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U N CHAMP DE RECHERCHE ENCORE A STRUCTURER

Malgré la richesse du paysage musical suisse, les recherches sur le sujet sont encore rares. En sociologie, les travaux d’Alfred Willener sur les instrumentistes d’orchestre (p. ex. Willener, 1988, 1998) ont été précurseurs, du moins en Suisse romande. La question du métier de musicien a été depuis reprise par le projet Musicians’ Lives, dont est issue la contribution de Marc Perrenoud et Pierre Bataille dans ce livre. Du côté des études sur la diffusion et la réception, on peut citer le projet Broadcasting Swissness mené conjointement par les universités de Zürich, de Bâle et la Haute École de musique de Lucerne qui cherche à saisir la construction de la « suissitude » à travers la diffusion des

musiques populaires à la radio. Sur le plan statistique, depuis le début des années 2000, l’OFS produit régulièrement des données, notamment sur les pratiques culturelles. On peut ici saluer le travail effectué dans ce domaine par Olivier Moeschler, responsable du secteur culture à l’OFS dont les enquêtes successives ont apporté de nouveaux éléments à la compréhension du paysage musical suisse (OFS, 2005, 2011, 2016). À ces recherches d’envergure, il faut ajouter les nombreuses enquêtes, thèses de doctorat ou encore mémoires qui viennent documenter l’étude des mondes de la musique en Suisse.

Toutefois, si ces recherches contribuent à leur manière à mieux comprendre certains aspects de la production, de la consommation et de la diffusion de musique en Suisse, elles restent encore très dispersées. Il manque encore des passerelles qui permettraient de mieux saisir les grands enjeux qui traversent les mondes de la musique en Suisse. En effet, est-il possible de comprendre la production des groupes de rock indépendant sans saisir les enjeux du marché de l’emploi musical ? Peut-on comprendre les stratégies d’insertion professionnelle des musiciens sans s’intéresser à l’étendue des pratiques strictement inscrites dans l’amateurisme ? Peut-on décrire le développement des politiques culturelles sans les inscrire dans une histoire des mondes de la musique en Suisse ? Il nous semble que non, d’où la nécessité de rassembler ces savoirs de manière à pouvoir les articuler et les faire fructifier.

QUELQUES PREMIERS ENSEIGNEMENTS

À ce titre, cette journée d’étude a déjà permis de poser un certain nombre d’éléments transversaux pour la compréhension du fait musical dans le territoire national suisse et certaines particularités ont été soulignées par plusieurs communications. Elles permet-tent d’esquisser quelques premières articulations entre musique

suisse et musique en Suisse qui devront être affinées dans des travaux à venir.

Premièrement, le fort taux de pratique musicale a pour consé-quence de fournir aux professionnels des opportunités supplé-mentaires en termes de rémunération, mais aussi d’insertion professionnelle. En cela, le marché de l’emploi musical suisse prend une structure tout à fait particulière (voir le chapitre de Perrenoud et Bataille et celui de Nikoghosian).

Deuxièmement, cette spécificité a certainement une influence sur la diffusion de la musique. Effectivement, les professeurs de musique sont en majorité des musiciens insérés dans le marché de la performance et/ou de l’enregistrement, intégrés aux dyna-miques qui animent les mondes de la musique et ils participent de cette manière à diffuser et légitimer de nouvelles pratiques musicales.

Troisièmement, autre constat très clair a été fait au cours de cette journée d’étude : si l’on veut être en mesure de comprendre les dynamiques à l’œuvre dans le monde de la musique en Suisse, on ne peut faire l’économie de s’intéresser aux relations transna-tionales. Qu’il s’agisse d’organiser un concert dans une cave à jazz de Zürich, de monter un tribute band ou de diffuser un clip de rap, les mondes de la musique en Suisse débordent sans cesse le territoire national. La taille du marché intérieur semble être une des raisons qui pousse auditeurs et musiciens à se tourner vers l’étranger. Néanmoins, on peut également faire l’hypothèse que la forte ouverture économique et culturelle de la Suisse à travers son intégration aux aires d’influence allemande, française et ita-lienne, ou sur le plan des migrations, pèse aussi dans la balance.

Nous espérons que ce livre donnera des bases pour la compréhension des mondes de la musique en Suisse, mais également qu’il permettra de montrer comment la musique participe à façonner la société helvétique. Il commence par deux chapitres historiques qui en reprenant l’histoire des musiques populaires depuis les années 1950 permettent une mise en perspective de la situation actuelle dans le temps long. Le

chapitre de Christian Steulet dresse un portrait des musiques jazz, puis pop à travers leurs différents lieux de diffusion jusque dans les années 1970. Puis, celui de Pierre Raboud se focalise plus spécifiquement sur les années 1970 aux années 1980 et les événements qui ont amené aux différentes manifestations pour l’obtention de centres culturels pour les jeunes. Les chapitres 3 et 4 traitent plus spécifiquement des enjeux de la musique en suisse au regard des dynamiques migratoires. Sandro Cattacin et Irene Pellegrini montrent l’influence qu’a eue la musique italienne à la fois sur l’intégration des Italiens en Suisse et le paysage musical du pays. Luca Preite revient sur le cas de secondos issus de l’immigration balkanique. En s’appuyant sur le cas du rappeur Baba Uslender, il décrit comment la musique sert d’espace d’expression pour ces jeunes. Les deux chapitres suivants se concentrent plus spécifiquement sur la question du travail musical. Dans leur chapitre, Pierre Bataille et Marc Perrenoud font état des résultats de l’enquête Musicians’ Lives sur les carrières des musicien.ne.s ordinaires en Romandie et la structure du marché du travail musical. De son côté, Nuné Nikoghosian décrit le monde des tribute bands en Suisse et les spécificités de l’engagement professionnel dans cette pratique. Enfin, le dernier chapitre du livre est consacré à la question des pratiques culturelles et de leur inscription dans un paysage culturel local.

Loïc Riom cette question à travers les pratiques des spectateurs de musique classique dans une grande ville de Suisse romande.

Cet ouvrage pourrait constituer le premier pas vers une mise en commun des travaux en sciences sociales sur la musique en Suisse, nous espérons en tout cas avoir montré l’intérêt d’une telle démarche.

B

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