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CHAPITRE 4 – UN RÉPUBLICAIN À LA DÉCOUVERTE DES MAISONS PRINCIÈRES

4.2. Poids de la Maison du prince dans la politique menée

Dans Les mémoires secrets et critiques des cours, des gouvernements et des mœurs des principaux États de l’Italie, Giuseppe Gorani s’emploie à démontrer que la Maison d’un Prince joue un rôle essentiel dans les choix politiques entrepris par celui-ci.

a. Le poids de la famille royale dans les affaires d’État

Dans toute cour, le Prince vit avec son entourage qu’il domine et commande. Cet entourage est avant tout formé par la famille royale qui rassemble dans une hiérarchie des

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Giuseppe GORANI, op. cit. vol.3, p. 360 2

Giuseppe GORANI, ibid, p. 360 3

Norbert JONARD, op. cit. p.98-101 4

Giuseppe GORANI, op. cit. vol.3, p. 360 5

Dino CARPANETTO, op. cit. p. 119 6

Jean BOUTIER, Florence et la Toscane, XIVe-XIXe siècles, Les dynamiques d’un État italien, 2004, p. 283 7

Voir annexe 5, Répartition de la noblesse en Toscane 8

rangs l’épouse, l’héritier du trône ainsi que les autres enfants du souverain, comme l’illustre un portrait idyllique de la famille royale napolitaine, peint par Angelica Kauffmann.1 G. Gorani s’intéresse ainsi avant tout aux épouses des souverains qu’il rencontre et qui d’après lui ont une influence prépondérante dans les choix gouvernementaux des souverains. Ainsi par exemple, il établit le portrait de la reine de Naples, Marie-Caroline (1752-1814), archiduchesse d’Autriche, fille de l’impératrice Marie-Thérèse et sœur de Joseph II, a été élevée à Vienne dans une ambiance qui se voulait « éclairée ». G. Gorani s’intéresse avant tout à son caractère et brosse le portrait très noir d’une reine vindicative, « qui a les passions fortes, les mêmes vices, les mêmes inclinations que sa sœur Antoinette de France, et que ses autres sœurs qui se ressemblent plus ou moins. »2 En effet, René Bouvier (dans La Vie napolitaine au XVIIIe siècle : prélude au voyage à Naples, 1956) explique que la reine, autoritaire et ambitieuse, se montre convaincue de sa supériorité sur son époux et se persuade d’être le véritable souverain de Naples.3 En effet, la cour devient un centre politique surtout grâce à son initiative.4 G. Gorani décrit la relation entretenue par les deux souverains comme orageuse. Ses observations lui font déclarer que la reine est au courant de toutes les affaires de son époux car profitant de sa faiblesse, elle sait en « obtenir tout ce qu’elle veut. »5 Ainsi, la reine joue un rôle de premier plan dans les affaires du royaume. G. Gorani déclare que c’est elle qui tient véritablement les rênes du pouvoir et qu’elle gouverne en fait par l’intermédiaire de son époux.6 Or G. Gorani critique de façon virulente sa conduite : « Il faut détromper ceux « qui croient que la reine possède de grands talents pour gouverner. Elle est entièrement livrée à ses passions et l’esclave des personnes qui favorisent ses penchans. Quoiqu’elle affecte un esprit philosophique, elle est, dans le fond de l’âme, superstitieuse […] »7 En effet, délaissée par son époux, elle fait tout pour imposer ses favoris qui sont aussi ses amants.8 De plus, désireuse de rapprocher le royaume de l’Empire des Habsbourg, elle ne veut plus que Ferdinand obéisse à son père, Bourbon de Madrid.9 G. Gorani le confirme par ces paroles :

« Plus hardie que sa sœur, ou plus favorisée par les circonstances, Marie-Caroline, foulant aux pieds tout respect humain, étouffant dans son cœur la voix de la nature, conçut, dès son avènement au trône de Naples, l’infernal projet d’agrandir la puissance de la maison

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Voir annexe 4, Ferdinand IV et sa famille, Angelica Kauffmann 2

Giuseppe GORANI, op. cit. vol.1, p. 31 3

René BOUVIER et André LAFFARGUE, op. cit, p. 222 4

Dino CARPANETTO, op. cit. p. 264 5

Giuseppe GORANI, op. cit. vol.1, p. 28 6

Giuseppe GORANI, ibid. p. 33 7

Giuseppe GORANI, ibid. p. 157 8

François BLUCHE, op. cit. p. 218 9

d’Autriche aux dépens de son propre sang » et encore : « elle a imaginé de faire en sorte que le royaume de Naples rentre sous la domination de l’Autriche […] ».

On peut citer également le cas du duché de Parme et de Plaisance, auquel G. Gorani s’intéresse. La duchesse Marie-Amélie (1746-1804), épouse depuis 1769 de Ferdinand Ier, sœur de Marie-Caroline de Naples et de Marie-Antoinette de France, est elle aussi décrite de manière très négative. L’auteur la juge indigne du rang qu’elle occupe en raison de son renom de Messaline1, se montrant ouverte à la luxure, avide hommes et possédant de nombreux amants de basse extraction : « Officiers, gardes, valets, tout lui est bon, pourvu qu’ils soient taillés en Hercule […] »2 De plus, elle est capricieuse et cruelle envers sa Maison comme le montre l’auteur lorsqu’il dit que « ses dames et ses femmes sont tourmentées, caressées, insultées tour à tour par elle ; elle les force d’entendre des récits qu’elle seule est capable de faire, ou leur tient les propos les plus durs ».3 Elle se montre également brutale et violente comme par exemple lorsqu’elle « sort de son palais, et parcourt les rues de Parme ou celles de Plaisance […] un fouet à la main, frappant sur tous ceux qu’elle rencontre. »4 Sa conduite la voue au mépris général. Cependant, celle-ci ne s’intéresse point aux affaires du duché, qu’elle laisse aux soins de son époux.

G. Gorani s’intéresse également aux enfants royaux. Dans le royaume de Naples par exemple, il brosse un portrait bien sombre des trois héritiers mâles. Il les décrit comme « faibles de complexion, froissés par les souffrances […] sujets à des terreurs » et languissant « dans un abattement continuel. »5 Cette faiblesse est due à la peur transmise par leur mère Marie-Caroline, qui, haïssant ses fils, leur inflige sans cesse de multiples corrections et supplices : « Le prince royal avoit été maltraité si souvent qu’il frissonnoit à la voix de sa mère. »6 D’après G. Gorani, cette mauvaise éducation va influencer les princes dans leur futur gouvernement, qui en pâtira.7 Cependant, G. Gorani s’étonne et montre que les princesses royales font au contraire l’objet de la plus grande tendresse de la part de la reine qui se montre « affectueuse » et « leur prodigua les soins les plus soutenus, et s’occupa de leur éducation comme l’auroit pu faire la mère et l’épouse la plus attachée à ses devoirs. »8

1

René BOUVIER et André LAFFARGUE, op. cit, p. 223 2

Giuseppe GORANI, op. cit, vol. 3, p. 306 3

Giuseppe GORANI, ibid. p. 307 4

Giuseppe GORANI, ibid. p. 307 5

Giuseppe GORANI, op. cit. vol.1, p. 263 6

Giuseppe GORANI, ibid. p. 263 7

Giuseppe GORANI, ibid. p. 264 8

G. Gorani étudie aussi la place tenue par les bâtards royaux et s’étonne de la diversité des situations rencontrées. Il donne l’exemple du marquis Scandiano, fils naturel du duc de Hercule de Modène, âgé de 26 ans, pour lequel le duc éprouve beaucoup de tendresse et auquel il s’emploie à attacher les honneurs dus au fils d’un souverain. Même s’il ne l’a pas légitimé,1 le duc invite les visiteurs à lui rendre les honneurs qu’il mérite. Toutefois, la négligence de l’éducation de ce prince fait qu’il se complait dans l’oisiveté et ne cherche pas à influencer le pouvoir en sa faveur. En effet, G. Gorani le critique en affirmant « qu’il est parvenu à n’être rien pour lui-même ni pour les autres ; et ne sera jamais considéré que comme le bâtard d’un souverain qui n’a pas su réparer par des qualités et des vertus acquises le défaut de sa naissance. »2

b. Les courtisans et la cour : une simple parade ou un rôle politique existant ?

Giuseppe Gorani étudie également le poids des courtisans dans les affaires du royaume. Il s’intéresse aux princes du sang qui constituent un rang supérieur et séparé des personnes titrées (pairs, ducs et princes étrangers). Dans le royaume des Deux-Siciles par exemple, la noblesse a, pour la majorité, quitté ses châteaux pour venir s’installer à la cour, se transformant en une noblesse urbaine et courtisane.3 Elle est désormais réduite à mener une vie parasitaire, lointaine de toute occupation productive, car l’ancienne répugnance féodale envers toute forme d’activité industrielle et commerciale survit. Un anonyme décrit ainsi les aristocrates : « Presque tous dédiés à l’oisiveté, peu érudits, très ambitieux et aimant le faste extérieur ». Ou encore « Pesants, jaloux, hyperboliques dans les compliments pour les hommes, très soutenues pour les dames. » 4 De même, à Rome, le poids des familles aristocratiques, baronniales ou issues du patriciat urbain est important car elles ont la plupart du temps des rapports de parentèle avec la hiérarchie ecclésiastique, ce qui leur apporte prestige et influence.5 Cependant, seuls les membres du clergé peuvent avoir un rôle politique à jouer, comme l’affirme Maurice Levesque pour qui ils « conservent seuls l’administration à l’exclusion des laïques qu’ils ont le plus grand soin d’en écarter : l’égoïsme et la mollesse de leur profession leur fait redouter toute concurrence avec des hommes plus actifs et plus intéressés qu’eux au bien être de la société. »6 Ainsi, les cardinaux sont, hiérarchiquement, les

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Giuseppe GORANI, ibid. p. 253 2

Giuseppe GORANI, ibid. p. 254 3

Norbert JONARD, op. cit. p. 59 4

Franco VALSECCHI, op. cit. p. 197 : « Quasi tutti dediti all’ozio poco eruditi, di molto ambiziosi, et amanti del fasto esteriore ». « pesanti, gelosi, iperbolici nei complimenti gli uomini, molto sostenute le dame »

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Jean BOUTIER, op. cit, p. 177 6

premiers membres de la cour, comme l’explique Jérôme de Lalande (1732-1807) homme de lettres Français et auteur d’un Voyage d’un Français en Italie fait dans les années 1765 et 1766 publié en 1769 :

« Les Cardinaux sont les personnes les plus éminentes de la Cour de Rome, le Conseil ordinaire du Pape, les dépositaires et les ministres de son autorité. Non seulement ils choisissent le Souverain ; mais ils le choisissent toujours dans leur corps ; ce qui leur donne à tous une espérance et un droit qui les élèves au-desssus de tout ce qui n’est pas Cardinal. »1

Dans certains États, la question de la puissance nobiliaire dans les différentes cours se traduit par le niveau de sa fortune. Ainsi par exemple, G. Gorani explique que dans la République de Sienne, la noblesse est nombreuse mais ne joue pas un rôle clé dans le gouvernement de Toscane, ni même à la cour du duc Pierre-Léopold car elle est peu riche. L’auteur établit la liste des familles les plus opulentes et dignes de distinction par la naissance et les richesses : « les Bianchi, les Lueri, les Bandi Bandini, les Sansidoni, les Piccolomini et les Lucchesini. » A Livourne, la noblesse ne se distingue pas vraiment du reste de la population car elle n’a pas beaucoup d’argent comme le montre G. Gorani quand il dit : « Quoique l’on ait dit qu’il n’y a point de nobles à Livourne, je puis citer plusieurs maisons anciennes […] Mais il est vrai que leurs richesses ne peuvent être comparées à celles de négocians dont l’opulence augmente en proportion de l’extension de leur commerce. »2

c. L’influence du service domestique

Dans les États de type monarchique ou seigneurial, tout prince règne également sur une Maison, c’est à dire sur un service domestique qui est chargé d’assurer sa vie quotidienne. Ce service est dirigé par les grands dignitaires de la cour et qui sont les chefs d’offices. Certains officiers ont des fonctions qui se réduisent au service domestique du souverain. On peut citer quelques départements parmi lesquels figure la bouche, où officient le grand échanson et le grand panetier. De même pour la chambre, dirigée par le grand chambrier. Cependant, les cours italiennes ne se réduisent pas à la seule noblesse, elles ne se confondent pas avec elle. De petits emplois sont exercés par les gens du commun, chargés de l’entretien. L’abbé Richard (1720-1795) par exemple, auteur d’une Description historique et critique de l’Italie, ou Nouveaux Mémoires… paru en 1762, s’emploie à décrire la Maison du roi des Deux-Siciles :

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Jérôme de LALALANDE, Voyage d’un Français en Italie fait dans les années 1765 et 1766, t. V, 1769, p. 12 2

« La maison du Roi est composée d’un grand maître, d’un grand écuyer, d’un premier gentilhomme, d’un capitaine des gardes du corps, d’un capitaine des hallebardiers de la garde, d’un grand veneur, d’un premier écuyer, d’un grand chapelain et d’un précepteur qui est en même confesseur. Le prince de Saint-Nicandre, grand maître de la maison du Roi, est en même temps son gouverneur. Il y a un grand nombre de gentilshommes ordinaires en exercice, ou ayant droit d’entrée dans la chambre, qui sont de la première noblesse du royaume. Le royaume de Naples avait autrefois plusieurs grands officiers qui partageoient en quelque sorte entr’eux l’autorité souveraine, chacun dans l’exercice de leurs charges. Les titres subsistent encore, mais sans fonction et sans autorité. Le grand connétable, ce titre est héréditaire dans la branche aînée de la maison Colonne ; le grand justicier ; le grand chambellan ; le grand amiral ; le grand protonotaire ; le grand chancelier, et le grand sénéchal. Ces titres sont conférés par le Roi aux principaux seigneurs de ses États ; mais ils n’ont ni rang ni juridiction. »1

Ainsi, l’influence du service domestique se révèle plus ou moins importante selon les États et traduit l’effacement ou la reprise en main de la société par les monarques et les princes.