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CHAPITRE 3 : Tentatives d’explication des raisons de la pérennisation de ce différend

3.4. Les difficultés issues du droit interne canadien : la Convention définitive des Inuvialuit

3.4.2. Les droits des autochtones issus de la Convention définitive des Inuvialuit

3.4.2.1.Les droits à l’égard de leurs territoires terrestres et océaniques traditionnels

a) convoquera une conférence constitutionnelle réunissant les premiers ministres provinciaux et lui-même et

comportant à son ordre du jour la question du projet de modification;

b) invitera les représentants des peuples autochtones du Canada à participer aux travaux relatifs à cette

question ».

467 Convention définitive des Inuvialuit, op. cit., Art. 1. 468 Ibid., Annexe N, p. 116.

469 Ibid., Art. 17 (3). 470 Ibid., Art. 16 (8) a). 471 Ibid., Art. 11.

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La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones reconnait que les autochtones ont « le droit aux terres, [et] aux territoires […] qu’ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisés ou acquis »472. Cette Déclaration ajoute que

les autochtones ont « le droit de posséder, d’utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les terres, territoires […] parce qu’ils leur appartiennent ou qu’ils les occupent ou les utilisent traditionnellement »473. Une déclaration n’est pas juridiquement contraignante pour les États,

il peut néanmoins être admis que les résolutions de l'ONU constituent la preuve de l'existence d'une coutume internationale. Ce n’est cependant pas l’avis partagé par le gouvernement canadien, qui considère que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples

autochtones ne constitue pas une coutume à l’échelle internationale474. Le Canada a d’abord

été réticent à signer cette Déclaration en raison de nombreuses dispositions jugées trop vagues et trop générales. En 2010, le gouvernement d’Ottawa l’a finalement signé, mais exprime des réserves sur certains articles475. En affirmant que la Déclaration ne constitue pas

une coutume internationale et en prononçant des réserves sur quelques-unes de ses dispositions, le Canada veut s’assurer qu’on ne l’oblige pas à les appliquer dans son droit interne. Quoi qu’il en soit, bien que la signature canadienne de cette Déclaration semble seulement symbolique, en concluant la CDI, le Canada agit en conformité avec les valeurs que l’on trouve aussi au sein de la sphère internationale.

L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 affirme que « [l]es droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés »476. S’agissant des droits ancestraux des autochtones, c’est-à-dire ceux établis par

de multiples éléments corroborant une revendication donnée, ceux-ci ont été reconnus dans plusieurs affaires devant la Cour suprême du Canada. Dans ses décisions, la Cour a affirmé

472 Assemblée générale des Nations Unies (2007). Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples

autochtones, votée en septembre 2007, publiée en mars 2008, New York, Art. 26 (1).

En ligne : < http://www.un.org/esa/socdev/unpfii/documents/DRIPS_fr.pdf> (consulté en octobre 2015).

473 Ibid., Art. 26 (2)

474 Ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada (2010). Énoncé du Canada

appuyant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, 12 novembre 2010.

En ligne : <https://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1309374239861/1309374546142> (consulté en novembre 2015).

475 Ibid., des réserves notamment sur « les terres, les territoires et les ressources, sur le consentement

préalable, donné librement et en connaissance de cause lorsqu’interprété comme un droit de veto, sur l’autonomie gouvernementale sans que l’importance des négociations soit reconnue, sur la propriété

intellectuelle, sur les questions militaires et sur le besoin de parvenir à un juste équilibre entre les droits et les obligations des peuples autochtones, des États et des tiers ».

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que les autochtones détenaient un titre ancestral sur leurs terres, en raison de leur occupation ancestrale et de la gouvernance qu’ils y exercent477. S’agissant des droits autochtones issus

des traités, c’est-à-dire établis par la production du traité en question, le gouvernement du Canada reconnait que les autochtones ont des droits terrestres. C’est le cas de la CDI, qui confère aux Inuvialuit la propriété sur environ 91 000 kilomètres carrés de terres situées dans l'ouest de l'Arctique et plus précisément dans la région désignée des Inuvialuit. À l’intérieur de cette zone, les Inuvialuit ont des droits sur la surface et le sous-sol sur environ 13 000 kilomètres carrés478 et des droits sur la surface seule sur 78 000 kilomètres carrés479. En

contrepartie de ces droits issus de la CDI, les Inuvialuit ont renoncé à revendiquer un territoire de 335 000 kilomètres carrés qui faisait partie de leurs revendications initiales480. La

Couronne, quant à elle, conserve la propriété de plus de 80 % des terres de la région désignée des Inuvialuit, car elle possède les droits du sous-sol sur 78 000 kilomètres carrés481 (Figure

4).

Grâce à ces droits, les Inuvialuit peuvent gérer, de manière exclusive, l’accès à leurs terres traditionnelles pour y pêcher. En effet, « [l]es Inuvialuit ont toute discrétion pour permettre l'accès pour la pratique de la pêche sur [leurs] terres »482. Les Inuvialuit peuvent

aussi régir l’accès à leurs terres pour y opérer des activités extractives. Si la surface appartient aux Inuvialuit et le sous-sol appartient à la Couronne, alors les industries doivent conclure ce que l’on appelle un accord de participation avec les Inuvialuit avant d'exercer leurs droits d'accès à des fins de prospection, de mise en valeur et de production483. En effet, comme le

477 Calder c. Procureur général de la Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313; Guerin c. R., [1984] 6

W.W.R. 481 ; Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010. En ligne : < http://scc-

csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/1569/index.do> (consulté en décembre 2015).

478 Convention définitive des Inuvialuit, op. cit., Art. 7 (1) a. 479 Ibid., Art. 7 (1) b.

480 Bureau du vérificateur général du Canada (2007). Rapport de la vérificatrice générale du Canada à la

Chambre des communes sur le chapitre 3 de la Convention définitive des Inuvialuit.

En ligne : <http://www.oag-bvg.gc.ca/internet/Francais/parl_oag_200710_03_f_23827.html> (consulté en octobre 2015).

481 Bergner, K.B., & Storoni, M. (2007). A Regulatory Roadmap: Successfully Navigating Oil and Gas

Licensing Regimes in the North. Lawson Lundell LLP. Présenté lors du 2nd sommet annuel sur le droit

pétrolier et gazier de l’Institut canadien intitulé « Overcoming the Regulatory Challenges and Uncertainties to Keep Your Project on Track », 22-23 janvier 2007. Calgary (Alberta), p. 10.

482 Convention définitive des Inuvialuit, op. cit., Art. 7 (23).

483 Ibid., Art. 10 (1) : « L'Administration des terres des Inuvialuit (ATI) doit garantir l'accès aux détenteurs de

droits ou d'intérêt en cours de validité accordés par le Canada sur les terres désignées à l'alinéa 7(1)a) et aux détenteurs de droits et intérêts relatifs au pétrole, au charbon ou aux minéraux dans les terres désignées à l'alinéa 7(1)b), à la condition que le promoteur verse un juste dédommagement aux Inuvialuit à ce titre ainsi que pour les dommages à leurs terres et à la diminution de la valeur de leurs intérêts sur celles-ci ».

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dispose l’article 7 (18) de la CDI, pour accéder à la surface des terres en vertu d'un permis d'exploration valide, les entreprises doivent obtenir les droits d'accès en négociant des ententes avec les propriétaires autochtones484.

Figure 4 : La région désignée des Inuvialuit au nord de l’Arctique canadien

3.4.2.2.Les droits à l’égard des ressources fauniques, halieutiques et des hydrocarbures

En plus des droits à l’égard de leurs territoires terrestres et océaniques traditionnels, les autochtones possèdent aussi des droits à l’égard des ressources fauniques, halieutiques et des ressources non renouvelables.

La Couronne conserve la propriété sur toutes les eaux de la région désignée, sauf le lit des rivières et fleuves et sur le fond des lacs et autres étendues d'eau situés sur les terres

484 Ibid., Art. 7 (18) c) : « le droit d'accès accordé à des entreprises commerciales pour se rendre sur des terres

non inuvialuit afin d'y exercer des droits lorsque cet accès nécessite un droit de passage permanent. Ce droit est assujetti à la conclusion d'un accord de participation conformément à l'article 10 de la Convention » ; d) « l'accès accordé à des entreprises commerciales de pénétrer sur les terres inuvialuit pour se rendre sur des terres non inuvialuit afin d'y exercer des droits. Cet accès est assujetti à la conclusion d'un accord de participation conformément à l'article 10 de la Convention ».

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inuvialuit485. Or, en raison de leur isolement, la subsistance des communautés autochtones

de la mer de Beaufort repose presque entièrement sur la chasse et la pêche. Ainsi, la CDI leur confère des droits de pêche et de prise des ressources présentes sur leurs territoires, mais aussi sur les eaux dont la propriété appartient à la Couronne ; le but étant de leur permettre d’opérer leurs activités de subsistances au large des côtes.

Ainsi dans la région désignée, les Inuvialuit ont le droit préférentiel de prendre du poisson à des fins de subsistance, de le vendre, de l’échanger ou encore de le troquer486. Les Inuvialuit

possèdent aussi des droits de prise à l’intérieur de cette région, puisqu’ils ont le droit préférentiel de prendre toutes les espèces fauniques à des fins de subsistance (excepté s’agissant des oiseaux migrateurs non considérés comme gibier et des oiseaux insectivores migrateurs), les droits exclusifs de prendre des animaux à fourrure, l’ours polaire et le bœuf musqué dans toute la région désignée et de prendre le gibier sur les terres inuvialuit487.

S’agissant des ressources pétrolières et gazières, la Cour suprême canadienne considère que les ressources naturelles sont englobées dans le titre ancestral des autochtones. Dans l’affaire Delgamuukw, la Cour a en effet indiqué que les droits sur le pétrole et le gaz et les droits miniers étaient compris dans ledit titre488. Donc par extension, on pourrait penser

que la jurisprudence canadienne appui l’idée que les Inuits détiennent un droit sur le pétrole et le gaz naturel de leurs territoires traditionnels. Le régime de ces droits pétroliers et gaziers diffère en fonction du propriétaire du sous-sol. Si celui-ci appartient à la Couronne, donc si on se trouve dans les 78 000 kilomètres carrés qui lui sont réservés, alors l’émission des droits pétroliers et gaziers est régie par la Loi fédérale sur les hydrocarbures, sous l’égide du ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord canadien (ci-après

485 Convention définitive des Inuvialuit, op. cit., Art. 7 (2) « Doit être accordé, aux Inuvialuit, le titre de

propriété absolu sur le lit des rivières et fleuves, et sur le fond des lacs et autres étendues d'eau situés sur les terres inuvialuit ».

Art. 7 (3) « II est précisé, pour plus de sûreté, que la Couronne demeure propriétaire de toutes les eaux de la région désignée ».

486 Ibid., Art. 14 (31) : « Dans la région désignée, les Inuvialuit ont le droit préférentiel de prendre du poisson

à des fins de subsistance et, notamment, le droit de le vendre à d'autres Inuvialuit, de l'échanger ou de le troquer avec eux. S'il est nécessaire d'établir des quotas de subsistance pour assurer la protection des ressources halieutiques, les Inuvialuit et le gouvernement fédéral les déterminent de façon conjointe, en application des paragraphes (61) à (72). Le paragraphe 12(39) s'applique, compte tenu des adaptations de circonstance, à la prise, à des fins de subsistance du poisson et des mammifères marins, en application du paragraphe (29) ».

487 Ibid., Art. 14 (6).

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AADNC) 489. Il faut donc suivre le processus fédéral d'attribution des droits d’environ cinq

étapes : la manifestation d'intérêt de la part du demandeur ; la consultation des populations autochtones ; la demande de désignation ; l’appel d'offres ; la délivrance d'un permis d'exploration. Donc même si le sous-sol de la parcelle n’appartient pas aux autochtones, le fait qu’elle se trouve dans la région désignée des Inuvialuit engendre l’obligation pour le gouvernement canadien de procéder à leur consultation en raison du fait que ces activités peuvent avoir des répercussions sur l’environnement et sur leurs modes de vie. Cette obligation de consultation issue de l’article 35 de la Loi constitutionnelle canadienne de 1982 a été reprise par les décisions de la Cour suprême Haïda et Taku River de 2004490. Dans ces

deux affaires, le juge a établi l’obligation, pour le gouvernement d’Ottawa, de consulter les communautés autochtones et de prendre en considération leurs préoccupations avant de prendre des décisions pouvant leur porter préjudice.

Lorsque le sous-sol appartient aux autochtones, alors toutes les modalités concernant les activités extractives doivent être négociées avec le propriétaire foncier inuvialuit. En effet, les activités pétrolières et gazières qui ont lieu dans la zone de 13 000 kilomètres carrés, sur laquelle les Inuvialuit possèdent les droits sur la surface et le sous-sol, sont régies par la Commission inuvialuit d'administration des terres491. Le principal instrument pour obtenir le

droit de tirer profit d’une parcelle sur cette zone est l’accord de concession, en vertu duquel l’entreprise aura le droit d’explorer, de développement, d’exploiter et de produire du pétrole et du gaz cette zone492.

Les Inuvialuit possèdent donc des droits à l’égard de l’accès de leurs terres définies par la CDI et sur les ressources fauniques, halieutiques, pétrolières et gazières qui se trouvent dans la région désignée.

489 Ministère de la Justice du Canada (1985b). Loi fédérale sur les hydrocarbures, S.R.C. 1985, ch. 36 (2e

suppl.). En ligne : < http://laws-lois.justice.gc.ca/PDF/C-8.5.pdf> (consulté en octobre 2015).

490 Ministère de la Justice du Canada (1982), op. cit., Art. 35.

Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511, 2004 CSC 73. En

ligne : < http://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/2189/1/document.do> (consulté en octobre 2015).

Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Directeur d'évaluation de projet), [2004]

3 R.C.S. 550, 2004 CSC 74.

491 Bergner, K.B., & Storoni, M. (2007), op. cit., p. 10. 492 Ibid.

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Du fait que ces droits sont protégés par la Constitution canadienne, la Couronne a l’obligation de les respecter. Cette obligation passe par sa responsabilité de consulter les peuples autochtones avant de prendre une décision qui serait susceptible de les toucher.