• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 3 : Tentatives d’explication des raisons de la pérennisation de ce différend

3.1. Les raisons diplomatiques : une situation peu urgente, puisque pas conflictuelle

3.1.2. Un désaccord correctement géré selon les responsables politiques

Un élément qui pourrait expliquer en partie la pérennisation de ce différend serait la perception qu’en ont les responsables politiques. Selon les dires d’un employé de Chevron, ancien membre du gouvernement canadien, les relations diplomatiques entre les deux États

315 Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international Canada (2011), op. cit., p. 27 : « Both

Program scientists and those involved in the legal component of the Program report that Canada’s relationships with opposite and adjacent states are currently positive. This positive relationship creates an environment conducive to joint activities and cooperation, which in turn reinforces this positive

relationship ».

316 Ibid, p. 331.

317 À titre d’exemples, lire Radio-Canada (2014), op. cit. ; Le Devoir (2010). Arctique, la nouvelle guerre

froide, 21 août 2010. En ligne : < http://www.ledevoir.com/politique/canada/294791/arctique-la-nouvelle-

93

ont toujours étaient bonnes s’agissant du désaccord en mer de Beaufort. Aujourd’hui, il estime d’ailleurs que : « it’s not a big deal for both governments »318. Qu’en pensent

véritablement les instances gouvernementales ?

Le gouvernement d’Ottawa considère que ce désaccord en mer de Beaufort ne pose « aucun problème de souveraineté ou de défense pour le Canada »319. Plusieurs documents

et témoignages attestent en effet que tous les différends auxquels le Canada doit faire face sont correctement gérés. Dans son courrier de décembre 2014, John Baird estime que : « Canada and the United States have managed this maritime boundary dispute peacefully »320. C’est aussi l’avis de Catherine Loubier, porte-parole au ministère des Affaires

étrangères et du Commerce international, qui considère que « the issue has been well- managed by Canada and the U.S. and will be resolved on its own merits when both parties are ready to do so »321. Ce sont aussi les propos utilisés par le gouvernement canadien dans

sa réponse au 3e rapport du Comité permanent de la Défense nationale de 2010322. Alors que

ce Comité recommande au gouvernement d’accorder la priorité au règlement du différend avec les États-Unis en mer de Beaufort, celui-ci répond que « le Canada et les États-Unis ont bien géré la question et ils la règleront objectivement quand les deux parties seront prêtes à le faire »323. Dans un témoignage du 6 octobre 2009, recueilli par ce Comité dans le cadre de

la rédaction de son rapport sur la souveraineté du Canada dans l’Arctique, Franklyn Griffiths, professeur de sciences politiques à l’université de Toronto, estime que les menaces à l’endroit de la souveraineté du Canada ont été exacerbées par les médias. Il justifie ces exagérations par le fait qu’elles mettent en cause l’identité nationale canadienne. Elles ne servent qu’à donner plus d’importance à des problèmes « qui pourraient facilement être réglés à l’amiable »324. La propagation de ces craintes exagérées a pour avantage de créer du

318 Entretien téléphonique n°3 (décembre 2014), avec un membre du bureau des Affaires gouvernementales de

Chevron, op. cit.

319 Gouvernement du Canada (2007), op. cit., p. 13 ; lire aussi Ministère des Affaires étrangères, Commerce et

Développement Canada (2010), op. cit., p. 8 : « Tous ces désaccords sont bien gérés et ne posent aucun problème pour le Canada sur le plan de la défense ».

320 Courrier de John Baird, 31 décembre 2014, op. cit., voir annexe I.

321 Loubier, C. (2010). Porte-parole au Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du

Canada, entrevue du 17 février 2010 à Canwest News Service, dans Boswell, R. (2010a). « Beaufort Sea Breakthrough ». Vancouver Sun : 17 février 2010. En ligne :

<http://byers.typepad.com/arctic/2010/02/beaufort-sea-breakthrought.html> (consulté en septembre 2014).

322 Comité permanent de la défense nationale du Canada (2010), op. cit. 323 Gouvernement du Canada (2010), op. cit.

94

sensationnalisme et donc en un sens de justifier les politiques choisies par le gouvernement. Nous reviendrons sur ce point un peu plus tard dans notre développement. Dans ce même rapport, Alan Kessel relativise la portée conflictuelle de la situation en mer de Beaufort et estime que « le Canada exerce depuis longtemps, sur les terres et les eaux de l’Arctique canadien, une souveraineté qui est bien établie […] nos différends actuellement en instance sont tous bien gérés »325.

Bien qu’aucune semblable déclaration n’ait été enregistrée du côté américain, nous pourrions avancer l’idée que le gouvernement de Washington est en accord par omission avec Ottawa. En effet, dans la directive américaine de 2009 sur la politique arctique, le différend en mer de Beaufort n’est évoqué que dans trois courtes phrases, au cours de la section sur les problèmes liés aux frontières et aux plateaux continentaux étendus :

The United States and Canada have an unresolved boundary in the Beaufort Sea. United States policy recognizes a boundary in this area based on equidistance. The United States recognizes that the boundary area may contain oil, natural gas, and other resources326.

Aucun règlement n’est proposé. Aucune future rencontre et aucun effort de résolution ne sont évoqués. Cette omission pourrait témoigner du caractère non urgent du différend en mer de Beaufort. Le gouvernement américain n’en parle pas, car il estimerait que cette situation n’est pas conflictuelle.

Aucune des deux instances gouvernementales ne semble donc considérer que le désaccord de délimitation en mer de Beaufort est susceptible de porter préjudice à leurs relations bilatérales. Nous pouvons donc en déduire que la résolution de ce différend ne semble pas être une priorité pour les deux États.