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L’impact de ces politiques arctiques dans les relations canado-américaines

CHAPITRE 3 : Tentatives d’explication des raisons de la pérennisation de ce différend

3.3. Les raisons politiques : divergences d’engouement et d’intérêts vis-à-vis de l’Arctique

3.3.3. L’impact de ces politiques arctiques dans les relations canado-américaines

Du fait qu’ils sont voisins, les politiques arctiques du Canada et des États-Unis ont des impacts importants sur leurs relations bilatérales et plus précisément sur la coopération qui pourrait conduire à la résolution du désaccord en mer de Beaufort. Afin de comprendre quels pourraient être ces impacts, nous allons tenter de mettre en lumière les contrastes entre ces deux États qui naissent de leurs politiques arctiques différentes.

Au vu des politiques arctiques des deux voisins, les objectifs et priorités du Canada et des États-Unis en matière de défense et de sécurité de la région arctique semblent s’aligner. Nous l’avons déjà dit, les deux pays coopèrent dans cette région depuis plusieurs années. Ces collaborations leur permettent notamment d’identifier les éventuelles lacunes pour répondre aux possibles menaces dans le Nord et de renforcer leur capacité opérationnelle dans cette région glaciale. Dans presque la totalité de leurs documents officiels portant sur l’Arctique, les deux gouvernements s’attachent à reconnaitre les avantages d’une collaboration et d’une coopération interétatiques dans le dessein de veiller à la stabilité de la région circumpolaire et à la sécurité de leurs intérêts nationaux. Cependant, Lackenbauer et Huebert soulignent que malgré cet objectif partagé d’accroître la coopération, les deux États possèdent des

443 Maison Blanche (2009), op. cit.

444 BBC News (2011). « Wiki Arctic Cables »,12 mai 2011, p. 5 : « Embassy [des États-Unis] strongly

believes release of the new Arctic Policy National Security Presidential Directive/Homeland Security Presidential Directive during Canada's federal election campaign has the potential to insert the United States as an issue in the campaign and negatively impact U.S.-Canadian relations. Embassy requests Washington agencies to delay the release of the new policy until after the October 14 election », dans Lackenbauer, W., & Huebert, R. (2014), op. cit., p. 330. En ligne :

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intérêts divergents qui peuvent compliquer cet effort445. Cette divergence d’intérêts pourrait

s’expliquer par leur contraste d’engagement politique et leur perception différente à l’égard de l’Arctique.

S’agissant de leur engagement politique, Lasserre souligne l’existence d’un contraste entre les deux États446. Alors que le Canada a toujours eu tendance à réagir avec ferveur

lorsqu’il s’agit de montrer qu’il est prêt à préserver l’intégrité de son identité nationale, les États-Unis, eux, se montrent relativement indifférents vis-à-vis des questions arctiques. Les réactions du premier amplifiant l’impression de désintérêt du second. Une ambivalence dans leurs relations bilatérales semble donc se dévoiler : le Canada fervent défenseur de son intégrité nationale et de sa souveraineté en Arctique, prêt à réagir et à répondre à une quelconque menace et les États-Unis, plus passifs, qui se bornent à contrer les revendications de son voisin pour ne pas nuire à la liberté de navigation. Les enjeux ne semblent pas être les mêmes pour ces deux États.

Afin de mettre en lumière le contraste dans leurs perceptions de la région arctique, Lackenbauer et Huebert mettent en opposition l’hypernationalisme canadien et les intérêts géopolitiques globaux américains447. En effet, les États-Unis ont une perception globale et

stratégique de la région arctique, où l’Alaska n’est qu’un élément clef parmi d’autres448. Cette

superpuissance possède des intérêts plus importants ailleurs dans le monde. L’Arctique constitue donc pour l’instant une région finalement moins primordiale que d’autres. Les intérêts mondiaux de cette superpuissance tempèrent l’importance qu’elle donne à la région arctique. A contrario, le Canada, qui reconnait lui aussi la nécessité de coopérer, est limité par sa « political and public sensitivity » à propos de sa souveraineté en Arctique449. James

C.C. et James P. considèrent que les réactions du Canada et des États-Unis sont basées sur ce contraste prédominant : le premier est sensible aux menaces de souveraineté et d’identité, tandis que le second, plus intéressé par les questions de sécurité, semble peu prêter attention

445 Lackenbauer, W., & Huebert, R. (2014), op. cit., p. 328.

446 Lasserre, F. (2010), op. cit., dans Lasserre, F., & al. (2010), op. cit., p. 67 447 Lackenbauer, W., & Huebert, R. (2014), op. cit., p. 320.

448 Frédérick, M. (1988), op. cit., p. 673.

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aux craintes de son voisin450. Quelles sont les conséquences de ces contrastes sur leurs

relations bilatérales ?

Bergh estime que le Canada devrait se montrer prudent lorsqu’il décide de réagir à des actes qu’il juge menaçants pour sa souveraineté451. En effet, ses réactions parfois

impulsives peuvent être mal interprétées par les autres États circumpolaires, et notamment les États-Unis. Le discours, ferme et catégorique, du gouvernement conservateur canadien pourrait ne pas aider à construire la confiance nécessaire pour parvenir à la coopération étroite tant recherchée par les deux États. De plus, la présence des États-Unis est souvent perçue par le Canada comme une menace supplémentaire à l’intégrité de son identité nationale, renforçant alors l’hypernationalisme canadien. C’est une idée notamment avancée par Lasserre et Genest qui estiment que :

Depuis le début du XXe siècle, les menaces à la souveraineté canadienne dans la

région proviennent presque toujours des États-Unis. En ce sens, la défense de ce qui est perçu comme l'intégrité territoriale du Canada devient le prolongement de la lutte que mènent les Canadiens contre l'influence et l'attraction qu'exerce la société américaine. Plus encore, le respect des Canadiens pour la fragilité des territoires arctiques devient presque un moyen de se distinguer des Américains, dont l'avidité l'emporte sur la responsabilité environnementale.452

Ces craintes canadiennes basées sur d’éventuelles menaces sur son identité et sa souveraineté entravent la perspective d’une coopération étroite avec son voisin immédiat, les États-Unis. Et inversement, le fait que les États-Unis ne semblent pas faire de la région Arctique leur priorité politique pourrait porter préjudice à une résolution du différend en mer de Beaufort à court terme.

Un autre obstacle à une coopération canado-américaine étroite, dont pourrait éventuellement découler un règlement en mer de Beaufort, serait issu de la militarisation de l’Arctique. Lackenbauer et Huebert considèrent que, malgré les minimisations d’un éventuel futur conflit militaire qui résultent des documents officiels des deux États, des investissements importants dans les capacités militaires peuvent engendrer un accroissement

450 James, C.C., & James, P. (2014). « Canada, the United States and Arctic Sovereignty: Architecture

Without Building? ». American Review of Canadian Studies, vol. 44, n°2 : p. 187.

451 Bergh, K. (2012), op. cit., p. 17.

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des craintes des États arctiques453. Ils estiment qu’être trop agressif pour prendre des mesures

censées régler les futurs problèmes de sécurité peut engendrer a contrario un climat de méfiance, dans lequel ces problèmes risquent de justement se réaliser. Lackenbauer et Huebert concluent que « this narrative of militarization may undermine existing cooperative approaches»454. Ainsi, les politiques arctiques des deux voisins – prévoyant des

investissements dans des équipements militaires pour veiller à la défense de leurs intérêts dans cette région – ne sont peut-être pas judicieuses pour parvenir à une coopération nécessairement basée sur la confiance.

La politique arctique canadienne ne semble pas être favorable à un climat de coopération et de collaboration pouvant faire espérer l’émergence d’un accord en mer de Beaufort. En effet, en raison de l’importance accrue que le gouvernement canadien porte à la sauvegarde de son identité nationale présente en Arctique, le désaccord en mer de Beaufort est un dossier sensible. Les États-Unis semblent être moins attachés à l’Arctique que leur voisin canadien, puisque leurs politiques arctiques semblent plus souples et, car ils possèdent d’autres intérêts ailleurs dans le monde. Ainsi, la corrélation entre l’« hypersensibilité » canadienne et le désintérêt américain, chapeautée par des perspectives d’investissements dans des équipements militaires n’est peut-être pas propice au règlement du désaccord en mer de Beaufort.

3.4. Les difficultés issues du droit interne canadien : la Convention définitive des