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Section 1 La planification territoriale de l'eau

B. Un cadre de référence technico-scientifique

Un second trait majeur du dispositif de planification territoriale de l'eau consiste en la mobilisation de données de nature technico-scientifiques et l’installation d'un cadre objectif pour guider l'action publique. La connaissance insuffisamment fondée des situations à « gérer » est perçue dans ce contexte comme l'une des causes principales de l'inefficience des actions menées. Deux types de conséquences négatives sont plus particulièrement soulignés, associant causalement inefficacité publique et déficit de savoir technico-scientifique.

D'une part, les réflexions mettent généralement en avant l'impossibilité de qualifier nettement les comportements problématiques et les responsabilités dans la régulation d’un domaine très spécialisé, où le contour des phénomènes n'est pas fixé par le sens commun180. La remarque vaut pour le contrôle des activités de pollution et a fortiori pour la gestion des multiples usages ordinaires de l'eau. De façon similaire, face à la complexité matérielle et sociale du problème à réguler, l'établissement d’objectifs est supposé fragilisé par l'absence de données objectives sur l'état existant de la ressource et les paramètres qui le décrivent, tandis que l'élaboration de solutions adaptées est compromise, en raison du flou des chaînes de causalités. Ce diagnostic prend appui de façon récurrente sur la mise en évidence de l'incohérence des découpages administratifs : fondés sur l'histoire ou sur l'arbitraire bureaucratique, ceux-ci ont peu à voir avec la « logique de la goutte d'eau », le cheminement des rivières ou les délimitations des aquifères. Ce décalage est perçu comme producteur d’effets néfastes dans la mise en œuvre des programmes publics : saisie erronée des problèmes et des causalités, élaboration de solutions inadéquates parce que trop localisées ou trop focalisées sur un aspect superficiel des phénomènes en jeu. Au-delà de la méconnaissance des interdépendances hydrologiques, cette critique peut s'élargir parfois à d'autres dimensions comme celles des milieux et des écosystèmes, dont l'effacement fausse la formulation de

180 Sur ce point voir K. Hawkins, Environment and Enforcement, Oxford University Press, op. cit qui souligne la différence avec les activités de police ordinaire, dans lesquelles la caractérisation des comportement déviants (la délinquance ordinaire ) est plus facilement réalisable.

réponses collectives. Ainsi, l'intervention directe sur les rivières, lorsqu'elle reste ignorante des « quatre dimensions d'un hydrosystème » se révèle improductive181.

D'autre part, l'incertitude des connaissances est également avancée comme la principale cause de controverses lors de l'exécution des politiques, cette source de divergence retardant alors l’exécution et limitant la portée des actions menées. L'absence de cadre objectif laisserait subsister des points de vue opposés, empêchant l'adhésion aux objectifs et aux solutions proposées182. Elle apparaît aussi comme un facteur de sape de l'autorité des administrations régulatrices, se retrouvant démunies dans leur action de contrôle du fait de l'hétérogénéité et de la faible légitimité des savoirs mobilisables.

La solution envisagée face à ces dysfonctionnements consiste à fonder le dispositif de planification territoriale de l'eau sur un socle technique plus sûr, celui-ci devant garantir une définition homogène du problème par les différents acteurs en présence. La dimension technico-scientifique est dans ce cadre particulièrement affirmée, au sein d’un modèle « hydrologique »de formation de l'action publique : « la diversité et la variabilité

d'un hydrosystème s'insèrent dans une unité spatiale et temporelle qui doit être le fil conducteur aussi bien des politiques d'aménagement que des programmes de recherche scientifique »183.

Trois types d'effets de cette objectivation de la politique de l'eau sont alors attendus. Tout d’abord, le savoir technico-scientifique autorisé doit jouer le rôle d'un outil d'homogénéisation des points de vue, opérant un rapprochement des différentes visions et un alignement des appréciations sur la référence objective proposée. Les conflits sur la construction de barrages-réservoirs ou les autorisations de pompages en nappe peuvent trouver une issue par des études définissant de façon consensuelle quelle est la disponibilité des ressources souterraines, la demande « réelle » en eau de l’agriculture, et les effets des barrages sur l’environnement. De même, dans ce courant de pensée, la

181 Ces dimensions font référence aux échanges latéraux, verticaux, amont-aval et atmosphériques. Décamps H. et Naiman R.J, «L'écologie des fleuves», La Recherche, 1989, V. 20, p. 310 -) Les mêmes auteurs mettent aussi en cause, à propos des interventions en rivière l'«'ignorance la plus totale des

interactions entre les caractéristiques physiques, chimiques et biologiques au sein des systèmes formés par les grands fleuves et leur plaine d'inondation».

182 On retrouve en particulier cette thématique dans un ensemble de textes relatifs à «l'appropriation», se concentrant sur les problèmes de risques, tout en élargissant l'analyse à l'ensemble des questions environnementales. Voir par exemple Stéphane Saint-Pierre et Roger Nifle, Appropriation active de la

prévention du risque d'inondation. Méthode de la conduite du processus, Paris, CERTU, 1998.

183 Claude Henry, et alii, Rapport sur des orientations pour un programme interdisciplinaire de recherches

concernant la Loire et son environnement, Paris, Laboratoire d'Econométrie de l'Ecole Polytechnique,

production de données objectives sur les milieux aquatiques devrait permettre de résoudre les débats sur la pollution des rivières, en rendant visible la nuisance occasionnée et en permettant de décider collectivement de la qualité de l’eau désirée (par la fixation commune d’un seuil de pollution par exemple). L'hypothèse majeure ici faite est que la controverse publique peut être close par un accroissement des connaissances corrigeant l'incertitude qui a fait naître le conflit.

En second lieu, la connaissance technico-scientifique des problèmes doit permettre d'adapter plus exactement la réponse publique à la configuration des situations. La production de données objectives conduit à mieux cerner les problèmes et les responsabilités en présence, dessinant la carte des interdépendances à réguler. Une cartographie des zones inondables doit localiser précisément les zones habitées menacées, montrant clairement l’espace « naturel » de la rivière et ceux venus l’occuper ; le suivi piézométrique des eaux souterraines (capteurs enregistrant le niveau des nappes) doit désigner sans conteste les situations de surexploitation ; un réseau de mesure en rivière doit permettre de faire apparaître le niveau exact de pollution d’un cours d’eau et son évolution, éventuellement les rejets en cause. Tous ces outils visent en principe à clarifier les relations entre les activités humaines et les eaux, en pointant du doigt et en établissant les responsabilités humaines et naturelles.

Enfin, les apports techniques doivent offrir un outil d'aide à la décision localisée, c'est- à-dire applicable à chaque situation, en aidant à fixer les objectifs et à pointer les moyens d'action envisageables. Ainsi, un système d’information incluant des échelles limnimétriques (renseignant sur le niveau de l’eau dans chaque portion de rivière) peut servir à alerter les populations en cas de montée d’eaux ou à instaurer des mesures spécifiques de restriction des usages en cas d’étiage sévère. Les études sur les ressources disponibles, souterraines en particulier, peuvent déboucher sur une solution alternative et aider à résoudre un conflit sur l’usage quantitatif des eaux.

De façon transversale, c’est l’inclusion dans le processus de décision des outils technico-scientifiques et des mesures qu’ils produisent, qui doit donc garantir la convergence des points de vue sur la politique à conduire.