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CHAPITRE 5 – LES COURS ITALIENNES, DES FOYERS DE CIVILISATION : SUBSISTANCE ET DÉGRADATION DES

5.1. Un groupe élitaire soumis au système des dépenses

Malgré les résistances, une grande partie de l’aristocratie contemporaine à G. Gorani a perdu sa relative indépendance politique et économique et se trouve contrainte d’être au service des princes Italiens. Afin de mieux se l’attacher, ces derniers ont fait de leurs cours des centres de civilité et de sociabilité.

a. Une noblesse attachée aux cours souveraines et princières

Dans de nombreux États, la noblesse est présente de manière presque permanente à la cour, lieu où elle occupe des charges et obtient des récompenses. Dans le grand-duché de Toscane par exemple, les Maisons nobles les plus riches quittent le négoce, abandonnent les manufactures, et préfèrent la chevalerie à des richesses acquises et perpétuées par le travail. La noblesse se rend à la cour, devient dépendante du Prince régnant et de sa famille et marque son asservissement par un besoin constant de représentation.1 Tout comme dans le royaume de France, elle est soumise à une pression sociale qui la pousse à devoir affirmer son rang à la vue de tous par des dépenses somptuaires2. En effet, la société du XVIIIe siècle demeure une société où prédomine le devoir de consommation en fonction du statut social, ce qui peut conduire à une surenchère des dépenses et déboucher sur un endettement parfois spectaculaire.

Il faut savoir que la noblesse italienne, malgré l’immensité des domaines qu’elle possède, a du mal à vivre.3 Cette couche n’est en réalité pas unifiée mais se révèle composite4 car elle distingue, tout en haut, une noblesse riche et puissante, comme c’est le cas à

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Norbert JONARD, op. cit, p. 103 2

Norbert ELIAS, La société de cour, 1985, p.47-63 3

Jacques GODECHOT, op. cit, p. 26 4

Plaisance.1 Elle donne le ton à la vie de société de la capitale ou de la cité où elle demeure : à Florence par exemple vit le marquis Riccardi auquel la rumeur publique associe, selon Montesquieu, plus de deux mille livres de rentes tandis que les Renucini, les Corsini et les Corci disposent de « 20000 écus ou 100.000 francs de notre monnaie ». Le marquis de Sade (1740-1814), quant à lui, affirme que la Maison florentine « la plus riche et la plus considérable est celle des Salviati. On assure qu’elle jouit de 20000 sequins de revenus par an ». Giuseppe Gorani établit également la liste des maisons les plus prestigieuses dans les États qu’il visite. Il nous montre ainsi que la République de Lucques « renferme des familles opulentes » et annonce les revenus de chacune d’elle. La Maison Buonavicini possède par exemple « vingt mille écus de revenu, celle de Santini en a dix mille […] les Guinigi ont six mille écus de revenu, ce qui est considérable dans un pays où l’on vit avec une économie vraiment républicaine. »2 Toutefois, il déclare qu’il y a des familles moins riches comme par exemple les Lucchesini, qu’il cite. En effet, il faut savoir que dans tous les États italiens, une autre partie de la noblesse est pauvre car elle n’a pas accès aux charges lucratives détenues par l’oligarchie. Ainsi par exemple, à Sienne « la noblesse y est nombreuse et point riche »3, à Livourne la noblesse se fait rare, et si des maisons anciennes telles que les « Villichini, les Sproni, les Pagani, les Berlichieri et les Alessandri »4 existent, elles sont toutefois plus pauvres que de nombreux marchands.5 D’autres familles finissent par se ruiner dans la course aux dépenses : « On a souvent vu de grands personnages dévaster leurs domaines, les morceler, en vendre ou en engager une partie, soit pour acquitter leurs dettes, soit pour fournir à leurs plaisirs […] »6 Ainsi, pour montrer leur puissance et leur appartenance à un groupe social particulier, les nobles qui se le permettent n’hésitent pas à montrer par des signes extérieurs ostentatoires leur richesse.

b. Un art de vivre soumis aux critiques des hommes de lettres

A la fin du XVIIIe siècle, la noblesse italienne continue de mener un art de vivre qui se veut propre à son rang mais qui suscite les critiques des hommes de lettres qui s’élèvent contre le luxe outrancier. La noblesse vit dans le faste, matérialisation sensible de sa richesse, et partant, de son pouvoir. Il s’agit donc pour cette société de se montrer comme sur une scène

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Giuseppe GORANI, op. cit. vol.3, p. 302 2

Giuseppe GORANI, ibid. p. 14-16 3

Giuseppe GORANI, ibid. p. 7 4

Giuseppe GORANI, ibid. p. 118 5

Giuseppe GORANI, ibid. p. 118 6

de théâtre.1 Cette représentation continuelle est la plupart du temps affichée par la parure qui doit être somptueuse en permanence comme le montre G. Gorani pour Rome : « Quant à la parure, il ne faut pas plus de magnificence à Rome dans ses habits que dans les autres capitales, lorsqu’on veut y fréquenter le corps diplomatique et ce qu’on appelle la bonne société. »2 Tenir une Maison est également essentiel pour les seigneurs et leur coûte énormément. Il en est ainsi par exemple à Rome pour le cardinal Albani dont les dépenses énormes et répétées le mènent à la ruine ; G. Gorani constate que « quoiqu’il fût riche, l’entretien de sa maison, les dépenses de fantaisies absorboient ses revenus ; il se trouvoit parfois dans une pénurie qui l’inquiétoit. »3 Les aristocrates entretiennent également de somptueux équipages, comme c’est le cas à Naples où le Président de Brosses, cité par Norbert Jonard (dans L’Italie des Lumières : Histoire, société et culture du XVIIIème siècle italien, 1996) constate par « l’abondance et le fracas perpétuel des équipages » et « le train et l’air magnifique qu’ont les grands seigneurs ».4 Le marquis de Sade confirme également la nécessité de ce règne de l’apparence où l’être tend à se confondre avec le paraître :

« Le luxe d’un napolitain consiste à avoir de beaux chevaux, beaucoup de valets en habits brodés de mauvais gout, mais il ne s’étend pas au-delà de l’extérieur. Les promenades de la Strada Nuova étaient promptement aux yeux d’un étranger tout le luxe de la nation. On a vu toute l’aisance et la magnificence du pays quand on s’y est promené deux ou trois fois. C’est à cette vaine apparence que se borne tout le désir du noble, naturellement sale et malpropre »

Ainsi, d’après le marquis de Sade, le noble n’existe en réalité que dans le miroir que constitue le regard des autres.5 La question de la représentation s’illustre également à travers les réceptions données et la table qu’il faut tenir. Ainsi par exemple, G. Gorani décrit le procédé de réception pour être admis dans une maison à Rome : « Avant de parvenir au sallon de compagnie, l’on passe par plusieurs anti-chambres remplies de domestiques dont les fonctions, l’habillement et le titre diffèrent les uns des autres. »6 Jérôme de Lalande le confirme et résume ainsi le train de vie menée par la noblesse :

« La magnificence de ces grandes Maisons consiste principalement à avoir de vastes Palais, beaucoup de pages, de coureurs, de laquais, de chevaux, de carrosses, des tableaux précieux et de belles statues antiques et modernes. Ce n’est ni dans la bonne chère, ni dans le luxe

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Norbert JONARD, op. cit, p. 108 2

Giuseppe GORANI, op. cit. vol.2, p. 21 3

Giuseppe GORANI, ibid, p. 177 4

Norbert JONARD, op. cit. p. 98 5

Norbert JONARD, ibid, p. 108 6

des habits que leur somptuosité se déploie. On ne donne à manger que rarement et en de grandes occasions. »1

Le témoignage du Président de Brosses, que Franco Valsecchi rapporte (dans L’Italia nel Seicento e nel Settecento, 1967) nous renseigne justement sur la question de la table et fait l’éloge de la qualité et de l’abondance de celle des grands seigneurs Napolitains.2 Toutefois, si les grandes occasions sont associées à de fastueux banquets, le reste du temps ceux-ci sont plutôt rares, ce que le Président de Brosses critique. En effet, les nobles italiens n’invitent presque jamais à diner, comme le constate G. Gorani qui affirme que « Milan est la seule ville de l’Italie où l’on tienne table ouverte, et où l’on vive à-peu-près comme à Paris. »3 Maurice Levesque le confirme à Rome : « Leur table ne répond pas à tout cet attirail ; elle est si peu somptueuse, qu’ils n’y invitent presque jamais personne, à moins qu’ils ne donnent par hazard quelque repas d’appareil ; car alors ils se surpassent eux-mêmes […] d’où l’on peut conclure que l’ostentation est la règle et le mobile de toutes leurs dépenses. »4 Cependant, il faut savoir qu’à la fin de l’Ancien régime, cet art de vivre semble être menacé. Dans cette société des Lumières dans laquelle toutes les énergies sont mobilisées pour travailler au bonheur de la nation, les critiques osent désormais se faire contre l’oisiveté et les dépenses outrancières de la noblesse5.

Toutefois, les dépenses outrancières se maintiennent dans la majorité des États italiens car elles sont avant tout indispensables afin de pouvoir être à la hauteur dans les cours, lieux où la question de l’étiquette est encore essentielle.

5.2. Les cours italiennes, des lieux où règnent l’étiquette et le cérémonial ?