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III. L’immunosuppression chez le greffé rénal

III.3. Un effet secondaire de l’immunosuppression: La surimmunosuppression

Jusqu’à récemment, le rejet aigu de l’allogreffon était un enjeu majeur en transplantation rénale. Le régime basé sur la triple immunosuppression et l’arrivée de nouveaux agents d’induction ont permis de diminuer considérablement le risque de rejet à court terme, mais pas la perte de l’allogreffon à long terme 125,126. La conséquence de l’amélioration des thérapies immunosuppressives est une plus forte sensibilité des patients transplantés aux infections opportunistes 127. Depuis plusieurs années, le nombre de patients hospitalisés pour un rejet diminue, alors qu’en revanche, le nombre de patients transplantés recevant des soins pour des infections ne cesse d’augmenter (Figure 9).

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Figure 9 : Pourcentage des patients transplantés pour un rein hospitalisés pour un rejet (ligne pleine) ou une infection (ligne pointillée) par année de transplantation entre 1987 et 2000. A. Hospitalisations survenant entre 1 et 6-mois post-greffe. B. Hospitalisations survenant entre 6 et 24-mois post-greffe. Reproduit avec permission à partir de Dharnidharka et al., 2004. Copyright American Society of Transplant Surgeons. 127

Définir la surimmunosuppression reste aujourd’hui encore complexe. Ce terme suppose l’existence d’une fenêtre thérapeutique dans laquelle le patient serait exempt d’évènement clinique 128. En cas de sous- immunosuppression, le patient serait plus à même de développer un rejet et en cas de surimmunosuppression, de contracter une maladie opportuniste ou un cancer. Mais un patient développant un rejet lors d’une infection devrait-il être considéré surimmunosupprimé ou sous-immunosupprimé? On peut penser que le système immunitaire peut être suffisamment atténuer pour permettre la progression de certaines maladies, mais rester suffisamment actif pour permettre le rejet, notamment si le patient est sensibilisé aux antigènes du donneur.

III.3.2. Manifestations cliniques de la surimmunosuppression

La surimmunosuppression est souvent associée à l’apparition de maladies opportunistes telles que la néphropathie au BK virus, le cytomégalovirus, l’Epstein-Barr virus, les infections fongiques et les cancers 128, ce qui diminue considérablement l’espérance de vie des patients 129. Aussi, bien que la transplantation rénale reste un meilleur traitement que la dialyse, les receveurs d’une greffe ont un risque de mortalité 4 fois supérieure à celui de la population générale 130. Le décès avec une greffe fonctionnelle (DWFG, death

with a functionning graft) est l’une des causes principales de perte de l’allogreffon en transplantation rénale. La DWFG compte pour 10% à 40% des pertes de greffe de rein 131-133. Les maladies cardiovasculaires et les infections/cancers représentent les principales causes de DWFG, avec 42% et 44% des cas respectivement 134. Récemment, il a été rapporté que 54% des cas de DWFG serait dus à une infection 129. Étant donné le caractère opportuniste des infections, la diversité de leur nature est importante : virale, bactérienne, fongiques, parasitaires et les cancers.

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III.3.2.1. Les catégories d’infections

Les infections observées chez le receveur sont classées selon leur origine en 4 catégories qui se recoupent 135 :

- Les infections liées au donneur : elles comprennent les maladies qui sont transmises au receveur par le transplant. Une infection courante est celle au cytomégalovirus (CMV) et au virus Epstein- Barr (EBV). Ces infections interviennent dans le cas où le receveur n’a jamais été en contact avec ces virus et que le donneur l’a été.

- Les infections liées au receveur : les pathogènes qui dérivent du receveur devraient être sous une forme latente au moment de la transplantation. Cependant le régime immunosuppresseur délivré au receveur facilite leur résurgence. C’est le cas notamment pour certains virus comme le virus Epstein-Barr (EBV) ou le virus varicella-zoster.

- Les infections communautaires : elles comprennent les infections qui sont bénignes le plus souvent chez des sujets sains, mais qui peuvent conduire à des infections graves chez des patients transplantés. Elles englobent notamment les infections bactériennes, fungiques et certaines des infections précédemment mentionnées.

- Les infections nosocomiales : La dialyse est un traitement de l’IRT qui favorise la transmission d’infections bactériennes et parfois mener à des résistances aux antibiotiques. La contraction de ces infections ne résulte pas de la surimmunosuppression du patient. Un exemple de maladie nosocomiale est l’infection à la bactérie Clostridium difficile ou à Staphylococcus aureus. Lors d’une phase active, ces infections constituent une contre-indication relative à la transplantation 18.

III.3.2.2. Chronologie des infections

Après une greffe de rein, la probabilité d’observer une maladie spécifique varie dans le temps 96. Le profil chronologique des infections reste sensiblement identique d’un patient à un autre. Trois phases infectieuses sont distinguées : la phase nosocomiale, la phase d’activation des infections latentes et la phase des infections communautaires.

Une des raisons qui explique ce schéma chronologique constant est le fait le traitement immunosuppresseur est relativement standardisé entre les patients. Ainsi, les infections nosocomiales peuvent être présentes avant la transplantation, ou survenir dans les jours suivant la procédure. Les premiers signes cliniques de certaines infections virales liées au donneur tel que le CMV mettent souvent plusieurs semaines/mois à apparaitre.

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III.3.2.3. Quelques exemples d’infections fréquentes liées à la

surimmunosuppression

Parmi les infections les plus courantes, les infections virales aux virus BK (BKV) et Epstein-Barr (EBV) font l’objet d’une attention particulière en greffe rénale.

III.3.2.3.1. Infection au BKV

Le BKV appartient à la famille des polyomaviridae. Son génome codent des protéines de la capside virale, VP1, VP2 et VP3, des protéines régulatrices, petit T (ST, Small T) et grand T et l’agnoprotéine 136.

La séroprévalence à BKV dans la population adulte est supérieure à 90% 136. L’infection primaire à BKV est le plus souvent asymptomatique. Lors de cette infection, le BKV s’établit dans l’épithélium urinaire où il entrera en phase latente 137. Chez les greffés rénaux, une réactivation du virus est observée dans 1% à 10% des patients et entraine la néphropathie associée au BKV (NABKV) dans 50% des cas 138.

La NABKV était une maladie pratiquement inexistante en transplantation rénale jusqu’au milieu des années 90 139. Au cours des deux dernières décennies, son incidence a augmenté à 10% des greffés rénaux 140. Il est rapidement apparu que la cause principale de l’apparition soudaine de cette maladie est liée à l’introduction du MMF et du tacrolimus dans la médication des transplantés dans les années 90 141,142. La réplication incontrôlée du BKV est un symptôme typique de la surimmunosuppression, du fait de la quasi-absence de cette maladie dans le reste de la population non-immunocompromise.

Le profil de la réactivation du BKV survient chronologiquement dans trois compartiments : dans les urines, dans le sang et dans l’allogreffon 143. La présence du virus BK est déterminée en PCR quantitative lors de virurie et de virémie, dont les seuils sont de 107 copies/ml et 104 copies/ml respectivement pour la positivité. Le NABKV doit être confirmé sur biopsie et montrer une distribution multifocale du virus, caractérisée par des inclusions virales dans les noyaux des cellules épithéliales 144.

Lors d’une virémie persistante ou d’une NABKV, le traitement immunosuppresseur est diminué, ce qui s’accompagne souvent d’un arrêt temporaire du MMF 145,146. Des antiviraux, (i.e. cidofovir) ou un immunosuppresseur aux propriétés antivirales (i.e. leflunomide) accompagnent généralement la réduction d’immunosuppresseur. D’autres agents comme l’IVIg peuvent aussi être utilisés. Après la réduction de l’immunosuppression en cas de virémie au BKV, un rejet aigu est observé chez jusqu’à 25% des greffés 146.

III.3.2.3.2. Infection au EBV

L’EBV infecte deux tissus : les LB et l’épithélium pharyngé squameux 147. L’infection des LB par EBV abouti à une infection latente et à l’immortalisation cellulaire. Le profil d’expression génique du virus est

25 régulé différentiellement entre ces deux phases. D’une centaine de gènes exprimés pendant la phase lytique, seuls une dizaine subsistent lors de la phase de latence, dont les protéines nucléaires EBNA1, 2, 3A, 3B, 3C et EBNA-LP et deux protéines d’enveloppe LMP1 et LMP2 148 . De cette façon, le virus limite la présentation d’antigène au système immunitaire et évite ainsi le risque d’être éliminé de l’organisme.

Il est estimé que plus de 90% de la population adulte mondiale est infecté à l’EBV 149. L’infection est le plus souvent bénigne et peut être accompagnée de symptôme à l’âge adulte, c’est la mononucléose. La réplication du virus est sous le contrôle permanent du système immunitaire 149.

Les patients greffés sont plus susceptibles de développer des maladies liées à EBV, dont le syndrome lymphoprolifératif post-greffe (PTLD, posttransplant lymphoproliferative disease), un cancer du tissu lymphoïde provoqué par l’expansion clonale de LB immortalisés par EBV. Le PTLD représente un risque majeur chez les greffés, en particulier, ceux qui font une primo-infection post greffe 150-152. En effet, moins de 1% des greffés qui ont fait une primo-infection à EBV pré greffe développe une maladie liée à EBV post greffe, contre 20% des transplantés qui font leur primo-infection post greffe. Le génome de EBV est retrouvé dans plus de 90% des PTLD survenant rapidement après une transplantation 153. La proportion de PTLD EBV-négatifs augmente significativement au cours du temps post greffe. Ils représentent environ 20% des PTLD tardifs. Indépendamment du statut de séroconversion du receveur, des études ont montré que EBV peut provenir du donneur ou du receveur, mais que les LB néoplasiques sont issues du receveur 154.

Le réel impact des immunosuppresseurs sur le risque de survenue des PTLD est encore matière à controverse, tant leur nature que la quantité susceptible de favoriser l’apparition de la maladie 155,156. Toutefois, il est largement accepté que l’ATG, un agent lymphodéplétant, est associé avec un risque de PTLD accru 157.

Afin de limiter les risques de PTLD, les greffés séronégatifs à EBV sont suivis sur l’évolution de leur statut immunitaire contre le virus. En absence de séroconversion post greffe, la charge virale des patients est suivie de près pour éviter l’apparition d’un PTLD 153.

III.3.2.3.3. Les cancers

Les cancers sont des évènements liés à l’immunosuppression néfaste pour les patients 158. A cause des traitements immunosuppresseurs, les greffés présentent un risque accrus de cancer.

Ce ne sont pas tous les cancers qui présentent une prévalence augmentée par rapport à la population générale 159. Le cancer le plus fréquent en transplantation d’organe solide est le cancer de la peau non-

26 mélanotique, qui serait de toute évidence favorisé par des expositions prolongées au soleil 158. De nombreux cancers associés à des infections virales surviennent plus fréquemment chez les patients transplantés (Figure 10). Comme il a été décrit précédemment, les PTLD sont souvent liés à EBV et peuvent conduire à des lymphomes Hodgkiniens et non-Hodgkinien. D’autres formes de cancer liés à une infection sont surreprésentés les transplantés rénaux, tels que le cancer du col de l’utérus (virus papillome) ou le sarcome de Kaposi (virus herpès humain 8). Les cancers du sein et de la prostate qui sont parmi les plus fréquents dans la population générale, n’augmentent pas chez les greffés rénaux. En revanche, le risque de cancer du rein est augmenté chez les greffés rénaux.

Figure 10 : Ratio d'incidence standardisé chez les greffés rénaux par rapport à la population générale pour différents cancers reliés ou non à un virus. . Reproduit avec permission à partir de Vajdic et al., 2009. Copyright International journal of cancer. 158

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