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Les règles générales de délimitation maritime selon le droit international de la mer

CHAPITRE 1 : Contextualisation juridique de ce désaccord maritime

1.2. Le chevauchement de deux espaces maritimes à l’origine de l’apparition de ce différend

1.2.1. Les règles générales de délimitation maritime selon le droit international de la mer

Afin d’étudier les règles internationales de délimitation maritime de deux espaces maritimes adjacents, nous allons distinguer la question relative à la procédure de règlement d’un différend de celle relative aux méthodes pour établir le tracé d’une frontière maritime.

103 Ibid., p. 15. 104 Ibid., p. 83.

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Le fait que les États-Unis ne sont pas soumis à l’application de la CNUDM en raison de leur non-ratification, mais le sont s’agissant de la coutume internationale et de la Convention sur

le plateau continental de 1958 (ratifiée le 12 avril 1961), pose quelques interrogations

s’agissant de la procédure et de la méthode à appliquer pour établir un tracé. Au fur et à mesure de notre développement, nous évoquerons les conséquences de cette non-ratification sur ces deux éléments.

Quelle est la procédure, issue du droit international, pour régler un différend frontalier ? Lorsque des États sont en désaccord à propos de la délimitation d’un espace maritime, ils sont soumis à une obligation de négocier. Ce mode de règlement non juridictionnel est prévu à l’article 6 al. 1 de la Convention sur le plateau continental de 1958 et aux articles 74 s’agissant de la délimitation de la zone économique exclusive et 83 concernant les plateaux continentaux de la CNUDM. Cette obligation de négociation est un préalable à l’accès aux autres méthodes de règlement des différends.

À défaut d’accord dans un délai raisonnable, les États doivent s’appuyer sur un régime à la fois conventionnel (partie XV de la CNUDM) et coutumier (article 33 de la Charte des

Nations Unies105). Ce régime prévoit que les États peuvent recourir à la médiation ou à la

conciliation s’agissant des procédures non juridictionnelles ou à l’arbitrage, à la CIJ ou au Tribunal international du droit de la mer concernant les modes juridictionnels de règlement106. Sans entrer dans les détails, il est intéressant de distinguer ces différents modes

puisque leurs processus, leurs résultats et leurs portées diffèrent. La médiation consiste en l’intervention d’un tiers (le médiateur est souvent un État tiers) qui juge bon d’offrir son entremise pour faire cesser un désaccord entre deux États. Il peut proposer un règlement ou simplement des bases de négociation. La conciliation consiste à faire examiner un différend par un organe tiers selon une procédure contradictoire, mais qui reste non juridictionnelle. Au terme de ce débat, le conciliateur va proposer une solution qui ne sera pas obligatoire. S’agissant des modes de règlement juridictionnels – l’arbitrage et le règlement judiciaire –,

105 Charte des Nations Unies, 26 juin 1945, [1945] RTC n° 7, Art. 33 : « Les parties à tout différend dont la

prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales doivent en rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d'enquête, de médiation, de conciliation,

d'arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d'autres moyens pacifiques de leur choix ». En ligne : < http://www.un.org/fr/documents/charter/pdf/charter.pdf> (consulté en octobre 2015).

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le processus est différent, puisque l’arbitre ou le juge établit le tracé ou les principes selon lesquels les parties devront établir leur frontière. Contrairement aux processus de médiation et de conciliation, la décision rendue est obligatoire.

La non-ratification américaine ne pose aucun problème s’agissant du processus pour délimiter un espace maritime. Bien que la Convention de 1958 reste silencieuse sur la procédure à suivre lorsqu’il n’y a aucun accord entre les États après la négociation, la coutume (au travers de l’article 33 de la Charte des Nations Unies préalablement énoncé) pallie très bien ce silence et s’applique alors aux États-Unis.

Quelles sont les méthodes issues du droit international pour définir une frontière maritime ? Considérant les méthodes à appliquer pour parvenir au tracé d’une frontière, les choses se complexifient un peu. L’article 6 al. 2 de la Convention de 1958 établit la méthode reposant sur le principe d’équidistance et dispose qu’« à moins que des circonstances spéciales ne justifient une autre délimitation », le tracé de la frontière maritime doit se baser sur une ligne d’équidistance quand les côtes sont adjacentes107. La CNUDM dispose, quant à

elle, d’une terminologie relativement imprécise puisqu’elle ne conditionne la méthode pour établir un tracé qu’à la nécessité d’atteindre un résultat équitable108. En 1986, Donat Pharand

estimait que le droit international ne prévoyait aucune méthode précise pour délimiter deux espaces maritimes adjacents109. Quels critères fallait-il alors retenir pour parvenir à une

délimitation ? Celui de l’équidistance/circonstances spéciales de la Convention de 1958 sur le plateau continental, ou celui de l’équité de la Convention de 1982 ? Aujourd’hui avec l’évolution de la jurisprudence la situation s’est éclaircie.

Dans l’Affaire de la délimitation de la mer Noire de 2009, entre la Roumanie et l’Ukraine, la Cour se réfère explicitement à une méthodologie de délimitation, construite à travers toutes ses décisions précédemment rendues et dans laquelle elle fait référence aux deux Conventions110. Le juge retient trois étapes dans le processus de définition du tracé de

délimitation maritime111. La première étape consiste à tracer une ligne d’équidistance

107 Rothwell, D., & Stephens, T. (2010), op. cit., p. 388.

108 Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, op. cit., Art. 83, al. 1. 109 Pharand, D. (1986), op. cit., p. 292.

110 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 61.

En ligne : < http://www.icj-cij.org/docket/files/132/14987.pdf> (consulté en octobre 2015).

111 Ibid., par. 186 : « La Cour rappelle qu’elle a établi que l’île des Serpents, qui ne fait pas partie de la

configuration côtière générale […], ne pouvait servir de point de base pour construire la ligne d’équidistance provisoire entre les côtes des Parties, ligne qu’elle a tracée lors de la première étape de la présente

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provisoire. Nous retrouvons cette étape dans l’article 6 al. 2 de la Convention de 1958. En deuxième lieu, le juge doit prendre en compte des facteurs qui pourraient conduire à l’ajustement de cette ligne provisoire dans le dessein d’atteindre un résultat équitable. C’est ce même principe d’équité qui est prévu par la CNUDM. Enfin, il évalue si la ligne mène à un résultat inéquitable en raison de circonstances pertinentes, telles que la disproportion des espaces maritimes alloués à chacun des États. Alors que l’article 6 al. 2 de la Convention de 1958 fait référence à des circonstances spéciales, la coutume, telle que dégagée dans cette décision de la CIJ, estime que le principe d’équidistance doit être appliqué en tenant compte de circonstances pertinentes. En pratique, la différence de terminologie a très peu d’impact. Ces circonstances sont le plus souvent géographiques112. Il s’agit par exemple de la

disproportion flagrante entre les longueurs des côtes de chaque État, de la configuration des côtes elles-mêmes, de la présence d’îles, etc. D’autres considérations peuvent aussi être retenues, comme les facteurs économiques, de sécurité ou encore de défense, à la condition que ne pas en tenir compte pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour l’État côtier113. La prise en compte, par la CIJ, de ces derniers éléments pour modifier le tracé reste

néanmoins très exceptionnelle.

Il est à noter que le différend sur la délimitation en mer de Beaufort concerne plusieurs zones maritimes : la mer territoriale, la ZEE et le plateau continental. Les auteurs ne font cependant jamais référence à la première et préfèrent en règle générale parler de la délimitation du plateau continental en mer de Beaufort, afin de faciliter la compréhension de ce désaccord. Il faut néanmoins savoir que les règles de délimitation prévues par la CNUDM à propos de la mer territoriale ont des termes qui diffèrent de celles prévues pour la délimitation du plateau continental. L’article 15 de ladite Convention dispose que :

[l]orsque les côtes de deux États sont adjacentes ou se font face, ni l'un ni l'autre de ces États n'est en droit, sauf accord contraire entre eux, d'étendre sa mer territoriale au-delà de la ligne médiane dont tous les points sont équidistants des points les plus proches des lignes de base à partir desquelles est mesurée la

délimitation. Elle doit maintenant, dans le cadre de la deuxième étape, déterminer si la présence de l’île des Serpents dans la zone de délimitation constitue une circonstance pertinente justifiant un ajustement de la ligne d’équidistance provisoire ».

112 Lucchini, L. (2006). « La Délimitation des Frontières Maritimes dans la Jurisprudence Internationale : Vue

d’Ensemble », dans Lagoni, R., & Vigne, D. (Dir.) (2006). Maritime Delimitation. Leiden : Martinus Nijhoff Publishers, p.7 ; Baker, J.S., & Byers, M. (2012), op. cit., p. 77.

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largeur de la mer territoriale de chacun des deux États. Cette disposition ne s'applique cependant pas dans le cas où, en raison de l'existence de titres historiques ou d'autres circonstances spéciales, il est nécessaire de délimiter autrement la mer territoriale des deux États114.

Bien que les termes employés ne sont pas les mêmes que ceux présents aux articles 74 et 83 de la même Convention, on observe qu’ils sont semblables à ceux de l’article 6 de la Convention de 1958 et de la jurisprudence et donc plus largement de la coutume. Ainsi, le régime de délimitation entre les zones maritimes n’est différent qu’à priori. Cette différence dans les termes et cette convergence dans la pratique reflètent l’évolution de la question des délimitations maritimes en droit international.

Le fait que les États-Unis n’aient pas ratifié la CNUDM n’a aucune répercussion sur l’application de la méthode préalablement citée de délimitation maritime en trois étapes. Le juge de la CIJ a déjà dû se prononcer sur une situation semblable. En 2012, le juge a en effet dû rendre une décision à propos de la délimitation territoriale et maritime entre le Nicaragua et la Colombie, alors que le Nicaragua est partie à la CNUDM, tandis que la Colombie ne l’a pas ratifié. Dans cette décision « la Cour a reconnu que les principes relatifs à la délimitation maritime consacrés par les articles 74 et 83 reflétaient le droit international coutumier »115.

Peu importe que les États-Unis soient non parties à la CNUDM puisque les règles de délimitations maritimes issues de la Convention sur le plateau continental de 1958 et de la Convention de 1982, bien que formulées différemment, ont tendance à converger dans la pratique jurisprudentielle116. C’est d’ailleurs le juge de la CIJ qui reconnait cette convergence

dans une affaire de 1993117. De plus, les États-Unis ont toujours considéré que les principales

règles issues de la CNUDM reflètent le droit international coutumier et notamment les articles 74 et 83 s’agissant de la délimitation des ZEE et des plateaux continentaux adjacents118.

À la suite de l’analyse des règles de délimitation maritimes du droit international, il serait intéressant d’étudier les revendications des deux États à l’égard de la délimitation en

114 Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, op. cit., Art. 15.

115 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 624, par. 139.

En ligne : < http://www.icj-cij.org/docket/files/124/17164.pdf> (consulté en octobre 2015).

116 Bartenstein, K. (2008), op. cit., p. 556.

117 Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen, arrêt, C. I.J. Recueil 1993,

p. 38, par. 48. En ligne : < http://www.icj-cij.org/docket/files/78/6742.pdf > (consulté en octobre 2015).

118 Reagan, R. (1983b), op. cit., par. 4 : « the Convention also contains provisions with respect to traditional

uses of the oceans which generally confirm existing maritime law and practice and fairly balance the interests of all states ».

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mer de Beaufort, dont la divergence pourrait s’expliquer par leur interprétation respective de ces règles de délimitation.