• Aucun résultat trouvé

La force de l’institué : l’inspection générale naturalisée

B « Deux inspecteurs ne font pas une inspection » 1 : formulation d’un

Section 3. La victoire des généralistes de l’inspection (2000)

B. La force de l’institué : l’inspection générale naturalisée

La représentation généraliste du contrôle portée par les inspecteurs de l’IGAC est déterminée par des principes de vision et de division dominants dans ce groupe. Les énarques y dominent quantitativement depuis les années 1990. Ils portent avec eux une identité de gardiens de l’État c’est-à-dire, comme l’a montré Jean-Michel Eymeri, qu’ils se pensent avant tout comme remplis d’une mission de préservation de la continuité de l’institution administrative et de son unité1. Selon cette image, ils constituent donc une unité spécifique au

sein de l’administration en général, et de l’administration culturelle en particulier. C’est cette conception qui nourrit le mécanisme de naturalisation de la catégorie inspection générale construite dans les termes développés précédemment. Nous revenons sur ce processus de naturalisation en montrant comment, au niveau de l’administration de l’État, les administrateurs civils ont entrepris dès les années 1980 d’établir « scientifiquement » l’existence d’une catégorie d’inspection par nature différente des autres : les inspections générales (a). L’IGAC reprend à son compte cette catégorie et affirme, au niveau du ministère, sa singularité en se plaçant en haut une hiérarchie symbolique des inspections de la rue de Valois (b).

a) Une catégorie « scientifiquement » prouvée

Les IGAC s’appuient donc dans les années 2000 sur un travail de naturalisation de la catégorie inspection générale mené par les administrateurs civils d’autres ministères dans les années 1980. À l’époque, l’administration de l’État est constituée en objet d’expertise2. À

l’intérieur de ce mouvement, des travaux à la frontière entre recherche académique et production administrative constituent les inspections en objet d’étude. Ensemble, ils contribuent à établir et légitimer une typologie des services d’inspection de l’administration centrale, tout en naturalisant une hiérarchie allant des inspections techniques aux inspections générales.

1 Jean-Michel Eymeri-Douzans, La fabrique des énarques, Paris, Economica, 2001, 261 p.

À Paris I, Pierre Milloz, énarque, inspecteur de l’Industrie, consacre une thèse de droit public aux inspections générales, sous la direction de François Goguel1. Il en tirera un article

dans la revue administrative2 ainsi qu’un ouvrage paru chez Economica3. Jacques Ménier,

administrateur civil au ministère des Finances et futur conseiller maître la Cour des comptes, coordonne pour sa part une étude consacrée à ces mêmes inspections, au sein de l’Institut des sciences humaines appliquées (Paris IV). Il en tire un rapport en 19844, suivi d’un ouvrage en

19885. Toujours au début des années 1980, la journée d’études « le contrôle de l’administration

par elle-même » est organisée par l’Institut français des Sciences administratives de l'université de Lille II. Structurée en trois parties thématiques (les inspections et le contrôle dans l’administration centrale, les inspections déconcentrées et enfin une étude de cas), elle réunit les interventions de Gérard Marcou, Maître-assistant à l’université de Lille II (droit public), et celles de professionnels : un inspecteur principal du Trésor, un adjoint au chef de service de la direction départementale des Postes, un directeur régional des Affaires sanitaires et sociales, ainsi qu’un inspecteur général de l’Administration. Il donnera lieu à une publication6.

Ces travaux entreprennent tous, de manières similaires, un travail de classification. Partant du constat de l’extrême hétérogénéité des services d’inspection, ils convergent vers la définition d’un ensemble de critères à partir desquels établir des catégories de services et isoler des inspections générales vis-à-vis des inspections techniques. Les définitions qu’ils donnent des inspections générales sont comparables, bien qu’elles se distinguent sur quelques critères, comme le montrent les deux exemples qui suivent :

Les inspections générales sont celles qui répondent à deux critères : « avoir une compétence “générale” et relever d’un Ministre » ; « par convention, on admettra qu’est générale une inspection dont la compétence s’étend au moins à l’ensemble des services extérieurs du ministère. »7

1 Pierre Milloz, Les Inspections générales ministérielles dans l’administration française, Thèse de doctorat en Droit public,

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Paris, France, 1982, 1105 p.

2 Pierre Milloz, « Les inspections générales ministérielles », La Revue administrative, 1982, no 209, p. 477‑486. 3 P. Milloz, Les inspections générales ministérielles dans l’administration française, op. cit.

4 Jacques Ménier, Les inspections générales dans le système administratif français, Paris, Institut des Sciences Humaines

Appliquées, 1984.

5 J. Ménier, Les inspections générales, op. cit.

6 G. Marcou, « Les inspections générales et le contrôle de l’administration », art cit. 7 P. Milloz, Les Inspections générales ministérielles dans l’administration française, op. cit.

Les inspections générales répondent à trois critères : l’autorité dont dépend le service en question ; l’étendue de sa compétence ; et, éventuellement, la nature de cette compétence1.

Derrière sa définition générique à deux critères, Pierre Milloz bâtit sa thèse sur la distinction entre quatre types d’inspections générales : les inspections générales à spécificité maximale, élevée, moyenne et enfin réduite2. La spécificité renvoie au degré d’autonomie des

inspecteurs par rapport aux administrations qu’ils inspectent. Ce travail restera longtemps une référence en matière de recherche exhaustive sur le sujet. L’étude de Jacques Ménier cherche quant à elle à « comprendre la raison d’être et le fonctionnement »3 d’institutions connues de

manière « superficielle et fragmentaire » jusqu’alors. Ensemble, ces deux études contribuent à donner des fondements scientifiques à une catégorie de services administratifs spécifique : celle des inspections générales. Celles-ci sont directement rattachées à un ministre, ce qui suppose qu’elles soient séparées des services opérationnels et des directeurs de l’administration centrale. Leur position dans l’organigramme est une garantie d’indépendance et de neutralité de jugement.

Ce travail de catégorisation est relayé au sein du ministère de la Culture où l’administration commande un rapport à Yves Renaudin, ancien directeur régional des Affaires culturelles, en 1988. C’est cette fois au niveau de l’administration culturelle que l’auteur sépare les inspections techniques de l’inspection générale administrative4.

Les membres des grands corps et les administrateurs civils opèrent on le voit un travail de catégorisation, dont les fondements scientifiques sont assurés d’une part grâce au rattachement institutionnel de leurs travaux (Paris IV, Paris I), d’autre part grâce à l’investissement de chercheurs en droit public reconnus (Lille II). La typologie des inspections

1 J. Ménier, Les inspections générales, op. cit.

2 P. Milloz, Les inspections générales ministérielles dans l’administration française, op. cit., p. 231‑372. Les critères de

distinction sont les suivantes : les inspections générales à spécificité maximum recrutent hors de l’administration, par concours et proposent un déroulement complet de carrière ; les inspections à spécificité élevée recrutent par un concours « difficile » et offrent un déroulement de carrière complet, les inspections à spécificité moyenne recrutent au choix au sein du « milieu administratif à inspecter » et proposent des possibilités de carrière, enfin les inspections générales à spécificité réduite ne recrutent qu’en fin de carrière et entretiennent des liens étroits avec le milieu administratif qu’elles inspectent.

3 J. Ménier, Les inspections générales, op. cit., p. 10.

4 Yves Renaudin, Les inspections générales du ministère de la culture et de la communication. Interventions au niveau régional,

est ensuite relayée dans les ministères eux-mêmes où il s’agit, au cas par cas, de séparer le bon grain de l’ivraie le long d’une hiérarchie de services d’inspection.

b) La hiérarchie « naturelle » des qualités personnelles

Les services dits d’inspection générale existent depuis plusieurs siècles, mais la constitution d’une véritable catégorie d’inspection générale est donc le résultat d’un travail plus récent. L’enjeu est de créer une hiérarchie de ces services de contrôle qui naturalise la supériorité des inspections générales, en faisant de la qualité de leur recrutement et de leur situation dans l’organigramme des garants d’une neutralité et d’une hauteur de vue dont ne pourraient se prévaloir leurs concurrentes, situées plus bas dans l’organigramme des ministères. Cette catégorie est réinvestie, au niveau du ministère de la Culture, par les IGAC dans les années 2000. Elle leur permet de fonder une identité commune - celle d’inspection générale - par opposition à celle des spécialistes des inspections « tout court ». Nous revenons sur les deux versants de cette naturalisation d’une hiérarchie, avec les qualités que s’attribuent les IGAC d’un côté et celles qu’ils dénient à leurs concurrents de l’autre.

Les IGAC représentent un service de vingt à trente inspecteurs dans les années 1990- 2000. Cette population hétérogène - on y reviendra dans le chapitre suivant - compte pour l’essentiel des agents ayant effectué tout ou partie de leur carrière dans l’administration (centrale ou déconcentrée) du ministère. Bien que les énarques ne représentent qu’une courte majorité des IGAC, l’ensemble du groupe endosse l’image d’une noblesse d’État, c’est-à-dire d’un groupe séparé du reste des administrateurs par ses qualités supposément supérieures, signalées par son titre (inspecteur général). Le capital symbolique concentré dans ce titre, dont les IGAC ont le monopole au ministère, est alors converti en une noblesse qui les oblige1.

L’identification collective à cette noblesse est bien traduite dans le souvenir d’une réunion de service de la fin des années 1990 que Camille B., IGAC, xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx. Cet inspecteur, xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxs

xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx :

Lors d’une réunion, cette collègue explique qu’elle a été mal reçue par un service du ministère à l’occasion d’une mission. Se fâchant, elle dit : “Mais nous sommes quand même au sommet !”. […] Alors elle s’envisageait au sommet. Alors ils s’envisageaient beaucoup, tous, au sommet.

Camille B., IGAC, 1990-2010, en 2016.

Comme l’ont montré Norbert Elias et John Scotson, tout groupe calque l’image qu’il a de lui sur la minorité des meilleurs1. De même, au sein de l’IGAC, même ceux qui ne sont pas

énarques, même ceux qui sont recrutés par la voie la moins légitime (le tour extérieur du gouvernement), s’associent pleinement avec l’image d’un groupe placé au-dessus des autres, « au sommet ». Une autre inspectrice note également en entretien, avec une certaine ironie, que le service se vit « comme étant le lieu du raffinement subtil, de l’intelligence référencée et littéraire, voire philosophique, et de l’humour caustique » (Charlotte U., IGAC, 2010, en 2016). L’IGAC, comme ses homologues du ministère, est une inspection dite de débouché, c’est-à-dire qu’elle recrute des agents en fin de carrière. Cette spécificité du recrutement est également un élément de la construction d’une identité distincte de l’inspection. En entretien, les IGAC font ainsi de leur âge - ils sont le plus souvent quinquagénaires voire sexagénaires - une vertu, comme Jean-Claude J., IGAC de plus de soixante ans qui décrit en entretien les inspecteurs comme :

Des gens qui finalement n’ont plus forcément grand-chose à prouver, les rapports de pouvoir sont très très émoussés et donc ça aide à avoir des rapports qui sont feutrés, courtois, placés sous le signe de l’humour et de l’intelligence.

Jean-Claude J., IGAC, 1990-2010, en 2016.

Étant en fin de carrière, ils bénéficieraient donc d’une sereine distance vis-à-vis du pouvoir, qui les rendrait imperméables aux pressions extérieures. Tous trouvent ainsi, pour reprendre les termes de Norbert Elias, dans « la participation à la supériorité d’un groupe et à son charisme collectif […] la récompense de la soumission aux normes spécifiques de ce groupe » 2. Parallèlement à l’adhésion à une représentation homogène de l’identité des IGAC,

1 Norbert Elias et John L. Scotson, Logiques de l’exclusion, Paris, Fayard, 1997, 288 p. 2 Ibid., p. 45.

le groupe renforce sa cohésion et son identité par opposition à ses rivaux, constitués en « marginaux » de l’administration.

Les IGAC jettent le discrédit sur leurs homologues de la Création artistique et des Patrimoines. Ils mobilisent deux principaux motifs de disqualification. Le premier est une inadéquation ontologique au rôle d’inspecteur, le second est la partialité qui se manifeste par l’incapacité à conserver une indépendance de jugement.

Dans toute configuration établis/marginaux, c’est le plus souvent l’anomie qui est reprochée aux marginaux : ils sont jugés peu dignes de confiance, indisciplinés, sans loi1. Les

mêmes jugements se retrouvent dans les discours des IGAC sur les inspecteurs de la création. Ils s’expriment notamment lorsque les IGAC insistent sur les difficultés qu’ils ont pu avoir lors de missions conjointes avec ces inspecteurs. Dépourvus de toute capacité littéraire ou simplement rédactionnelle2, ils ne seraient pas en mesure de respecter les délais de rendu des

rapports. « Naturellement » lunaires, ils seraient fondamentalement inadaptés au milieu administratif. Ce jugement, partagé de manière diffuse par nos enquêtés, est condensé dans l’extrait d’entretien suivant avec Clara B., IGAC, xxx xxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx :

Il y avait des inspecteurs lunaires ; [l’un d’entre eux] était un inspecteur de la Musique. Il recevait les gens comme ça, il était un peu farfelu, c’était un compositeur. Alors il disait [à ceux qui venaient le voir] : « Oh c’est très intéressant ! », et alors il notait [mime quelqu’un qui prend des notes]. Et après, hop, il mettait [ses notes] dans la poubelle [fait mine de jeter une pile de papier sous le bureau] [rire]. [Il disait aux gens] « Oh mais c’est extraordinaire ! Oh mais continuez ! » [mime à nouveau le geste d’écrire et de jeter les notes sous la table] [rire]. [Il était] complètement farfelu !

Clara B.., IGAC, xxxxxxxxx, en 2016.

L’inspecteur-artiste est vu ici comme habité d’une vocation et d’un talent naturels dont il lui serait par définition impossible de se départir et qui le rendraient nécessairement incompatible avec les us et coutumes bureaucratiques. Son activité de surveillance se résume dès lors à une performance théâtrale.

1 N. Elias et J.L. Scotson, Logiques de l’exclusion, op. cit.

2 « Il y en avait, c’était difficile pour écrire hein. Donc problème d’expression on va dire » (Pierre-François B., IGAC, xxxxxxxx,

L’indépendance de jugement est la seconde qualité que les IGAC contestent aux spécialistes, allant jusqu’à sous-entendre qu’ils auraient une tendance à la partialité. Les IGAC (comme tous les inspecteurs) revendiquent une indépendance de jugement et l’impartialité de leurs rapports. Comme on l’a vu précédemment, ils se présentent comme étant dégagés des ambitions de carrière et soustraits à toute pression extérieure. Cette qualité, les IGAC la dénient aux autres inspecteurs. À leurs yeux, ces anciens architectes, danseurs, musiciens ou plasticiens seront toujours artistes avant d’être inspecteurs et feront donc toujours passer les intérêts de leur carrière artistique avant ceux de l’administration. Une série d’exemples, tirés d’entretiens avec trois membres de IGAC en fonction à des époques différentes, atteste de sa permanence :

Ce n’est pas pour dire du mal d’eux, mais [les inspecteurs de la Création] sont dans une position difficile, parce qu’ils sont au contact de personnalités d’un monde avec lequel ils ont affaire en permanence, et dont ils ont besoin parfois […]. L’inspecteur de Musique qui en même temps est musicien, c’est délicat pour lui de porter parfois une appréciation très critique sur une institution musicale.

Olivier A., IGAC, xxxxxxxxxx, en 2016.

Au fond l’inspection du Théâtre, je ne sais pas si elle est encore comme ça, mais elle a été longtemps comme ça : [c’étaient] des institutionnels, [celle de] la Musique : des compétents mais qui ne savent pas ce que c’est que l’administration, et [celle de] la Danse : des militants. Des militants. C’est-à-dire avec là aussi un problème de distance, c’est-à-dire que pour eux, inspecter, c’était soutenir.

Pierre-François B., IGAC, xxxxxxxxxx, en 2016.

Un inspecteur de la Danse, il est dans les milieux de la danse. Un inspecteur du Patrimoine, il est lui-même un ancien conservateur ou ancien architecte bon. Mais il est issu du milieu donc il est juge et partie.

Elias M., IGAC, xxxx, en 2016.

La rumeur est si bien répandue que xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx s’emploie à la contester en entretien, en mobilisant l’argument selon lequel la pratique est révolue :

Bon voilà, pour caricaturer, moi, j’ai connu un inspecteur de la Musique qui était chef d’orchestre, à qui un maire de ville disait : « Monsieur l’inspecteur, j’aimerais beaucoup savoir ce que vous pensez de mon orchestre », [l’inspecteur répondait] « Très volontiers Monsieur, la meilleure façon pour un chef d’orchestre d’évaluer un orchestre, c’est encore que vous m’invitiez à le diriger dans le cadre de votre saison » et naturellement, il était excellent, l’orchestre.

Le processus de séparation des IGAC d’avec les inspecteurs de la Création passe donc par la généralisation d’une image déviante, à partir de cas anecdotiques, et par l’insinuation et la rumeur.

Les mécanismes de naturalisation d’une catégorie supposément supérieure d’inspection générale de l’administration culturelle s’appuient ainsi d’un côté sur la référence à un travail scientifique qui fonde l’existence et la reconnaissance d’une catégorie, et de l’autre sur un travail de disqualification rhétorique.

*

Comme le montrent les développements qui précèdent, l’investissement des IGAC pour imposer avec efficacité une définition généraliste de l’inspection n’est pas seulement le résultat d’un calcul rationnel. C’est parce que les IGAC sont porteurs d’une représentation du travail administratif comme un travail de « spécialiste de la généralité »1 qu’ils voient dans la

structuration sectorielle du contrôle une anomalie à corriger. Leur action est donc orientée par des représentations dans lesquelles ils incarnent un groupe spécifique, naturellement distinct du reste de l’administration, et garant de l’intégrité de l’État.

* *

Cette section s’est donné pour objectif de comprendre les raisons pour lesquelles l’inspection de la Culture a aujourd’hui la forme singulière qu’on lui connaît depuis 2010. Deux facteurs complémentaires s’avèrent plus particulièrement saillants. Le premier concerne la configuration des rapports de force au sein de l’administration culturelle en général. Les profils généralistes ont gagné une position favorable en même temps que le fonctionnement sectoriel a été délégitimé. En conséquence, les capacités de résistance des groupes professionnels historiques vis-à-vis de la ratification d’une définition généraliste de l’inspection sont affaiblies et ne permettent pas aux inspecteurs spécialisés de s’opposer efficacement au nouveau modèle qui leur est finalement imposé par les IGAC en 2009-2010. Le second facteur tient à la concordance entre les schèmes de pensée des IGAC et les principes valorisés par la troisième vague de new public management. La vision des IGAC vision s’inscrit en cohérence avec la

valorisation de plus en plus affirmée depuis vingt ans d’un nécessaire décloisonnement de l’action publique, d’un besoin de transparence et d’interministérialité au niveau de l’administration de l’État. La ratification de la définition généraliste de l’inspection est ainsi indissociable d’un processus de naturalisation d’une forme de contrôle transversal, jugée supérieure aux contrôles sectoriels. On assiste ainsi à un processus d’institutionnalisation de l’inspection au sens que lui donnent Peter Berger et Thomas Luckmann, c’est-à-dire que cette forme spécifique et socialement construite de contrôle est naturalisée, tenue pour acquise ce qui la soustrait durablement à toute remise en cause1.

*

* *