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Une histoire locale de la lutte contre les inondations

■ Chronologie indicative

• 1856 Inondations du Rhône. Établissement d’un système de digues autour du fleuve • 1892-1941-1963 : dates des principales inondations catastrophiques dans les Bouches- du-Rhône (non suivies d’interventions correctrices)

• 1973-1974 : Inondations successives (rivière Arc notamment). Mobilisations des communes riveraines et première proposition d'une action d’ensemble des collectivités locales amont et aval (syndicat intercommunal) sur le bassin-versant de l'Arc

• 1977 : Étude hydraulique sur l'ensemble de la rivière Arc (SCP- DDE-DDAF- Conseil général 13)

• 1982 Création d'un syndicat intercommunal sur la rivière destiné à lutter contre les crues

• 1984 Début des travaux de cantonnement des crues sur l’Arc (endiguements, chenal d’évacuation à l’aval)

• 1985 lancement par l’État de procédures réglementaires « PER » (Plans d'exposition au risque) réglementant la construction en zone inondable.

• 1986 Signature du Contrat de rivière « Arc » (par l’État et les collectivités locales, comprenant un important volet inondation)

• 1989 Première carte des zones inondables sur l'ensemble du linéaire de l'Arc (financée par les collectivités locales)

Les crues qui touchent le département des Bouches-du-Rhône varient selon les cours d'eau concernés et les territoires. Sur les 110 communes du département, un quart (22) est soumis à des risques d’inondation dite « de plaine » aux abords du Rhône et de la Durance. Ce type d'inondation est généralement caractérisé par des temps de montée des eaux relativement importants (de l'ordre d'une journée), l'étendue des territoires touchés et la durée importante de l'inondation (plusieurs jours). Elle concerne les communes de la vallée du Rhône telles qu’Arles, ainsi que les zones plus rurales de la Haute-Provence.

Le reste du département est davantage concerné par des évènements de type torrentiel ou urbain et périurbains (plus de la moitié des communes), qui surviennent dans la zone où se concentrent aussi les principales zones d'agglomération (Marseille, Aix-en- Provence, Berre). Ces territoires sont sous la menace de crues torrentielles, provoquées par de petits fleuves côtiers proches des agglomérations ou les traversant. Mués en torrents par des arrivées massives d'eau pluviale, ceux-ci quittent leur lit et peuvent ravager les propriétés riveraines et les constructions situées sur le parcours qu'ils empruntent [voir encadré suivant].

D'autres communes sont soumises à des risques de ruissellement pluvial, liés au dévalement d'eau en quantité sur des pentes fortes. Dans les zones urbaines ou périurbaines où les sols sont largement imperméabilisés (chaussées, constructions diverses) l'eau est accélérée mais aussi fortement cantonnée ; comme l'a illustré le cas de l’inondation de Nîmes en 1988, quelques voitures et des morceaux de routes arrachés peuvent constituer des barrages artificiels, entraînant par leur rupture des déferlements dévastateurs. Seules quelques communes sont exposées aux deux derniers dangers, mais elles incluent les deux principales villes du département, Marseille et Aix-en-Provence.

Dans le cas des risques urbains, majoritaire dans le département, la situation climatique comme le relief accentue le caractère torrentiel des crues observées, qui déplacent de

façon soudaine des volumes considérables d'eau à des vitesses élevées. Avec des chutes de pluies de 220 millimètres en quelques heures, pour une moyenne annuelle de 500 millimètres, une rivière naturellement à sec pendant l'été, comme l'Arc, atteint rapidement un débit de 700 m3/s. La montée des eaux est rapide, en l'espace de quelques dizaines de minutes, comme le retour à leur niveau originel, qui s'opère généralement en quelques heures.

La localisation et la nature des nuisances liées aux inondations

Durant les événements pluvieux, les espaces touchés par l'inondation sont généralement très localisés. Les abords directs du cours d'eau sont concernés au premier chef, qu'il s'agisse des nombreuses propriétés ou lotissements installés sur les rives ; ou à peu de distance du cours d'eau, des zones industrielles ou des terres agricoles dans les nombreuses zones rurales encore présentes (amont de l'Arc, zone de Berre, une bonne partie de la Touloubre.etc.).

Mais ces zones ne se situent pas nécessairement à proximité de la rivière. Parallèlement, la concentration des masses d'eau pluviales touche aussi des zones où le danger est moins apparent. D'une part, le long des petits affluents qui sont pour certains non-permanents et peuvent malgré cela connaître une démultiplication de leur débit ; d'autre part et plus généralement, dans toutes les zones où le relief concentre les eaux et accélère les vitesses de dévalement, tels les fonds de vallon d'ordinairement à sec (talweg) ou les petits bassins versant fortement imperméabilisés dans les zones urbaines ou périurbaines

Les conséquences sont de plusieurs types. Outre les problèmes d'envahissement par les eaux, les riverains ont aussi à subir les conséquences de la puissance du flot, une érosion importante des rives et la création de dépôts solides. Ceux-ci peuvent dans certains cas modifier durablement le profil et le parcours de la rivière. En dehors des dégradations matérielles, la rapidité du flux et l'énergie dégagée par la crue menacent aussi les vies humaines. La montée brusque des eaux, la force des courants et les matériaux charriés par la rivière (arbres, voitures) accroissent la probabilité d’accidents mortels.

Cet ensemble de caractéristiques se conjugue pour dessiner un portrait spécifique des inondations dans le département : très brutales dans leurs manifestations, elles sont aussi soudaines, très localisées et dispersées sur le territoire. Peu de zones habitées sont réellement à l'abri de tout danger, et l'imprévisibilité des événements apparaît assez grande. L'image généralement employée, celle d'un « bombardement » d'eau, en résume

Les premières interventions collectives pour réguler les débits et lutter activement contre les crues prennent placent au XIXe siècle. Avant ces initiatives, lutter contre le danger d'inondation consiste essentiellement à 'en tenir éloigné. Ce choix transparaît dans la localisation de l'habitat provençal traditionnel, à distance du cours d'eau ou en surplomb, et dans nombre de pratiques de protection domestique (rez-de-chaussée non- habité) et culturales (choix de la vigne, peu sensible aux inondations lorsque celles-ci s'évacuent rapidement). L'inondation est donc rarement à cette époque et jusqu'à très récemment (années soixante-dix) un problème public, au sens où celui-ci réclamerait une prise en charge par l'autorité administrative. Les seules réponses collectives visent à réparer les dommages des grandes inondations et sont fondées sur une solidarité à base locale entre voisins et habitants ou à une prise en charge exceptionnelle par la collectivité nationale (au titre par exemple des calamités agricoles).

Celle-ci n’intervient en fait qu’exceptionnellement dans ce type de problème, à l’exception de projets de grande ampleur, où la lutte contre les inondations sert d’autres objectifs. C’est le cas au milieu du XIXeme siècle sur le Rhône, au moment où l'administration impériale de Napoléon III décide de procéder à des investissements lourds afin d'assurer la mise hors eau des terres environnantes. Cette grande œuvre, qui correspond à l’orientation politique du régime impérial, conduit à la mise en place d'un dispositif articulant objets techniques (digues) et éléments institutionnels (syndicats d'entretiens) qui perdurera tout au long du XIXeme et du XXeme siècle290. Hors ce type exceptionnel de mobilisation centrale, l’intervention sur les cours d'eau de la partie sud- est, de taille plus modeste, dépend des seules forces locales et de leur rassemblement au- delà de l’émiettement communal. Ce processus prend forme au tournant des années soixante et se renforce durant la décennie suivante. Des inondations répétées, après une longue période d'accalmie climatique, une volonté étatique de favoriser le développement local, et l'existence de solutions offertes par les services techniques de la DDA et de la DDE sous la forme de travaux publics [voir encadré], conduisent à la mise en place des premières actions collectives de lutte contre les inondations sur l’Arc291. Cette évolution marque aussi une progression de la prise en charge publique du problème dans la mesure

290 De façon plus tardive et à une échelle plus réduite, des investissement seront également décidés pour assurer la protection des terres agricoles bordant la Durance.

291 Nous mettons ici à part les protections localisées réalisées par des communes et des groupements de riverains, qui s’apparentent davantage à de l’auto-défense contre les agressions de l’eau qu’à une action de traitement des inondations.

où le riverain, ordinairement responsable de sa propre protection et de l'entretien du cours d'eau est désormais considéré comme incapable de l'assurer.

La politique engagée est de même nature que celle décidée un siècle plus tôt pour répondre aux crues du Rhône ; à une échelle plus limitée, l'objectif public est le contrôle des circulations hydrauliques par le biais d'une artificialisation du réseau hydrographique. Comme dans le cas de l'alimentation en eau potable, quoique de façon moins systématique, cette entreprise se déploie au travers d'une série d'opérations d’aménagement qui répondent au problème de façon dispersée, en fonction des crédits et des volontés locales. Ces actions associent les services techniques étatiques (DDE-DDA) et les pouvoirs locaux (communes ou plus souvent syndicats intercommunaux), sur des projets d'équipements territorialisés, portant sur un cours d'eau ou une portion de celui-ci. Cette politique progresse donc de façon irrégulière et dans l'ensemble assez lentement, au gré des négociations et des accords passés entre les services de l’État, offreurs de solutions, et les pouvoirs locaux, qui doivent en partie les financer.

Les services de l'État et la lutte contre les inondations

La Direction Départementale de l'Équipement (DDE) est chargée en partie du réseau

d'annonce des crues, du suivi des procédures de cartographie réglementaire des zones

inondables (PER, Plans d’exposition aux risques d’inondation, initiés en 1982, en collaboration avec la DDAF). Elle joue également un rôle important dans la politique

d'usage des sols, en supervisant l'action des collectivités locales dans ce domaine et en

remplissant un rôle d'expert pour les aménagements à réaliser.

À cette fin, les ingénieurs d'État chargés des travaux élaborent des projets

d’équipements pouvant être proposés aux collectivités locales pour financement. C'est le

cas dans le domaine des inondations, où dès les premiers événements de 1973, la DDE avance un document d'aménagement du cours d'eau, élaboré 10 ans plus tôt, permettant de répondre rapidement à l'émotion qu'a suscitée l'événement. D'autres rivières du département sont également couvertes, les travaux étant progressivement réalisés, lorsque des financements sont disponibles et qu'une volonté politique locale (communes ou syndicat intercommunal) a pu être suscitée.

Ces différentes formes d'intervention se moulent dans un schéma commun quand à l'interprétation du problème et des modes de résolution à lui appliquer. Elles visent toutes à répondre à la question de l'inondation par une meilleure circulation des eaux. Il s'agit de « maintenir la performance hydraulique de la rivière, c'est-à-dire de faire en sorte que

l'écoulement des eaux soit assuré avec un minimum de dégâts en cas de forte crue »292.

L'ajout d'équipements spécifiques, la réalisation de travaux ont pour objectif d'améliorer la rivière et le réseau hydrographique pour que ceux-ci acheminent l'eau du terrain où elle chute à l'affluent mineur, puis au cours d'eau et jusqu'à l'exutoire. Aménagé en autant de chenaux, le réseau hydrographique se voit assigner une mission principale : assurer le déplacement des eaux sans dommages pour les terrains et propriétés traversées, quel que soit le surplus évacué par les terrains situés en amont. L'objectif est de maximiser la

fonction d'écoulement de l'infrastructure naturelle existante, puisqu'il faut à la fois

éloigner l'eau mais aussi assurer son transit sans conséquences néfastes jusqu'à la mer. À l'état naturel cette fonction est rarement remplie de façon satisfaisante en zone méditerranéenne où la survenue d'orages amène des apports d'eau massifs et très localisés, dépassant largement les capacités du réseau hydrographique et produisant des inondations régulières et violentes293. Cette conception demeure donc prédominante et vient justifier implicitement l'ensemble des actions publiques mises en œuvre contre les inondations.

D'autres modes d'action existent cependant et sont expérimentés dès les années quatre- vingt. Au premier rang se trouve l’action réglementaire qui vise à contrôler les comportements et éviter les prises de risques par la réglementation de l’urbanisme et de la construction. Elle conserve cependant au moment où notre choronologie s’arrête (1989) un statut extremement marginal. Nous reviendorns plus longuement sur cette activité dans la section 3, qui lui est consacrée et examine plus en détail le rôle central des communes.

Il reste à comprendre, par une analyse de chacun de ses modes d’action, la hiérarchisation opérée entre ces deux types d’intervention, et la façon dont les objectifs de cette politique sont déterminés par cette articulation.