• Aucun résultat trouvé

Le projet initial sur lequel nous souhaitions faire porter notre recherche consistait en une ethnographie du travail d’inspection. Le mémoire de master 2 que nous avions consacré en 2013 à la construction du rôle de directeur de musée nous avait amenée à prendre connaissance de plusieurs rapports de l’inspection générale des Affaires culturelles (IGAC) et à faire l’hypothèse du rôle des inspecteurs dans la diffusion de normes et de pratiques

1 Michel Offerlé et Henry Rousso (eds.), La fabrique interdisciplinaire : histoire et science politique, Rennes, Presses

Universitaire de Rennes, 2008, p. 16.

2 Brunier, Sylvain (Sciences Po); Célérier, Laure (HEC Paris), « Pannel S20 - Les contrôleur-e-s de l’administration publique et

gestionnaires depuis l’administration centrale vers les divers opérateurs culturels1. Nous avons

adressé une demande de rendez-vous à la cheffe du service de l’IGAC, à l’été 2013. Demande qui, quelques mois plus tard, s’est vu opposer un refus dans les termes suivants :

« J’ai le regret de vous faire connaître que, malgré tout l’intérêt que constitue le projet de thèse de Mme Demonteil, il n’est malheureusement par possible à l’inspection générale de l’accueillir dans ses locaux en raison, d’une part, de l’absence de bureau qu’elle pourrait mettre à sa disposition, d’autre part, d’un programme de travail chargé qui ne lui permet pas de porter à Mme Demonteil toute l’attention et la disponibilité que requerraient ses travaux.

Naturellement, si Mme Demonteil était amenée à mener sa thèse, l’inspection générale des Affaires culturelles s’efforcerait, dans toute la mesure du possible, de lui apporter son aide ».

Lettre de la cheffe du service de l’IGAC à la directrice de l’IRISSO, 21.08.2013.

La crainte de voir le travail de l’IGAC exposé à des regards extérieurs a motivé ce refus, comme on le comprendra plus tard à partir des difficultés répétées posées par chacune de nos demandes d’accès à des rapports d’inspection, à des entretiens ou à des documentations diverses. Le fait que notre prise de contact initiale soit intervenue à peine un an après les élections présidentielles de 2012 aura probablement pesé dans ce refus, la cheffe de service souhaitant semble-t-il éviter tout risque d’exposer son service face à un cabinet fraîchement nommé et dont elle ne partage pas l’orientation politique. Notre insistance nous permettra finalement d’obtenir un rendez-vous avec un représentant du service en décembre 2013. Ce représentant s’avérera un personnage important dans l’accès au terrain. Par souci de respect de l’anonymat, nous l’appellerons ici Monsieur K. C’est donc d’abord dans l’attente d’un rendez-vous, qui mettra près de six mois à venir, et face à la quasi-absence d’informations publiques sur le travail des inspecteurs de l’IGAC que nous avons entrepris d’identifier les ressources disponibles aux Archives nationales concernant ce service.

Notre premier contact avec la fonction d’inspection de la Culture s’est donc fait à distance, par l’identification d’un ensemble de versements d’archives conservés à Pierrefitte- sur-Seine. Mais l’identification des fonds ne représente qu’une première étape, qui conduit bien vite à comprendre que les articles sont en grande majorité soumis à dérogation. Face à

1 « L’avocat de l’extérieur ». Contradictions et régulation de l’institution muséale à travers le rôle de son directeur, [Mémoire

l’archive, et comme tout chercheur, nous étions tributaire « à la fois de son existence, de son accessibilité, de son classement, autant de variables qui constituent autant de verrous conditionnant sa disponibilité pour l’investigation »1. L’intervention de deux acteurs essentiels

à l’accès au terrain intervient en 2014. Il s’agit des équipes du Comité d’histoire du ministère de la Culture et de Monsieur K, l’IGAC désigné par la cheffe de service pour répondre à nos premières questions en décembre 2013 et qui s’avérera un relais précieux et constant tout au long des trois années qu’a duré notre enquête de terrain. Ces acteurs ont été les leviers sine qua non de l’obtention de nombreuses dérogations, car ils ont associé leurs efforts pour soutenir chacune de nos demandes de communication auprès de la cheffe de service d’inspection, juge en dernier ressort de l’attribution des autorisations de consultation2.

Au terme de notre enquête de terrain, nous avons consulté 157 articles (cartons DIMAB, soit 52 mètres linéaires) issus de 27 versements différents3. Les les plus anciens couvrent les

années 1950, les plus récents s’arrêtent à l’année 2013. Ensemble, ces articles balayent tant les questions d’organisation de service que les négociations statutaires. Une attention particulière a été portée aux dossiers de travail de l’un des quatre services d’inspection (l’IGAC) car il est l’un des seuls à les avoir versés tout au long de la période étudiée.

La dialectique entre le carton et l’objet a contribué à la construction de notre recherche. Suivant le sociologue états-unien Michael Lynch, nous voyons dans l’archive le résultat d’un « passage institutionnel du privé au public » : « ce passage peut être le lieu d’une bataille, résultant occasionnellement en un avortement, une coupure, un mauvais acheminement de l’archive naissante. En conséquence, nous pouvons apprécier que les archives sont tout autant le produit de luttes historiques qu’elles sont des sources primaires pour écrire l’histoire »4.

Aussi, si notre attention s’est portée sur les négociations statutaires, très présentes dans ces

1 Liora Israël, « L’usage des archives en sociologie » dans Serge Paugam (ed.), L’enquête sociologique, Paris, Presses

Universitaires de France, 2010, p. 167‑185.

2 Aux Archives nationales, la procédure pour obtenir l’accès à un article bloqué se déroule de la manière suivante : le chercheur

remplit un formulaire de demande de dérogation dans lequel il justifie sa requête et annonce les usages qu’il prévoit de ces sources. Les Archives nationales transmettent ce formulaire au service producteur de l’article d’archive concerné. Si cette administration ne signifie pas son accord aux Archives nationales dans les deux mois, la demande de dérogation est considérée comme rejetée.

3 La présentation détaillée de ces versements et la liste des articles sont restituées en annexe.

4 Michael Lynch, « Archives in formation: privileged spaces, popular archives and paper trails », History of the Human Sciences,

archives, nous avons également maintenu une vigilance constante aux manques, aux absences, aux déceptions, que nous avons constitués comme autant de révélateurs de ce qui importe aux inspecteurs, autrement dit de ce qu’ils considèrent être constitutif de leur fonction et représentatif de leur action.

B. Mise en série et quantification pour un travail à double distance