3ème cycle sous la direction de G. Postel-Vinay, EHESS, 2001 et LACOMBRADE P., La Chambre de commerce,

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Par ailleurs, en France, depuis la loi le Chapelier qui interdit « d’inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation »1, les intermédiaires sont perçus comme des agents économiques nuisibles, qui, par un goût pronon-cé pour le profit et la spéculation, sont des facteurs déstabilisants des marchés. On est là dans le prolongement des procès pour « négociantisme » de la période révolutionnaire : sous la Terreur, des commerçants sont accusés de privilégier des intérêts privés aux intérêts publics et sont poursuivis par la justice dans un contexte de crise où l’enrichissement peut être perçu comme une provocation2. Cette représentation d’un négociant profiteur associée à une hostili-té des plus vives face à la bourgeoisie commerciale ancre dans la mémoire collective nationale le rejet d’une fraction des acteurs du marché. En période de crise, le rejet des intermédiaires est dès lors le premier réflexe protectionniste sur les marchés agricoles nationaux. Par consé-quent, souffrant de ce déficit d’image, les négociants en vins ont pendant très longtemps peu attiré l’intérêt de la production historienne.

De plus, d’un point de vue institutionnel, les intermédiaires, lorsqu’ils se regroupent, sont souvent perçus comme des « groupes de pression sectoriels »3 veillant uniquement à la défense de leurs propres intérêts. Si une forme de corporatisme est tacitement acceptée avec la multiplication des Chambres de commerce et l’abrogation partielle de la loi Le Chapelier dans les années 1860, il n’en reste pas moins que les décisions prises aux origines de la Répu-blique française construisent la mémoire collective nationale et « pèse sur le destin ultérieur des corps intermédiaires »4, bien que ces derniers trouvent un périmètre d’exercice étendu par la loi du 21 mars 1884 sur les syndicats professionnels patronaux et ouvriers et la loi du 1er

juillet 1901 sur les associations. Cette inflexion dans une politique jusque-là intransigeante vis-à-vis des corps intermédiaires – sur la base d’un « individualisme moderne » liant inextri-cablement et exclusivement les électeurs à leurs représentants5 – se justifie alors par la néces-sité d’avoir recours à des experts afin de gouverner avec plus de justesse et d’efficacité. Pour-tant, alors que les relations entre un État jacobin et des corps intermédiaires fournisseurs d’informations, semblent s’apaiser dans le premier XXe siècle, la période vichyste reconstruit à nouveau l’image d’intermédiaires agioteurs qu’il faut encadrer par des lois corporatistes, « donnant mauvaise presse »6 aux corps intermédiaires. L’accroissement de cette image néga-tive explique que dans les années 1950, dans l’opinion publique, le négociant soit perçu comme un acteur nuisible, un profiteur agioteur, sensible à ses seuls intérêts. Il est devenu, sur les marchés agricoles en général et sur le marché des vins en particulier, l’ennemi numéro un. Cela fait dire au Moniteur vinicole en 1952 : « On mange aujourd’hui de l’intermédiaire comme on bouffait du curé il y a quelques années. »7

1 Exposé des motifs de la proposition de décret sur les sociétés populaires, Assemblée nationale constituante, 29 septembre 1791.

2 AUDRAN K., « L’accusation d’émigration des négociants malouins : une justification abusive de la politique terroriste à Saint-Malo », Annales historiques de la Révolution française, 345, 2006, 31-53.

3 CHATRIOT A. et LEMERCIER C., op. cit., p. 693.

4 Idem.

5 Ibid., p. 697.

6 DRUELLE-KORN C., op. cit., p. 6.

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Cette double logique finit de dépeindre l’image d’un intermédiaire auquel, la re-cherche historique ne s’intéresse que très peu1, tant dans sa dimension sociale qu’institutionnelle. En définitive, l’historiographie française ne se penche que sur le « grand commerce » du XVIIIe siècle2, délaissant le commerçant des XIXe et XXe siècles, devenu un « homme moyen »3, parfois rejeté, le plus souvent anonyme et dont l’étude ne comporte que trop peu d’intérêt. Lorsque le marché est abordé, les hommes, les mentalités, les stratégies sont évacués pour préférer l’analyse des structures productives et des grands courants com-merciaux dans une approche répondant au paradigme labroussien que seul viendra rompre le « tournant critique »4 des Annales, en partie sous l’influence de la micro-historia italienne. Il est ainsi logique que dans le Midi, les négociants aient été pendant longtemps oubliés par la recherche historique et qu’ils aient constitué un champ inexploré de la production historienne. Significativement, lorsqu’on étudie les moyens d’écoulement de la plus grande production viticole nationale, la recherche se tourne plus facilement vers les caves coopératives qui béné-ficient d’un double avantage. Elles jouissent tout d’abord d’une image particulièrement posi-tive dans l’esprit collectif (lutte contre les inégalités commerciales, partage des moyens de production, démocratisation des prises de décision). Et surtout, de par leurs origines, elles sont mieux connues grâce à une abondante recherche historique sur la production et le monde viti-cole languedocien5. Ainsi, dans les grands ouvrages de synthétisation de l’histoire du vi-gnoble, les caves coopératives sont toujours étudiées, au contraire du négoce6.

À l’aune de cette analyse d’ensemble et de cette « histoire oubliée »7, ainsi que des écrits parfois virulents sur le négoce languedocien tout au long de la période8, notre étude vise à questionner le positionnement réel du négoce méridional dans la filière viti-vinicole régio-nale, ceci à la fois en tant qu’acteur commercial et en tant que groupement institutionnel. Au

1 C. Druelle-Korn dans son article introductif aux Actes du colloque tenu à Limoges en octobre 2008 sur le thème des « Corps intermédiaires économiques, entre l’État et le marché » conclut sur la « discrétion » du thème mais également sur la mauvaise évaluation qui entoure les corps intermédiaires économiques et les acteurs qui les composent, dont les « évolutions récentes sont mal connues » alors que « la question de leur contours reste à préciser ». Elle reprend à ce sujet le concept de « notion floue », développé par Loïc Blondiaux dans Le nouvel

esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, Paris, Le Seuil, 2008. (DRUELLE-KORN C., op.

cit., p. 25).

2 PÉTRÉ-GRENOUILLEAU O., « Pour une histoire du négoce international français au XIXe siècle : Problèmes,